Diplomatie : Sahara, Le Maroc condamné à avancer

3 novembre 2003 - 14h36 - Maroc - Ecrit par :

Nous sommes déjà en difficulté. Et encore une fois, nous hurlons à la "partialité" de l′ONU et de James Baker. Si nous persistons sur cette voie, nous risquons de l′être, beaucoup plus sérieusement, d′ici janvier.

Notre diplomatie est vraiment déconcertante. Il y a deux semaines, elle orchestrait une campagne de presse fustigeant l′ONU, son secrétaire général Kofi Annan et son envoyé au Sahara James Baker. Dans le désordre et avec virulence. La semaine suivante, étonnamment, elle se "félicitait" de la prorogation du mandat de la mission Onusienne au Sahara jusqu′au 31 janvier.

Explication, par Taïeb Fassi-Fihri, ministre délégué aux Affaires étrangères : "La résolution n′est qu′une prorogation technique, qui ne fait pas référence au rapport de Kofi Annan appuyant le plan Baker". Ah ? Cela veut-il dire que ce plan Baker, qui inquiète tant le Maroc, est abandonné, dissous, on n′en parle plus ? "En tout cas, la résolution n′en faisait pas mention", rétorque Fassi-Fihri avec aplomb. Il faut croire que cette petite nuance sémantique est perçue comme un grand succès diplomatique. Le ministre des Affaires étrangères du Polisario appelle cela (la non-référence au rapport, suivons bien) de la "souplesse". Une souplesse qui, s′énerve Mohamed Salem Ould Salek, "met en jeu la crédibilité de l′ONU".

Voilà. C′était le petit échange épistolaire de la quinzaine. De la forme, et plutôt ridicule tellement elle va dans le détail. Quand au fond, il demeure le même, c′est-à-dire toujours aussi inquiétant. Même s′il menace réellement notre stabilité, le plan Baker est toujours d′actualité (navré pour M. Fassi Fihri) faute d′autre solution. Pour l′instant, son application "requiert l′accord des parties". Mais en janvier prochain, quand Kofi Annan remettra un nouveau rapport au Conseil de sécurité, la requéra-t-elle toujours ? Rien n′est moins sûr. C′est pour cela que malgré les ronds de jambe des communiqués, les "nous nous félicitons", les "nous sommes disposés à contribuer positivement", etc., les diplomates marocains ont peur. Et quand ils ont peur, ils agressent.

C′est ainsi que Baker serait un "intermédiaire dont on peut se passer".
La déclaration, bien sûr, est faite sous le sceau de l′anonymat. Car dans cette affaire, James Baker, c′est évident, ne représente pas uniquement Kofi Annan, mais aussi, quelque part, l′administration américaine. Pour la famille Bush, Baker est non seulement un ami proche, mais aussi celui auquel on fait appel en cas de coup dur. N′est-ce pas lui qui avait dirigé le collectif d′avocats chargé de défendre Bush fils pendant la période qui avait suivi son élection (très) tangente à la présidence des Etats-Unis ? Il n′est donc pas absurde de considérer que les vues de James Baker sur le Sahara reflètent, aussi, celles de l′administration américaine. A savoir, en substance : il faut avancer, vaille que vaille.

Baker, trop risqué !

Rappelons, pour mieux comprendre à quel point le royaume se retrouve aujourd′hui le dos au mur, les grandes lignes du plan Baker : un référendum d′autodétermination organisé 4 à 5 ans après une période de très large autonomie : le Sahara aurait un gouvernement propre, avec un chef élu (par des listes restreintes d′électeurs qui défavorisent déjà le Maroc), une police (armée) autonome et, pire, un parlement et une justice tout aussi autonomes, c′est-à-dire ne tirant pas leur légitimité du roi du Maroc. Autrement dit, une indépendance avant la lettre, à peine déguisée.

Il ne fait guère de doute que dans ces conditions, si référendum il y a, l′option gagnante sera très probablement l′indépendance. Ce qui déclencherait sans doute une crise politique majeure au Maroc. Nous l′écrivions dans ce magazine en juillet, de terribles conséquences s′ensuivraient : un séisme dans la classe politique marocaine, des risques d′émeutes populaires (depuis le temps que la sacralité est brandie à tout bout de champ sur le sujet - on ne sème jamais la propagande impunément) et surtout, surtout, une armée royale humiliée (28 ans de sacrifices pour en arriver là !) qu′on cantonnerait dans les casernes du dakhil…

Le risque est trop énorme pour être couru. Outre qu′il serait amputé de sa moitié, le Maroc risque d′entrer alors dans un cycle d′anarchie long et indéterminé. Bref, pas question d′appliquer le plan Baker tel qu′il est, la survie du royaume en dépend !

