Où en est le processus de concertation mené par le Conseil consultatif des droits de l’Homme dans la perspective de mise en place du Conseil des Marocains de l’étranger ?
Le deuxième séminaire sur la question des femmes marocaines dans l’immigration s’est tenu ces 24 et 25 mars. Deux autres séminaires sont en cours de préparation qui auront en avril et mai. L’un portera sur la thématique « Identité culturelle et religion » tandis que l’autre débattra de la participation et de la citoyenneté. Les argumentaires de ces deux séminaires sont en train d’être finalisés et les programmes d’être élaborés.
D’un autre côté, nous continuons systématiquement l’envoi, essentiellement par internet, de questionnaire qui a été élaboré. Chaque fois que nous obtenons de nouvelles sources concernant les potentialités marocaines dans l’immigration, nous le leur envoyons.
Est-ce une base de données qui est en train d’être constituée ?
C’est un questionnaire qui s’adresse aux acteurs significatifs des diverses communautés marocaines en essayant de toucher les acteurs associatifs, les entrepreneurs, les intellectuels, les universitaires. Bref, il s’agit de toucher dans leur diversité les composantes des communautés marocaines. Encore une fois, nous essayons d’être au plus près des mutations de cette émigration. Je crois que c’est l’un des enjeux de ce processus que de prendre en compte ces mutations : une mondialisation de cette immigration, une extension géographique assez extraordinaire qui s’est passé en un laps de temps très bref car en moins d’un quart de siècle cette immigration s’est répandue à travers le monde, une féminisation de la migration sachant qu’un immigré sur deux est une femme. A cela il faut ajouter que cette migration s’étend au Maroc au niveau des aires de recrutement : il n’y a plus une seule zone marocaine qui ne soit pas touchée par la question en plus du changement du profil socio-professionnel. Nous avons aujourd’hui une diversification des profils d’immigrants marocains, allant du travailleur qui continue de partir illégalement pour trouver un travail manuel jusqu’au très grand chercheur qui travaille au sein de l’agence atomique à Vienne, dans les grands laboratoires de recherche au Canada ou en France…
Ce questionnaire essaie donc de toucher les leaders et les acteurs principaux de ces communautés. Nous avons enfin commencé les consultations par pays de résidence. Nous avons eu une première visite aux Pays-Bas, deux journées de travail en Ile-de-France, un week-end de travail dans le grand Sud-Ouest et le grand Est français. D’évidence, il faudra continuer ce travail en France, pays qui représente un bon tiers de l’immigration marocaine. Et nous avons préparé nos consultations pour l’Espagne, les pays arabes, la Belgique, l’Allemagne, l’Italie, le Royaume-Uni, le Canada et les Etats-Unis d’Amérique.
Comment faire pour que ces consultations ne soient pas frappées d’exclusion. Sur quels critères rencontrez-vous les gens ?
Tous les jours, nous essayons de repérer ces acteurs significatifs dont nous parlons. Mme Nezha Chekrouni, la ministre déléguée en charge des MRE, nous a fourni un listing de ses contacts, La Fondation Hassan II en a fait de même. Les postes diplomatiques marocains nous fournissent également un certain nombre de listes. Les chercheurs et les membres du groupe de travail « migrations » au sein du CCDH constituent une sorte de réseau des réseaux. Il y a une dynamique de la consultation qui est en train de se mettre en place. Dès que nous rencontrons une personne, nous lui demandons systématiquement d’autres personnes qu’il faut associer à ce processus. C’est d’ailleurs l’une des questions contenues dans le questionnaire.
Malgré ce travail de rassemblement et de recoupement des sources, il est clair qu’il y a une partie des acteurs significatifs de cette immigration qui va nous échapper. Dans la déclaration du président du CCDH datée du 14 février, cela était clairement dit. Nous avons consciemment inséré ce paragraphe pour dire que malgré tous nos efforts, certaines composantes de ces communautés peuvent nous échapper et qu’auquel cas nous sommes à la disposition des groupes et acteurs pour organiser, à leur initiative, des consultations.
Un autre élément pour faire le point au jour d’aujourd’hui, nous avons aussi organisé une réunion avec les chercheurs marocains qui, au Maroc, travaillent sur la question.
Le Maroc est l’un des rares pays de la rive Sud de la Méditerranée à avoir plusieurs dizaines de chercheurs confirmés ou de doctorants qui travaillent sur l’immigration. La mobilisation de ce savoir-faire, de ces compétences et le soutien à ces chercheurs sont importants pour éclairer la décision publique.
Enfin, nous sommes en train de préparer pour les quatre prochaines semaines la consultation avec les acteurs politiques marocains, les syndicats et les associations marocaines œuvrant au Maroc.
Vous faisiez un diagnostic des dynamiques migratoires marocaines qui ont changé. Peut-on considérer aujourd’hui que ce diagnostic est fait ?
