L’artiste marocain Hatim Ammor a informé ses abonnés sur Instagram qu’il se prépare à subir une intervention chirurgicale.
Les chaînes musicales arabes connaissent un succès grandissant. Lucratives et peu coûteuses, ces chaînes ont encore de beaux jours devant elles. Casablanca, 20 heures, quartier Oulfa. Un malicieux regard en coin, Marwa, 8 ans, se déhanche au rythme du dernier tube de Ruby, passé en boucle sur la chaîne égyptienne Mazzika, sous le regard désapprobateur de son père.
Aziz, 45 ans, employé de banque et fan inconditionnel de la diva de la chanson arabe Oum Kaltoum, ne comprend pas en effet « ce que les gosses d’aujourd’hui (oulad el yaoum) trouvent à cette pseudo-musique frénétique et dépourvue de sens ». Un peu plus loin, à Beauséjour, Tarik, 26 ans, gérant d’un magasin de prêt-à-porter, bouche bée devant les formes plantureuses de l’hypnotisante Haïfa Wahbe, se dispute la télécommande avec sa cadette Yasmina, 17 ans, qui ne jure que par le casanova du pays du cèdre à la voix langoureuse, Wael Kafouri, diffusé sur la chaîne Rotana Clip.
Dire que les chaînes musicales satellitaires arabes connaissent un intérêt grandissant auprès de la jeunesse arabe, en général, et marocaine, en particulier, serait un euphémisme. L’engouement est carrément impressionnant. Les chiffres d’une étude présentée à ce sujet dans le cadre de la première conférence arabe sur les chaînes de télévision satellitaires -tenue du 11 au 15 février 2007 dans la capitale égyptienne- sont éloquents à plus d’un titre. Le nombre des chaînes arabes de vidéo-clip est passé de 3 stations en 1999 à 35 actuellement et 95% des jeunes arabes captent ce type de stations.
La star libanaise Haifa Wahbe
Le succès de ces chaînes est inquiétant même, pour certains intellectuels du monde arabe présents à cette rencontre initiée par la Ligue arabe. Certains universitaires et sociologues ont ainsi déclaré appréhender l’impact à moyen et long termes de ces chaînes sur la jeunesse et la famille arabes, chaînes s’appuyant à leurs yeux sur « la nudité à outrance, l’instrumentalisation excessive de l’image, les antagonismes entre femmes et hommes et le “viol de l’intouchable” justifié par la modernité ».
Qu’en est-il en fait ?
Le vidéo-clip arabe standard, si l’on peut dire, ne dure pas plus de 5 minutes. De l’amour et de l’eau fraîche à gogo donc, des décors oniriques, des paroles mielleuses, des mélodies vaporeuses ou des sons entraînants pour appâter une jeunesse oisive en pleine crise identitaire. L’art de la futilité délicieuse servie à des sociétés qui ne savent plus, c’est le cas de le dire, sur quel pied danser… Pourquoi les chaînes musicales arabes à succès n’évoquent-elles jamais les drames humains et sociaux qui secouent leurs régions, même d’origine, du bourbier irakien à l’éternel conflit israélo-palestinien en passant par le Liban en déchirement ou les crimes d’honneur en Syrie et l’oppression des femmes saoudiennes ? « De quoi parlez-vous, là ? Ces chaînes, c’est fait pour se rincer les yeux, pas pour cogiter. Et c’est fou comme une femme arabe un tantinet aguicheuse excite 100 fois plus qu’une occidentale dénudée. Je ne sais pas ce qu’il en est pour les autres, mais, personnellement, quand je veux me lamenter sur le sort des arabes et des musulmans dans le monde ou rêver au soulèvement de la Oumma, je zappe sur Al Jazeera. Ou j’écoute les vieux disques de Fayrouz. Là, je suis gâté ! », ironise Wassim, chef de produit, 27 ans. Des propos qui illustrent encore une fois les paradoxes de sociétés arabes en mutation, prises entre tabous, permissivité et désir de retour aux valeurs anciennes.
