Relations sexuelles avant le mariage, les jeunes en parlent

6 mai 2007 - 15h22 - Maroc - Ecrit par : L.A

Avec le recul de l’âge du mariage et l’augmentation du nombre de célibataires, de plus en plus de jeunes passent à l’acte mais la relation reste déséquilibrée. A peine 50% des jeunes utilisent des moyens contraceptifs. Le logement économique a aidé les jeunes en leur donnant accès à la location de lieux sécurisants pour des rencontres amoureuses.

Intellectuelle polyglotte, Radia, 27 ans, est indépendante financièrement, célibataire, et, avantage inestimable, elle vit seule et libre de toute contrainte familiale dans un appartement qui lui appartient. Pourtant, selon ses dires, elle n’a jamais eu de relation sexuelle. Quand on lui pose la question, son visage s’empourpre et elle bafouille une réponse évasive. Le sujet est trop sérieux pour elle, et trop risqué pour l’aborder avec n’importe qui. Pas la moindre aventure sexuelle ? Impossible de lui arracher une réponse claire et, si on insiste, elle se mure dans le silence et préfère parler de ses amies. Aujourd’hui, finit-elle par admettre, de plus en plus de filles célibataires ont goûté au sexe en attendant de trouver le prince charmant avec lequel fonder un couple dans le cadre légal du mariage.

Pourtant, les amies de Radia, si elles ont fini par céder à l’appel des sens, l’ont souvent fait avec des partenaires qu’elles aiment, et en échange de promesses de mariage. « Les filles que je connais ne couchent qu’avec des garçons qu’elles aiment, qu’elles espèrent épouser un jour, car la hantise d’une fille est d’être oubliée une fois que son partenaire a eu ce qu’il voulait. Il faut savoir que le corps d’une femme est une arme de séduction qu’il faut préserver, pour mieux l’exploiter, et ne l’offrir en fruit mûr qu’à son futur mari. Le céder au premier venu est mal perçu par une société foncièrement traditionnelle qui condamne sans pitié les filles à la jambe légère. »

Ils aimeraient que le préservatif soit distribué gratuitement comme dans d’autres pays

Vision surannée d’une fille qui s’accroche aux conventions sociales, quitte à rester chaste ? De plus en plus oui, car il semble que les jeunes Marocains, garçons et filles, sont aujourd’hui beaucoup plus précoces en matière de vie sexuelle et passent de plus en plus facilement à l’acte, faisant fi du conservatisme ambiant et défiant une société au fonctionnement schizophrénique entre la rigueur des règles implicites et une réalité beaucoup plus laxiste. La sociologue Soumia Naâmane Guessous, auteur de Au-delà de toute pudeur, best-seller sur la sexualité des Marocains, en convient. Depuis vingt ans que son enquête a été menée, les mœurs ont-elles changé ? Pas autant qu’on ne le pense, répond-elle d’emblée. Mais la société, en l’espace de vingt ans, a évolué à coup sûr, concède-t-elle.

Faute de statistiques sur le sujet, « tout laisse croire qu’il y a de plus en plus de jeunes qui ont des rapports sexuels avant le mariage. Les hommes ont cependant l’avantage, vu leur statut social, de pouvoir multiplier les relations sexuelles avec plusieurs partenaires. Ils sont plus libres de leur corps que les femmes. Ajoutez à cela le marché de la prostitution, professionnelle ou déguisée, qui constitue un champ prospère où ils puisent aisément. Côté jeunes filles, on a l’impression qu’elles se libèrent, aussi, de plus et plus facilement. » Le hic est que les mentalités ne suivent pas. Par preuve : la virginité de la femme reste du domaine du sacré.

La Marocaine continue à y tenir dur comme fer, et l’homme, égoïstement et hypocritement, à la désirer. « Les jeunes filles continuent de lier leur valeur sur le marché à l’aune de la sauvegarde de cette membrane qu’est l’hymen », enchaîne Soumia Naâmane. Quitte à pratiquer le sexe d’une façon superficielle, « à s’adonner à la fellation ou à la sodomie, pour éviter autant que faire se peut la pénétration », soutient Abderrazak Moussaïd, sexologue. Il faut dire que, faciles d’accès, les sites pornographiques sont là pour stimuler les appétits des jeunes et leur montrer ce qu’il faut faire.

Tous les jeunes ne sont pas comme Radia, ils sont audacieux et sautent le pas sans embarras. C’est le cas de Ahmed, 25 ans. Il avait 17 ans quand il a couché pour la première fois avec une fille. Les deux tourtereaux se sont rencontrés à la même école supérieure où ils suivaient leurs études. Le courant est passé entre eux et, de fil en aiguille, et après les préliminaires d’usage, nos deux jeunes en sont venus aux « choses sérieuses ». Non sans hésitation pour elle, mentalité marocaine oblige. Mais nos deux jeunes ont vécu l’acte sexuel avec beaucoup de plaisir, et sans complexe. Il faut dire que la jeune fille n’était pas novice en la matière.