On a tout de même un premier élément qui permet de faire ce diagnostic : il s’agit du nombre relativement important de recherches consacrées à la question de la migration marocaine. Cette bibliographie permet d’établir un premier diagnostic des communautés marocaines en ce qui concerne la mondialisation, l’internationalisation, la diversification… Ce qui manque encore à ce diagnostic, ce sont les attentes et les dynamiques à l’intérieur de ces communautés. On peut déjà tracer deux constats. Il y a d’évidence et en même temps, un processus d’insertion et d’intégration des communautés marocaines dans les pays de résidence qui se fait à un rythme très rapide. Du Maroc, on a souvent une vision « misérabiliste » par rapport à tout parcours migratoire. Cette intégration se reflète par le nombre important d’entrepreneurs, d’élus, bref une émergence d’élites d’origine marocaine qui reflète un processus d’intégration accéléré d’une partie de la communauté. En même temps, une autre partie de la communauté est frappée par la discrimination, la xénophobie. Il faut prendre en compte ces deux dynamiques, intégration et discrimination. Il s’agit pour nous d’écouter ceux qui sont dans un processus de parcours de réussite et en même temps ne pas oublier que d’autres sont victimes de discrimination, échec scolaire, xénophobie…
Dans les deux cas, qu’il y ait processus d’intégration ou de marginalisation, il y a le maintien d’un lien très fort au pays d’origine qui se manifeste de diverses manières. La conséquence du maintien de ce lien -qui peut s’étendre jusqu’à la quatrième génération et ce malgré la perte de la langue d’origine- réside justement dans l’ampleur des attentes. Il y a aujourd’hui des attentes très fortes des pouvoirs publics marocains et qui ne peuvent pas se limiter simplement aux trois ou quatre mois de vacances.
Le CCDH est justement chargé d’émettre un avis sur la mise en place du Conseil des Marocains de l’étranger. Comment envisagez-vous un tel Conseil dans sa composition, son mode de fonctionnement et quel devrait être son rôle ?
Il est un peu trop tôt pour répondre à cette question. La philosophie même de ce processus est de recueillir le maximum d’éléments chez les acteurs les plus significatifs des communautés marocaines. On peut dire déjà qu’il y a une attente. Quels que soient par ailleurs la composition et le mode de fonctionnement de ce Conseil des Marocains de l’étranger, des éléments essentiels commencent à émerger. D’abord, l’importance de l’enjeu culturel. Il y a un souhait, une attente chez les Marocains de l’étranger, celui de maintenir un lien culturel très forts avec les cultures d’origine. Cela se traduit au niveau de la transmission de la langue, la gestion de la question religieuse, etc. Ce conseil devra traiter ces questions. Ensuite, il y a cette idée selon laquelle le Conseil doit répondre à un besoin de proximité. Un conseil représentant 3 millions de personnes est un objectif qu’il faut réussir et dans le même temps il faut faire le pari de la proximité. Enfin, il ne faut pas oublier les situations nationales très particulières.
On n’est pas marocain en Italie ayant émigré au cours des 20 dernières années comme on est un émigré de la 3ème génération en France ou un émigré dans le système politique belge où il y a débat sur l’identité belge elle-même.
On n’a pas les mêmes attentes lorsqu’on est dans un pays arabe, au Canada ou en Amérique. Dans la réflexion sur le prochain conseil des Marocains de l’étranger, il faut absolument tenir compte de la diversité des communautés et de celle des pays de résidence.
Il faut aussi faire un bilan serein des politiques publiques menées jusque-là. Il faut imaginer de nouvelles politiques publiques.
Le conseil doit être en adéquation avec les mutations, le bilan des politiques publiques et celles envisageables. Le conseil doit être une sorte d’assemblée consultative qui suit les mutations, les politiques publiques et propose des inflexions importantes au niveau de ces politiques. Ce sont des contraintes qu’il faut affronter et l’objectif du processus enclenché par le CCDH est d’essayer d’apporter des réponses.
Quand ce processus de consultation prendra-t-il fin et quand allez-vous remettre votre copie ?
Nous pensons achever ce processus vers la fin du mois de mai ou au début du mois de juin. Les résultats des séminaires, des questionnaires, des consultations, bref toutes les conclusions de ce processus doivent être achevés fin mai et contenues dans un rapport qui sera remis aux membres du CCDH. Ils pourront alors délibérer et émettre leur avis
Vous êtes vous-même Marocain établi à l’étranger. Faut-il, selon vous envisager une représentation parlementaire des Marocains d’ailleurs ? Est-ce une urgence ?
C’est l’une des questions qu’il faut traiter de la manière la plus rationnelle possible. Cela semble une évidence : si on est citoyen d’un pays, on participe à l’ensemble des élections et doit être électeur et éligible. La réflexion doit aujourd’hui porter sur la question de savoir comment on peut dans ce monde de mobilité de plus en plus croissante appartenir à plusieurs espaces politiques et comment on peut être citoyen dans plusieurs espaces politiques. Les réponses ne sont pas évidentes et ce n’est pas seulement une problématique marocaine. Dans ce monde où les populations en mobilité sont de plus en plus importantes –nous sommes à 200 millions de migrants dans le monde, un chiffre qui a augmenté de 25% en 5 ans- on peut être acteur, vivre dans plusieurs espaces politiques, avoir plusieurs nationalités. A l’occasion de la désignation de M. Ahmed Boutaleb, d’origine marocaine, comme ministre dans le gouvernement néerlandais, il y a eu une offensive de l’extrême-droite néerlandaise et flamande-belge demandant aux élus d’origine marocaine de déterminer à quel espace politique ils appartiennent.
Un Français d’origine marocain qui vit en France et qui s’est inscrit stratégiquement dans la société française tout en maintenant des relations avec le Maroc est citoyen français. Il est de plus en plus citoyen européen. En France, il appartient à une région, il participe à des conseils régionaux voire généraux etc. Il peut être élu et éligible dans le système politique marocain. Cette tension entre les niveaux de citoyenneté n’est pas propre aux Marocains et préfigure le monde de demain. Il faut la vivre en tant que telle, c’est-à-dire comme une vraie problématique qui n’appelle pas à mon avis une réponse schématique. C’est une question d’avenir à laquelle il faut réfléchir sereinement.
Libération - Narjis Rerhaye