
Les footballeurs musulmans qui évoluent dans certains pays d’Europe sont autorisés à rompre leur jeûne pendant les matchs du soir tout au long du mois de ramadan qui court du 1ᵉʳ au 30 mars 2025.
Au Maroc, la misère, la perte de dignité et d’identité ont servi de terreau à l’islamisme extrémiste. L’islamisme politique en Belgique, lui, se nourrit des frustrations et humiliations de la communauté marocaine. Aux politiques d’en être conscient
Il y a un mois jour pour jour, une dizaine de jeunes marocains se faisaient exploser à Casablanca, la capitale économique du Maroc, faisant 43 morts dans les premiers attentats de l’histoire de ce pays. Personne n’aurait jamais cru que de tels événements pouvaient se produire dans ce pays si proche, réputé stable et tolérant. Et pourtant. Les auteurs de ces crimes ignobles étaient de jeunes désoeuvrés issus des milieux les plus pauvres de Casa, quartiers de taule et de crasse où s’entassent des centaines de familles sans revenu ni horizon. On a tôt fait de parler de l’internationale islamiste derrière ces attentats, laquelle internationale, après s’être attaquée aux symboles de l’Occident et de l’Amérique, a commencé, avec Riad et Casablanca, à s’en prendre aux pays musulmans jugés « impies » par le réseau et ses dirigeants. L’analyse convainc, mais elle semble un peu courte pour expliquer le passage à l’acte de ces jeunes kamikazes. Certes, il y a la misère, qui ruine les espoirs d’émancipation de générations entières. Mais la misère seule n’a jamais engendré des kamikazes. Elle ne suffit pas. Il y a surtout les frustrations et les humiliations accumulées par ces mêmes jeunes et ces peuples, les laissés pour compte de notre temps. Ce sont ceux dont on piétine la dignité depuis trop longtemps qui sont prêts à sacrifier leur vie au nom d’une cause censée les sauver. Alors seulement intervient l’Islam. Ou plutôt, une manipulation éhontée de l’Islam, religion de bonté et de juste mesure, au service d’une revanche politique. L’islamisme extrémiste procure la dignité à ceux qui en sont dépouillés, mais réclame en échange un don de soi total, au service d’un dessein au mieux missionnaire, au pire destructeur. Cette évolution n’est pas ordinaire : il ne faut pas oublier que les auteurs de ces attentats ont tué leurs coreligionnaires, leurs compatriotes. Je reviens précisément du Maroc où j’ai séjourné deux semaines entre Rabat, Casablanca et Tanger. Au sein de la population, dans les médinas, les cafés, salons, commerces ou autres taxis, le discours est partout identique : non aux islamistes, non à l’intégrisme. Cet Islam n’est pas le nôtre, semblent répéter les uns et les autres, choqués par la tournure des événements, mais qui résistent pour que l’Islam marocain demeure celui dont ils sont fiers, moderne, ouvert et tolérant. Certes, l’Etat marocain doit aujourd’hui, au-delà du réflexe d’autodéfense compréhensible et légitime, recentrer son programme d’action sur les besoins réels de la population, une des plus pauvres du monde arabe, affichant un taux d’analphabétisme dramatiquement élevé. Un nouveau programme de gouvernement, moins économique, plus social, vient d’ailleurs d’être présenté devant le Parlement.
La preuve par Casablanca
Mais en Belgique non plus, cet Islam n’est pas le nôtre, même si l’islamisme politique vient d’y naître avec les élections du 18 mai, deux jours après les attentats de Casa. Ceux-ci ont suscité plusieurs prêches d’apaisement dans les mosquées bruxelloises, condamnant les attentats, rappelant le message de paix de la religion du prophète Mahomet. Mais l’islamisme politique est d’une autre nature. Par essence, il ne s’arrête pas aux enseignements de la religion, il court derrière le pouvoir. Celui d’exister, mais aussi peut-être, dans le contexte d’aujourd’hui, celui de prendre une revanche... Aussi, contrairement à beaucoup d’autres concitoyens belgo-marocains, je ne pense pas que les problèmes sociaux soient les seuls éléments sur lesquels il faille agir pour éviter un durcissement de cette expression politique de l’Islam belge, et un glissement de l’islamisme vers l’extrémisme. La preuve par Casablanca. En effet, de même que c’est l’absence d’existence sociale, d’identité et de dignité, qui semble avoir amené les kamikazes de Casablanca à commettre leur crime, ce sont les déchirures identitaires, les frustrations et les humiliations dont souffre encore trop souvent la communauté marocaine de Belgique qui me paraissent être le levier déterminant de l’islamisme politique en Belgique. Ne nous voilons pas la face : les Belges d’origine marocaine ne sont pas considérés comme des Belges à part entière par leurs concitoyens. De même, le Maroc devient pour eux un miroir dans lequel ils se reconnaissent de moins en moins. Et le miroir le leur rend bien ! Dans cette recherche identitaire, l’Islam peut alors apparaître comme une appartenance stable. Or comme toute formation d’identité politique, il y a un « autre » auquel on s’oppose, et qui permet de définir son propre « moi ». Une opposition qui peut facilement glisser vers l’affrontement lorsqu’aux problèmes identitaires s’ajoutent des difficultés économiques et sociales doublées d’un sentiment fort de frustration et d’humiliation. Le risque que cette identité en gestation soit récupérée par un islamisme politique militant et radical devient alors d’autant plus grand. Nous en sommes là aujourd’hui. Et il importe que le politique prenne cette problématique à bras le corps - en cherchant à valoriser la belgitude des personnes « d’origine étrangère » - car elle touche au fondement même de la société belge, et à sa cohésion. La manière quelque peu expéditive dont les négociateurs du prochain gouvernement ont traité le chapitre « société multiculturelle » du programme est un mauvais signal. En attendant, les extrêmes des deux bords continueront de profiter du flou, nourissant la méfiance réciproque et pourrissant le climat social. Les musulmans, eux, demeureront les premières victimes de cet entre deux.
La libre Belgique, Belgique
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