En février 2003, la cour d’assises du Rhône s’apprêtait à la juger en appel. Mais l’audience tourne court. Le matin du premier jour, le président avait reçu une lettre du mari de Jamila. Il s’accusait du meurtre et annonçait son suicide (Libération du 28 février). A l’arrivée des gendarmes, l’homme est dans le coma. Il en est sorti au bout de quelques jours et livre un nouveau coup de théâtre. Il n’a jamais, dit-il, écrit au président. Ne s’accuse pas du meurtre. Et n’a jamais tenté de se suicider. Quelqu’un s’en est donc chargé à sa place. Le parquet de Villefranche a ouvert, mardi, une information judiciaire, pour tentative d’assassinat, faux et usage de faux. L’instruction va compléter un dossier déjà parsemé de lettres mystérieuses.
Corps calciné. L’histoire, pour la justice, commence le 26 février 1999. Ce jour-là, les pompiers de Bourg-en-Bresse découvrent le corps calciné d’un vétérinaire, Jacques Brunet, dans son appartement. Une certaine Myriam Maillard, « amie intime » de la victime, les a alertés. Elle raconte aux policiers que l’homme avait l’habitude de prendre des somnifères et de s’endormir avec une bougie pour éviter de se relever éteindre la lumière. La justice se contente de cette version.
Quelques semaines plus tard, la veuve du vétérinaire, qui vivait séparée de son mari, apprend qu’un expert en assurances a trouvé de légères traces d’hydrocarbures sur les plinthes de l’appartement et les restes du matelas. Elle appelle alors Myriam. Les deux femmes ont fait connaissance le soir de la découverte du corps. Elles discutent longuement. L’épouse raconte à la maîtresse la curieuse découverte de l’expert. Quelques jours plus tard, elle reçoit une étrange lettre, rédigée par une femme qui se dit amoureuse de son mari et raconte que le vétérinaire lui avait présenté Myriam. Cette dernière est « un être bon et généreux » qu’il ne faut pas accuser de la mort de Jacques Brunet. La veuve n’accuse personne, mais comme les comptes de son mari ont été vidés, elle préfère demander à la justice un petit supplément d’enquête.
Assassinat. Le corps de Jacques Brunet est alors exhumé, et l’autopsie relève qu’il n’y a pas de suie dans la trachée. Il était donc mort au moment de l’incendie. Un médecin découvre ensuite que la victime a été aspergée de benzène, et un autre qu’il a absorbé une dose massive d’antidépresseurs, juste avant sa mort. Le parquet ouvre une information pour assassinat.
Les gendarmes s’intéressent alors à cette Myriam Maillard. Et rapidement découvrent qu’elle s’appelle en réalité Jamila Belkacem. Maillard est le nom de son mari, dont elle vit séparée. Et Myriam, le prénom d’une de ses filles, âgée alors de 11 ans. Jamila, pour sa part, a 39 ans au moment des faits. Venue du Maroc en 1984, elle s’est mariée avec René Maillard, et a eu quatre enfants. Puis ils se sont séparés, afin de toucher davantage d’allocations familiales, selon le mari. Selon Jamila, c’est parce qu’il est homosexuel.
Quoi qu’il en soit, en 1997, Jamila Belkacem rencontre Jacques Brunet, le vétérinaire. Il finit par s’installer chez elle, à Villefranche-sur-Saône, en septembre 1998. Jamila raconte alors à son mari que Brunet est un « bon ami », atteint d’une tumeur au cerveau. Il n’en a plus pour longtemps. A l’amant, elle fait croire que son mari est en fait son demi-frère, et qu’il s’appelle « Georges ». Le mari joue le jeu, puis craque en entendant sur un répondeur que le malade appelle sa femme « minou ». Il balance alors la vérité, mais l’amant continue, imperturbable, à l’appeler « Georges ».
Les choses se gâtent ensuite pour le vétérinaire. Chez Jamila, il devient apathique, nonchalant. Dort souvent la journée. Tout le monde remarque qu’il prend beaucoup de médicaments, que Jamila lui prépare parfois. Elle aurait fabriqué de fausses ordonnances afin d’acheter quantité d’antidépresseurs.
A la même période, les comptes de Jamila se remplissent, et ceux de l’amant baissent. Il n’y prête pas attention, ne regarde jamais ses comptes. Il a seulement un rêve, qui nécessite beaucoup d’argent. Il veut acheter un beau bateau, et faire le tour du monde avec Jamila et les quatre enfants. A l’hiver 1998, Jamila et lui en visitent plusieurs, aux Baléares et à Deauville. Le projet se précise, début février 1999. Brunet va-t-il découvrir que plus de 500 000 F ont quitté ses comptes pour rejoindre ceux de Jamila ? Le 19 février 1999, elle part avec lui dans son appartement de Bourg-en-Bresse. Plus personne ne reverra le vétérinaire autrement que carbonisé.
Lettres. Depuis, Jamila Belkacem nie. Elle a fait une tentative de suicide en prison, et une grève de la faim lui a fait perdre une dizaine de kilos. Mais une multitude de détails l’accablent. Les enquêteurs ont découvert sur un ordinateur que Jamila avait conservé la trace des fausses ordonnances ainsi que la lettre expédiée à l’épouse pour défendre « Myriam ». Or, selon un expert, cette lettre a été tapée le 25 février. La veille de la découverte du corps. Mais comme ce dossier n’est pas simple, Jamila a reçu à son tour une lettre, en détention. Il y est notamment écrit : « Je t’ai eue sale #### [...> tout était calculé [...> le juge a cru à mon histoire. » L’auteur n’est toujours pas identifié.
Jamila sera jugée, condamnée. Enfin, la cour d’assises de Lyon recevra les fameux « aveux », le jour où l’appel devait être jugé. Depuis, les enquêteurs sont venus à la prison, comparer le courrier avec les ordinateurs auxquels Jamila a accès. La lettre n’a pas été tapée là. Ni de l’ordinateur du mari. Il y aurait une tierce personne. Après le faux suicide, l’aînée des quatre enfants (17 ans) a été placée pour la soustraire aux influences des deux parents, indique une source judiciaire. Les enquêteurs craignent que l’adolescente ait tenté, fin février, de disculper sa mère.
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