Mohammad multiplie les va et vient dans cette laiterie de Mohammedia. Âgé d’à peine une dizaine d’années, il est un peu “l’homme” à tout faire : passer le balai, faire la plonge, servir quelques clients et, quand besoin est, s’occuper de menues courses. Ses journées de travail, plutôt harassantes, sont en outre ponctuées par les “directives” de son employeur. Directives qui prennent la forme d’insultes ou d’invectives et, trop souvent, d’une gifle par-ci, d’un coup de pied par-là. Le vécu de Mohammad n’a malheureusement rien d’exceptionnel. Il s’apparenterait plutôt à une situation quasi-banale, qui montre le peu de cas fait dans la société marocaine de maltraitance des enfants.
Pour la première fois, le ministère de la Justice, en partenariat avec l’Unicef, a produit une étude pour appréhender la situation de ce type de violence. Les résultats de cet état des lieux devraient servir à proposer des axes d’intervention pour prévenir et combattre les sévices subis par les enfants. Et par violence à l’égard des enfants, il faut comprendre toutes formes de brutalités physiques ou psychologiques, abandons ou négligences, incluant les abus sexuels, les brimades et les punitions corporelles, le trafic ou l’exploitation économique des enfants. Si les auteurs sont les premiers à pointer le manque d’information (seules 4 ONG sur les 30 sollicitées ont répondu aux questionnaires, alors que le Secrétariat d’Etat à la Jeunesse est resté aux abonnés absents) et l’absence de statistiques fiables et complètes, les conclusions dégagées montrent que la situation est pour le moins alarmante.
En effet, aucune composante de la société n’est épargnée par le phénomène : depuis la famille jusqu’à la police, en passant par l’école, la rue, le monde du travail et même les institutions de bienfaisance. À tel point que “la violence apparaît comme une méthode éducative et un mode de régulation sociale culturellement admis”, fait remarquer le document. Ainsi, dans les écoles, la pratique semble courante : 87% des enfants questionnés disent avoir été frappés, alors que 73% des enseignants reconnaissent recourir aux châtiments corporels. Au sein de la famille, les violences sont peu fréquemment dénoncées. Encore moins quand il s’agit d’abus sexuels. C’est aussi le cas des violences commises par les employeurs, les éducateurs et les agents d’autorité.
97% de sévices impunis
Dans ces conditions, il est logique que la violence à l’égard des enfants ne soit que rarement sanctionnée. Bien que l’on ne dispose d’aucune étude globale, les auteurs de ce rapport avancent que plus de 97% des sévices et actes de maltraitance restent impunis. Et pour cause : les victimes elles-mêmes, comme les personnes qui repèrent les violences, ne savent à qui s’adresser ni comment.
Les dispositifs mis en place (centres d’écoute, numéro vert) sont peu connus et très insuffisants, alors que la police, perçue d’abord comme une force de répression, n’est pas considérée comme une voie de recours.
Le silence est un autre obstacle important à la répression des violences. Les enfants eux-mêmes considèrent les coups qu’ils reçoivent au quotidien comme des choses “normales” et “méritées”, comme l’a montré l’analyse des focus groups organisés par les auteurs de l’étude.
Enfin, les réponses proposées aux enfants victimes de violence en matière de prise en charge restent très insuffisantes. Ces dispositifs (centres d’accueil, centres d’écoute, assistance sociale…) souffrent d’un manque de moyens humains et financiers, et les travailleurs sociaux sont trop peu nombreux et manquent de qualifications. Quant à la justice, elle ne contribue que faiblement à réduire l’incidence des violences à l’encontre des enfants. Les procédures judiciaires sont complexes et très lentes, et les sanctions prononcées sont parfois peu sévères.
En guise de conclusion, l’étude propose nombre de recommandations, incluant de nombreuses mesures, allant de la formation des acteurs sociaux à la réforme de la justice. Mais par où commencer ?
Source : Telquel - Samir Achehbar