Mais se contenter de proclamer cela, même avec énergie, ne suffira pas. Nos états d′âme importent peu à la machine onusienne, qui continue d′avancer… au diapason américain, comme sur la plupart des "dossiers mineurs". Le Sahara, contrairement à l′Irak, est un "dossier mineur".

Les Américains ont donc les coudées franches - c′est-à-dire qu′ils ne risquent pas de se voir opposer de résistance acharnée d′une Europe désireuse de "rebipolariser" la planète. Nous nous targuons de l′appui de la France, de la Chine et de la Russie, membres permanents du Conseil de sécurité. Mais oseront-ils brandir leur veto ? Peut-être, pour la France, mais il faudrait vraiment que la résolution "à contrer" impose des sanctions draconiennes à un Maroc récalcitrant. Nous n′en sommes pas encore là. Mais nous pourrions bien y arriver, si nous continuons à rejeter le plan Baker en nous enfermant dans notre propre rhétorique, et sans rien proposer en échange.

C′est, d′ailleurs, tout ce que demande Baker. Que le Maroc reprenne l′initiative. En mai dernier, nous nous étions contentés de critiquer le dernier plan Baker sur des points de détails, avec plus ou moins de virulence, mais sans lui apporter d′alternative. Résultat : l′Algérie et ses féaux du Polisario s′étaient empressés de l′accepter, isolant ainsi le Maroc. Depuis, à chaque jour qui passe sans contre-proposition marocaine, nous sommes un peu plus isolés. Et l′horloge tourne…

Que se passera-t-il, si cet inquiétant immobilisme persiste ? Une "imposition" du plan Baker au royaume ? Dans son rapport (celui auquel "il n′était pas référence" – mais qui n′a pas disparu quand même !), le secrétaire général de l′ONU a déclaré : "(En cas de non réponse du Maroc ‘avant la fin de l′année’) Je présenterai de nouveau au Conseil de sécurité, en janvier, mes vues sur l′avenir du processus de paix". Ses "vues" ? Il est fondé de craindre quelque chose qui soit le début d′un processus qui mènerait à cette tant redoutée "imposition". Même si William Burns, secrétaire d′Etat américain adjoint chargé de l′Afrique du Nord et du Moyen-Orient, récemment reçu par le roi Mohammed VI à Rabat, a déclaré que "les Etats-Unis n′appuient aucune solution imposée au Maroc ou à aucune autre partie". Pour l′instant, oui. Mais plus tard ? La diplomatie, rappelons-le, n′est rien d′autre que l′art de changer d′avis au moment opportun.

Que faire ?

Parallèlement à leur tir groupé contre James Baker, nos hauts diplomates anonymes avancent la possibilité d′une "négociation au poste-frontière de Zouj Bghal". Entendons, des pourparlers ouverts avec l′Algérie. Peu crédible. Nos voisins sont à la veille d′élections présidentielles. Et Bouteflika est en difficulté. S′il veut s′assurer le soutien de l′armée (donc réussir) il ne prendra certainement pas le risque de "lâcher la carte Sahara" en faisant des concessions. La seule solution reste l′action : nous devons matérialiser l′option de l′autonomie. La débarrasser de ce qu′elle peut avoir de dangereux pour la survie du royaume, écarter fermement toute éventualité d′indépendance, puis détailler le tout dans un "plan de paix alternatif" qu′il faudra présenter à l′ONU. Mais cela suppose, cette fois, de jouer le jeu. Si l′alternative nous permet d′entamer un nouveau cycle de négociations, entamons-le. Nous serons alors en position de force puisque ce n′est plus à nous qu′il sera demandé "d′avancer". Mais si l′alternative est acceptée, alors il faudra l′appliquer. Sans hésiter, et avec courage. Il faudra, au préalable, appeler les Marocains à un… référendum constitutionnel.

Eh oui ! N′oublions pas que nous avons une Constitution, et qu′elle ne prévoit en rien qu′un territoire ou un autre du royaume puisse être "autonome". Il faudra donc amender la constitution. Peut-être (rêvons un peu) serait-ce l′occasion d′en profiter pour y aménager quelques nouveautés, instaurant d′un même coup le fédéralisme tant promis et une certaine dose de démocratie dans le partage des pouvoirs. Alors, du pire sortirait le meilleur. L′Histoire du monde n′est pas avare de retournements de situation spectaculaires, comme le serait celui-là…

A.R. Benchemssi - Telquel

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