Les 1001 vies de Lahcen Kharbach

20 novembre 2007 - 10h47 - France - Ecrit par : L.A

Ouvrier chez Peugeot, puis commerçant, Lahcen tient le Bazar d’Agadir, fourre-tout bondynois qui fait le bonheur des modestes et des snobs. Portrait.

Tous les Bondynois sont déjà passés devant. Tous les Bondynois n’y ont pas mis le pied. Pourtant, tous en ont déjà entendu parler, « le Bazar d’Agadir ? Ouais, ouais, j’connais… ». Un samedi matin de novembre, nous franchissons le pas de la porte devant laquelle nous sommes si souvent passés sans oser y entrer. N’importe qui s’attendrait à un classique magasin de meubles, une sorte de dépôt-vente aux accents orientaux. Mais c’est dans une véritable caverne d’Ali Baba que nous pénétrons. Des cartons emplis de disques vinyles, des vieux meubles, des reliques d’ordinateurs et tant d’autres objets se côtoient : un micro-ondes pour 25 euros, un clic-clac en jersey bleu pour moins de 100 euros, les prix défient toute concurrence !

C’est dans cette grotte autant que labyrinthe d’objets incongrus et dissemblables qu’est engouffré le propriétaire des lieux, Lahcen Kharbach. Immigré marocain originaire d’Agadir, arrivé en 1974 à Bondy, il s’est essayé à diverses activités. Après six ans comme ouvrier chez Peugeot, il devient commerçant en reprenant un café, une épicerie rue Blanqui et une boucherie, avant d’installer son dépôt-vente en face de l’enseigne Conforama, d’où il a été expulsé dans les années 1990. C’est finalement non loin de là, rue Jules-Guesde, qu’il installe son affaire. Mais les travaux de réaménagement du centre ville rendent incertain l’avenir du commerce. Il négocie avec la Mairie qui a entrepris des travaux d’agrandissement de la chaussée jouxtant le Bazar.

Il travaille là depuis maintenant dix années. Dix années que Lahcène s’active tel un chef d’entreprise, avec la collaboration d’un commissaire-priseur de tutelle. Deux fois par mois, il examine dans le magazine Le Moniteur des Ventes des milliers d’articles vendus aux enchères publiques, qu’il tente ensuite d’acquérir pour finalement les entasser dans son camion et les entreposer au dépôt. La clientèle du Bazar d’Agadir a évolué en même temps que les mutations qui ont touché la population bondynoise. A l’origine constituée de clients aux revenus très modestes qui équipaient leur foyer pour des sommes modiques, de plus en plus de chineurs débarquent au magasin, « ça fait plusieurs fois qu’une Anglaise vient ici », s’amuse Lahcène, tout sourire. Seules quelques familles africaines s’équipent encore de temps en temps au Bazar. Amer, Lahcen Kharbach observe que « ça marchait mieux avant ». Avant le début des années 2000.

Il nous accueille en tout cas aussi chaleureusement que cet habitué à la recherche du meuble qui ferait son bonheur et qui demande « t’as trouvé le truc que je t’ai demandé ou pas encore Lahcen ? ». Entre le coup de fil d’un collaborateur qui l’informe d’une prochaine vente intéressante, la discussion avec un client, la rencontre brève avec son épouse pour qui il a ouvert un taxiphone au sein de la boutique « pour éviter qu’elle ne s’ennuie », nous découvrons un homme généreux et drôle. Nous sommes venus visiter le Bazar d’Agadir, nous tombons sous le charme de Monsieur Kharbach.

A la question qui fâche souvent, celle de l’âge, il répond avec entrain « 66 ans », et rectifie, le sourire au coin des lèvres « mais j’ai 30 ans dans ma tête ». Tout est question d’équilibre, après trente-trois années au Maroc et trente-trois en France, Lahcen envisage de refaire le voyage dans l’autre sens, parce que « la retraite, c’est pas pour moi ». Après nous avoir proposé un thé à la menthe, Lahcen résume ses dix années au Bazar par une anecdote, celle de son dernier objet vendu, un canapé qui « lâchait de la terre rouge. Tous les jours je nettoyais et puis j’en ai eu marre, j’ai décidé de le jeter. Une femme l’a vu devant le magasin, sur le trottoir et m’a demandé à combien je le vendais. Elle l’a acheté ! ».

Bondy Blog - Hanane Kaddour, Bouchra Zeroual, Fethi Ichou

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Sujets associés : France - Immigration

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