Faisant référence à l’accord de pêche qui expire ce lundi 17 juillet, le Front Polisario a déclaré dimanche qu’il rejettera tout accord entre l’Union européenne et le Maroc qui affecte « le sol, la mer territoriale ou l’espace aérien » du Sahara...
Au lendemain de l’attaque de l’Irak par la coalition américano-britannique, j’affirmais dans les colonnes de cette publication combien il était nécessaire pour le Maroc de reconsidérer ses choix diplomatiques afin de définir son nouveau positionnement géostratégique.
Motivée moins par l’émotion des évènements que par le souci des intérêts du Royaume face aux nouvelles donnes de la géopolitique internationale, cette position se trouve aujourd’hui plus que jamais renforcée. La tentative de passage en force à la fin du mois de juillet dernier d’un projet de résolution du Conseil de sécurité des Nations unies favorable au dernier plan Baker (plan initié en réalité ou du moins inspiré par la diplomatie algérienne, porté par la diplomatie espagnole et accepté par la diplomatie américaine), heureusement avortée grâce aux initiatives diplomatiques royales, en est la meilleure preuve.
Les concepteurs et acteurs de la politique étrangère marocaine sont confrontés à une nouvelle échéance majeure, celle du 31 octobre lorsque, au terme du mandat de la Minurso qui fut prorogé de trois mois supplémentaires, les membres du Conseil de sécurité devront se réunir pour décider du sort de l’affaire du Sahara.
Les négociations actuellement en cours se déroulent sous la double pression de l’imminence de cette échéance et d’une conjoncture internationale particulièrement mouvementée, susceptible d’avoir comme effet de reléguer l’affaire du Sahara marocain au second plan des priorités des superpuissances occidentales, ou du moins de celles de “l’hyperpuissance” américaine.
Le président Bush est déjà en précampagne présidentielle au moment où les conflits du Proche-Orient se crispent de façon dangereuse, conséquence logique d’une tentative d’expulsion ou d’élimination par le gouvernement Sharon du président palestinien Yasser Arafat et d’une multiplication des attaques perpétrées contre les soldats américains et anglais en Irak. En matière de politique intérieure, George W. Bush est appelé à reconquérir la confiance d’une opinion publique en désamour avec lui (selon un sondage récent, près d’un Américain sur deux ne souhaite pas voir le président actuel se représenter pour un second mandat) et de remédier à la défection programmée de certains ténors de son administration, à l’image de Colin Powell, actuel secrétaire d’Etat aux Affaires étrangères, qui a annoncé sa décision de quitter ses fonctions officielles en 2004, même si Bush devait sortir vainqueur des prochaines élections présidentielles.
De l’autre côté de l’Atlantique, l’euro-scepticisme gagne du terrain dans un contexte de morosité économique grandissante. La dégradation vertigineuse des équilibres budgétaires de la France, de l’Allemagne et du Portugal suscite l’ire de la Commission de Bruxelles et irrite les autres pays européens respectueux des dispositions du pacte de stabilité. Le déficit public de ces trois pays, dont les deux premiers sont les coleaders historiques de la construction européenne, dépasse allègrement le seuil de 3% du PIB toléré par le traité de Maastricht. Autre évènement : le refus des électeurs suédois, qui se sont exprimés par voie référendaire à une large majorité (plus de 56% de “non”), d’adopter la monnaie unique. Ce vote vient compliquer le processus d’élargissement de l’Union européenne aux pays de l’Est et renforce le clan des pays de l’UE qui restent en dehors de la zone euro : la Grande-Bretagne, le Danemark et la Suède.
Le Maroc mène un combat pour son développement économique et social à travers une stratégie centrée, à juste titre, sur le partenariat européen et le libre-échange avec les Etats-Unis. Disposant de ressources financières limitées, d’un tissu industriel fragile, d’un marché intérieur étroit et d’un voisinage peu coopératif, voire hostile, le Maroc a fait le choix, pertinent, d’oeuvrer pour arrimer son économie à celle des Etats européens et des Etats-Unis. Les objectifs de cette politique sont clairs : stimuler la croissance économique, développer les exportations et capter les flux d’investissements directs et financiers extérieurs, profiter des effets vertueux de la mondialisation et intégrer un ensemble régional cohérent et porteur de prospérité.
La politique étrangère du Maroc est bicéphale : elle est orientée à la fois vers le vieux continent et le nouveau continent. Cette dualité pourrait surprendre de prime abord. Certains hauts responsables européens ou américains n’hésitent pas d’ailleurs à le faire remarquer à leurs homologues marocains, les pressant de la sorte de choisir l’un des deux bords. Naturellement, les dirigeants marocains se gardent bien de tomber dans cet écueil en s’évertuant à rechercher un savant équilibre, et ils ont parfaitement raison ! Mais force est de constater que la politique européenne du Maroc n’est pas encore optimale et reste en deçà de son plein potentiel. Elle doit être plus ambitieuse, plus audacieuse, elle doit rompre avec la logique exclusive des équilibres économiques ou budgétaires, forcément réductrice, et s’inscrire dans une vision plus globale, plus lointaine, du partenariat où la dimension politique, culturelle et sociétale supplante les considérations strictement financières et les condamne à l’insignifiance.
La politique européenne du Maroc s’exprime dans le cadre du partenariat euro-méditerranéen institué en 1995 par le processus de Barcelone (cadre élargi des relations politiques, économiques et sociales entre les 15 Etats membres de l’UE et les 12 Etats partenaires de la Méditerranée du Sud) et se consolide à travers un réseau de relations bilatérales que le Royaume développe avec chacun des pays du continent européen. La déclaration de Barcelone, véritable acte fondateur de la politique méditerranéenne de l’UE, se fixe trois principaux objectifs.
