Mohamed Graigaâ, directeur exécutif de l’Association marocaine de planification familiale (AMPF), estime que l’avortement à risque contribue de manière significative à la hausse du taux de mortalité maternelle. « 13% de la mortalité maternelle au Maroc est imputée à l’avortement. Elle représente 227 morts pour 100.000 naissances. Ce qui nous place parmi les pays à risque », souligne-t-il. A défaut de prétendre à une légalisation, l’AMPF œuvre pour l’institutionnalisation de l’avortement thérapeutique. « Il faut d’abord lutter contre les IVG clandestines. Pour ce faire, nous conseillons aux femmes désireuses de se faire avorter d’éviter les cabinets qui pratiquent l’IVG clandestinement et les orientons vers l’avortement thérapeutique », explique le directeur de l’AMPF.
Chez les praticiens, la légalisation de l’IVG ne fait curieusement pas l’unanimité. Si Chafik Chraïbi, médecin obstétricien, crie haut et fort la nécessité d’assouplir les conditions de l’avortement (voir interview page 6), tous ces collègues ne partagent pas son avis. « Le débat sur l’IVG est un thème avorté », souligne un confrère à Chraïbi. Selon cet obstétricien de Settat, le débat n’a pas sa place au Maroc, du moins pas encore.
« D’autres pays, plus émancipés que le Royaume par rapport à la religion, n’ont pas légalisé l’IVG ». Allusion est faite aux Etats-Unis où la légalité de l’avortement dépend de l’adresse de la femme enceinte ! « Au Maroc, le référentiel religieux constitue un rempart dressé devant les partisans de la légalisation. Car légaliser l’IVG conduirait à la reconnaissance implicite des relations sexuelles hors mariage », ajoute l’obstétricien de Settat.
Illégal ou pas, l’avortement est pratiqué quotidiennement au Maroc. Dans les milieux défavorisés, les femmes enceintes se tournent vers la médecine populaire qui a beaucoup de succès. Les faiseuses d’anges recourent davantage à la méthode de l’aspirine dissoute dans un soda, à une boisson à base de cannelle ou encore à la méthode de perforation de l’œuf par l’introduction d’un objet long et contondant (notamment les crochets à tricot). Dans le circuit médical, la technique de l’aspiration et des produits médicamenteux font partie des méthodes les plus utilisées.
La première technique est souvent conseillée dans les premières 8 semaines de grossesse. Elle consiste à anesthésier la patiente pour ouvrir le col de l’utérus et aspirer le fœtus par la suite. Cette méthode comporte des risques de perforation de l’utérus lorsque la grossesse dépasse deux mois. « Auquel cas, le médecin opte pour les produits médicamenteux qui consiste à expulser le fœtus », ajoute ce gynécologue. Selon lui, toutes ces méthodes comportent des risques, mais « jamais autant que la clandestinité ».
« Hors de prix »
Le prix d’un avortement varie selon plusieurs critères. Dans le circuit médical, « les tarifs vont de 1.000 à 10.000 DH », souligne un gynécologue à Salé. En fait, la variation dépend de l’âge du fœtus. « Avant 8 semaines, le prix n’est généralement pas très élevé. Au-delà, le risque de complications s’accroît, le tarif aussi ». Selon Chafik Chraïbi, gynécologue obstétricien, « l’illégalité de l’opération agit beaucoup sur son prix ». Et d’ajouter : « Les médecins doivent payer le risque qu’ils prennent à la patiente. Si les conditions légales de l’avortement étaient plus souples, les médecins n’auraient certainement aucune raison de le facturer aussi cher ». Mieux encore, ajoute l’obstétricien, « l’assouplissement des conditions de cette opération orientera les patientes vers le circuit médical, beaucoup plus sécurisé ».
L’Economiste - Naoufal Belghazi