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La frontière entre l’Algérie et le Maroc a été exceptionnellement ouverte cette semaine pour permettre de rapatrier le corps d’un jeune migrant marocain de 28 ans, décédé par noyade en Algérie.
A la discrimination et aux clichés anti-beurs rémanents dans la France actuelle, Nora Barsali et François-Xavier Freland opposent une galerie de portraits de « beurs qui ont réussi ». Une initiative trop approximative et complaisante qui a pourtant le mérite de vouloir répondre à la crise de la représentativité.
« En 2003, pour la première fois dans mon pays, j’ai vécu la discrimination, moi qui ne m’étais jamais posé de questions sur mon identité » raconte Nora Barsali, consultante et chef d’entreprise dans le secteur de la communication. A trente quatre ans elle a brusquement pris conscience de la rémanence des préjugés en France et de l’exclusion des beurs, « ces Français pas comme les autres ».
Elle n’est sûrement pas la seule à avoir suivi une scolarité « normale » et pris « l’ascenseur social » pour se voir, aujourd’hui, renvoyée à ses origines. Ils doivent être quelques uns, ces enfants « issus de l’immigration » ayant grandi « loin des cités » ou en étant sortis, à souffrir de cette image « d’immigrés » qu’on leur colle à présent, alors qu’ils sont « Français à part entière ».
D’où un sentiment d’injustice auquel Nora Barsali tente de répondre en donnant la parole à ces « Français en mal de représentativité ». D’où une vingtaine de portraits qu’elle tire avec François-Xavier Freland, journaliste à France Info « pour en finir avec la discrimination et les clichés anti-beurs ».
L’entreprise est certes louable, et certainement apaisante voire salutaire pour les concernés. Elle n’en prête pas moins à discussion. Car l’ouvrage ne propose ni débats, ni analyse : c’est une galerie de portraits affichant vingt et une personnes et leurs parcours de « beurs qui ont réussi ».
Des politiques (Tokia Saïfi, Malek Boutih, Abdel Aïssou), des cadres (Hakim Bensaid, Amar Douhane, Yazig Sabeg, Chafia Amarouche, Nadia Amiri), des journalistes (Aïda Touihri, Mouloud Mimoun), des artistes (Yamina Benguigui, Magyd Cherfi, Malik Faraoun, Rachid Khimoun) et puis un rugbyman, Abdelatif Benazzi, et une coiffeuse (Nadya Ben Salah)... Quelques réflexions ci et là. « Il y a la France d’en haut, la France d’en bas et puis la nôtre, celle du sous-sol » assène la réalisatrice Yamina Benguigui. « En 83 on était la plaie de la société maintenant on est acclamé par les jeunes ou les bobos » s’amuse le chanteur Magyd Cherfi.
« Au Maroc, la France, c’est d’abord des « expat » avides de culture mauresque, mais aussi des fils de colons qui vivent en circuits fermés » affirme Hakim Bensaid, chef d’une entreprise blanck-blanc-beur. Ou encore ce comédien qui regrette de ne pas se voir proposer des rôles en tant qu’artiste français. Mais peu de témoignages vraiment dans cette succession de curriculum vitae exemplaires, exposés avec bonne volonté et bons sentiments, mais trop d’amicale complaisance. Il manque cette distance nécessaire pour bien « croquer » les personnalités et leurs questionnements.
De nouvelles idoles aux côtés de Zidane ?
Une bonne moitié d’entre eux est née en Algérie ou au Maroc. Ce sont des français récents qui ont réussi leur intégration et non des français de seconde ou troisième génération qui se retrouvent en marge. Pour les autres, presque tous nés entre les 1950 et 1970, ils appartiennent à cette génération qui a cristallisé idéaux, espoirs et actes militants autour de la Marche pour l’égalité et contre le racisme de 1983.
Aujourd’hui, ils appartiennent à une certaine élite parfois appelée « beurgeoisie ». Or, comme le dit en postface Christian Delorme, prêtre du diocèse de Lyon, un des initiateurs de la Marche : « Dans les banlieues aujourd’hui, ils sont peu qui se souviennent, ou même ont entendu parler de cette Marche ».
Peut-on espérer alors que ces vingt et uns méritants remplaceront un Zinedine Zidane, un Jamel Debouzze ou un échappé de la Star’Ac dans l’imaginaire de cette jeunesse qui est justement stigmatisée ? Comment ne pas penser à cette « discrimination positive » dont on parle tant en France ces temps-ci ? Peut-on vraiment répondre à la « diabolisation des beurs » par la promotion de ce que Nora Barsali appelle elle-même « parangons d’une intégration réussie » ? Il est à craindre que cette « démarche citoyenne » ne serve, avec les meilleurs intentions du monde, de caution politique, en procédant des mêmes logiques de représentativité que celle des quotas dans les grandes écoles ou à la télévision.
Générations Beurs. Français à part entière, Nora Barsali, François-Xavier Freland, Anne-Marie Vincent, Autrement, 148 p.
Ingrid Merckx
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