Premièrement, créer une zone de paix et de stabilité reposant sur des principes fondamentaux, notamment le respect des droits de l’homme, la liberté et la démocratie.
Deuxièmement, former une région de prospérité partagée en instaurant progressivement le libre-échange entre l’Union et ses partenaires méditerranéens et entre ces partenaires eux-mêmes, afin de créer à l’horizon 2010 une grande zone de libre-échange euro-méditerranéenne. Cet objectif à caractère économique et financier suppose, pour les pays du Sud de la Méditerranée, des coûts d’ajustement nécessaires au financement d’une mise à niveau des structures économiques et sociales. D’où la conclusion des accords d’association et la mise en place des programmes Meda 1 et Meda 2 pour financer les “programmes indicatifs nationaux” et le “programme indicatif régional”, dont les bénéficiaires peuvent être non seulement des Etats et des régions mais également des autorités locales, des organisations régionales, des organismes publics, des collectivités locales, des opérateurs privés, des ONG, etc.
Troisièmement, rapprocher les peuples au moyen d’un partenariat social, culturel et humain qui vise à favoriser la compréhension entre les peuples, les traditions, les cultures et les religions, améliorer la perception mutuelle et développer les échanges entre les sociétés civiles, organiser la circulation des personnes entre les Etats et maîtriser les flux migratoires.
Si toutes les chancelleries de l’espace euro-méditerranéen louent les mérites du processus de Barcelone, toutes reconnaissent aussi la modestie des résultats obtenus au terme de huit années de mise en oeuvre, même si les explications apportées au diagnostic ne convergent pas toujours. Ceux qui se trouvent sur la rive nord de la Méditerranée déplorent la lenteur des réformes chez leurs partenaires du Sud, regrettent l’absence d’intégration sous-régionale (commerce Sud-Sud extrêmement limité, carence de l’infrastructure de transport et de communication, divergence des règles d’origine) et constatent la faiblesse des investissements enregistrés dans les pays partenaires de l’UE parce qu’ils restent compartimentés en petits marchés distincts, avec des normes et standards contradictoires, ce qui dissuade les investisseurs étrangers. Quant aux pays sud-méditerranéens, et à leur tête le Maroc, ils considèrent que leur voix n’est pas suffisamment entendue mais proposent régulièrement des aménagements à l’organisation et aux mécanismes régissant le partenariat euro-méditerranéen.
Face à ce constat, quelle orientation, quelle impulsion, faut-il donner à la politique européenne du Maroc ? Trois grandes directions semblent fondamentales.
D’abord, poursuivre et amplifier le travail accompli par les diplomates marocains dans le cadre des relations bilatérales, des relations avec la Commission de Bruxelles et au sein des conférences euro-méditerranéennes des ministres des Affaires étrangères. Le Maroc devrait occuper une position de leadership et tenter de faire adopter ses recommandations dès la prochaine Conférence ministérielle formelle (Barcelone VI) qui doit se tenir en Italie à la fin de l’année. Il est à ce titre essentiel que les idées marocaines puissent aboutir : instituer des structures paritaires pour accroître l’implication des partenaires sud-méditerranéens dans le processus de Barcelone, éviter une surbureaucratisation du processus et assurer une plus grande fluidité dans la circulation de l’information, organiser un partenariat euro-méditerranéen à géométrie variable selon les pays intéressés et les thèmes concernés, mettre en place un réseau d’agences nationales de promotion des investissements et prévoir des dispositifs d’incitation à l’investissement de type BERD ou BEI, renforcer les mécanismes de reconversion de la dette en investissements publics ou privés, créer une banque euro-méditerranéenne de développement et d’investissement…
Ensuite, saisir au plus vite, à travers une démarche officielle et individuelle, la perche tendue par le président de la Commission européenne, Romano Prodi, et le Commissaire européen chargé des Relations extérieures, Chris Patten, qui se sont prononcés en faveur d’un élargissement de l’UE. selon une logique de cercles concentriques à un “cercle de pays amis” respectueux des mêmes normes économiques et démocratiques.
Cette proposition permettrait au Maroc d’intégrer à terme l’Europe en bénéficiant de tous les avantages de l’adhésion à l’exclusion de la participation aux institutions de l’Union.
Enfin, décider unilatéralement et sans exiger au préalable un engagement ou une promesse de l’UE d’accorder au Maroc le statut de candidat à l’adhésion ou tout autre statut intermédiaire, de mener les mêmes réformes que celles sur lesquelles se sont engagés les pays de l’Europe de l’Est qui rejoindront l’Union en 2004 et 2007 (instauration d’une économie de marché viable et capable de supporter la concurrence des autres pays membres de l’UE, réorientation des échanges vers l’UE, réforme de l’environnement légal et réglementaire, renforcement de la protection en matière de droits de propriété industrielle et intellectuelle, institution de procédures transparentes de passation de marchés publics…), tout en sollicitant auprès de Bruxelles la possibilité de bénéficier des programmes communautaires d’aide de préadhésion : PHARE pour les investissements et la réforme des appareils administratifs et judiciaires, ISPA pour l’environnement et les transports, SAPARD pour l’agriculture et le développement rural. La dynamisation de la politique européenne du Maroc est de nature à mobiliser l’ensemble des forces vives de la nation, tout en démontrant à l’opinion publique internationale et aux dirigeants de l’Europe la détermination du Maroc à intégrer ce continent.
Portée par une volonté royale, guidée par une vision politique et menée par une diplomatie audacieuse, l’ambition européenne du Maroc sera l’utopie d’hier, le projet d’aujourd’hui et la réalité de demain.
Par : Mohammed BENMOUSSA pour leconomiste.com
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