Autre ingrédient de poids des vidéos-clips concernés : le look hautement travaillé des chanteuses et chanteurs : lèvres pulpeuses, poitrine conquérante, formes galbées, regard aguichant et déhanchements lascifs pour les femmes, teint brun, regard sombre et mystérieux, mâchoire carrée, cheveux brushingués, chemise ouverte et torse poilu et bombé pour les mâles. Pour faire baver les téléspectateurs et nourrir leurs fantasmes, tous les moyens sont bons, du lifting du visage aux implants mammaires en passant par les rhinoplasties.
C’est comme si les puissantes maisons de production arabes, lancées dans une folle guerre de l’audimat et partant, du profit, faisaient en sorte de réunir en une seule personne toutes les caractéristiques physiques de l’homme oriental idéal (viril, romantique, attentionné et insondable à la fois) ou de la femme arabe parfaite (féminine, sensuelle, maternante et en même temps insaisissable) tels qu’ils sont perçus dans l’imaginaire collectif. Et la mayonnaise prend. Au Pays du Soleil couchant aussi. De nombreux jeunes Marocains et Marocaines, de 7 à 35 ans, essentiellement issus de milieux sociaux moyens et populaires, arabophones généralement, ne jurent plus que par les nouvelles, « armes arabes fatales », comme les dénomment certains, ces poupées de chair siliconées à la plastique irréprochable et quasi-irréelle.
Ceci dit, le vidéo-clip arabe a aussi ses détracteurs plus ou moins acharnés au Maroc. « Ce qui me fait marrer, c’est que de plus en plus de filles marocaines essaient de ressembler à ces starlettes dans leur habillement, leur coiffure, leur maquillage et leur attitude. Elles pensent avoir tous les hommes à leurs pieds de la sorte mais ce qu’elles ignorent, c’est ce que ces bombes nous font certes “bander”, mais ce n’est pas avec des femmes comme elles qu’on aimerait fonder un foyer car, au fond, elles nous font peur. Vous imaginez, vous, une Haïfa Wahbe discuter de crédit immobilier et de frais scolaires avec son mari ?Nous, on a besoin de femmes simples à gérer », assure Hicham, médecin, 28 ans.
« Il m’arrive de regarder ces chaînes par curiosité, mais jamais plus de 15 minutes. Mes copines disent que c’est dû au fait que je suis francisante, mais si je décroche vite, ce n’est pas une banale histoire de langue. Les chansons se ressemblent et, surtout, je ne m’identifie pas à ces soi-disant artistes qui décrivent une fausse réalité ou, en tout cas, une réalité qui ne me correspond pas en tant que Marocaine.Les relations hommes-femmes, pour ne citer qu’elles, sont bien plus complexes que ce que nous montrent ces clips », soutient pour sa part Siham, 25 ans, cadre marketing à Casablanca.
Pour Aïda, membre d’une association féminine, ces chansons et leurs vidéos-clips sont carrément un affront jeté au visage des militantes arabes de tous bords. Un peu comme si ces femmes cherchaient à tout prix à retrouver le statut d’objet sexuel et de potiche contre lequel les féministes se sont battues et continuent à se battre.
L’un des rares terrains où islamistes et féministes se rejoignent dans une étrange symphonie…
Quoi qu’il en soit, la fin de ces chaînes à vidéo-clip n’est pas pour demain. D’autant plus qu’elles sont lucratives et peu coûteuses : elles récolteraient des marges bénéficiaires variant entre 30 et 40% et le montage d’une chaîne du genre coûterait seulement 350.000 dollars. Et, aussi “fausses et nulles” soient-elles, ce ne sont pas les stars et starlettes de la nouvelle chanson arabe qui se plaindront de ne pas goûter au gâteau. Certaines d’entre elles figurent même sur la liste des personnes les plus riches au monde que dresse annuellement la revue Forbes. Parmi les nouveaux millionnaires basanés, l’Égyptien Amr Diab (37 millions de dollars), la Libanaise Elissa (31 millions) et ses compatriotes Nancy Ajram (17 millions) et Ragheb Allama (16 millions).
Peu importe les éclats d’obus, les appels de détresse et les cris de foule en colère au dehors, les bombes anatomiques arabes peuvent continuer à chantonner gaiement sous leur douche, des lendemains paisibles les attendent... Assurément.
Maroc-Hebdo - Mouna Izddine
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