Ahmed, à sa grande surprise, découvre que sa copine s’est débarrassée de cette membrane « sacrée » à laquelle elles (et ils) sont si nombeuses à s’accrocher jalousement. En a-t-il été choqué ? Plutôt étonné. « Je croyais les filles conservatrices et soucieuses de leur virginité. Je découvre tout à fait le contraire. C’est moi qui me suis découvert vieux jeu », avoue-t-il. La relation a duré quatorze mois. Des moyens de prévention ? « Toujours le préservatif », confesse Ahmed. « Et franchement nous trouvions son coût élevé par rapport à nos moyens, d’autres pays le distribuent gratuitement, pourquoi ne pas le faire un jour chez nous ? »

Une seule contrainte, et de taille, les a gênés : trouver un lieu où se livrer, sans inquiétude, à leurs ébats amoureux. Sachant que les relations sexuelles hors mariage sont interdites par la loi, il a fallu galérer chaque fois pour trouver un abri sûr. Parfois, c’était dans un jardin public, où ils pratiquaient « la chose » à la va-vite, d’autres fois à l’arrière de la voiture d’un ami, transformant le siège en lit de fortune. D’autres fois encore, c’était dans l’obscurité d’une salle de cinéma. Les « pandores », les deux amoureux le savaient bien, sont vigilants, et les deux amoureux risquaient gros s’ils avaient été pris en flagrant délit. Le Code pénal marocain n’est pas tendre : un mois à un an de prison ferme pour toute personne s’adonnant à des relations sexuelles hors mariage.

Les jours ont passé, les liens entre les deux amants se sont distendus à mesure que leurs études avançaient. Ils ont fini par rompre. Ahmed vit aujourd’hui une seconde expérience, beaucoup plus épanouie, avec une femme d’un an plus âgée que lui. Il en garde un doux souvenir. « Les relations entre les filles et les garçons ont beaucoup changé de nos jours, reconnaît le jeune Ahmed. Autrefois ils sortaient ensemble et sympathisaient sans plus. Aujourd’hui, garçons et filles vivent, malgré les contraintes sociales et psychologiques, leurs relations sexuelles avec beaucoup plus de liberté. Je dirai même que les filles sont plus audacieuses et plus créatives que les garçons en matière de drague. »

La première expérience s’accompagne souvent d’angoisse

Si l’expérience de Ahmed s’est relativement bien passée, la première expérience sexuelle n’est pas toujours vécue de manière sereine, tant s’en faut. Souvent, garçons et filles l’on vécue difficilement, avec angoisse. Pour la fille, c’est en général la première fois qu’elle affronte la nudité de l’homme « et, avoue Asmaa, jeune femme de 25 ans, ce n’est pas forcément beau à voir ! J’ai même ressenti un certain dégoût pour des pulsions “animales”. Mais la complicité et l’amour qui nous unissaient, mon mec et moi, poursuit Asmaa, ont beaucoup participé à détendre l’atmosphère. »

« C’est surtout le sentiment d’insécurité qui étreint les couples non mariés lors de leurs relations sexuelles, des sentiments de culpabilité et d’angoisse aussi, explique Abderrazak Moussaïd, sexologue et président de l’Association marocaine de sexologie,« vu que ces relations se déroulent dans des lieux inadaptés, insalubres : d’où des problèmes d’érection pour l’homme, d’insatisfaction et de frustration pour la femme, qui, elle, est entièrement préoccupée par le souci de garder sa virginité ».

Le recul de l’âge du mariage rend de telles relations inévitables

Dr Abderrazak Moussaid
Sexologue, président de l’Association marocaine de sexologie.

Ces jeunes viennent-ils consulter ?

Oui, et même beaucoup, répond le Dr Moussaïd, à partir de 17-18 ans. « 20% de mes patients sont dans ce cas, précise-t-il, les garçons plus que les filles : des problèmes d’érection, d’éjaculation précoce, d’infection, ou d’ordre psychologique. Nombre de difficultés sexuelles sont consécutives aux premiers actes d’amour ».

Que pensez-vous de la pratique du sexe avant le mariage ?

C’est tout à fait normal et humain, d’autant que l’âge du mariage accuse un net recul (29 ans pour les filles et 31 ans pour les garçons). Il faut dire que nous vivons aujourd’hui dans une société qui n’est plus traditionnelle. Dans les grandes villes surtout, la pratique du sexe est courante. Le pouvoir politique n’est plus aussi répressif en matière de sexe.

Les jeunes se prémunissent-ils contre les infections sexuellement transmissibles (IST) et le sida ?

Tout dépend de l’entourage et de l’éducation reçue. Ils doivent en effet prendre des précautions contre les MST, mais également contre les grossesses non voulues. On constate malheureusement que les interruptions volontaires de grossesse (IVG), même sévèrement réprimées par la loi, sont courantes au Maroc, car les gens sont mal informés. Plus de la moitié des jeunes ne se prémunissent pas contre ces risques. Les relations sexuelles ne se passent pas qu’avec les prostituées. Il faut savoir que, vu la misère ambiante, beaucoup d’élèves des lycées ou étudiantes se prostituent de façon indirecte, en échange d’argent ou d’avantages en nature. Aucune enquête ne vient nous éclairer sur le nombre de jeunes qui ont des relations sexuelles avant le mariage. Ce dont nous sommes sûrs, c’est du recul de l’âge du mariage et des difficultés économiques des Marocains qui incitent les jeunes à avoir des relations sexuelles hors mariage.

Les filles sont-elles toujours aussi regardantes en matière de préservation de leur virginité ?

C’est ancré dans notre société, sauf dans certains milieux aisés. Les filles veillent généralement à leur hymen jusqu’au jour du mariage. Mais il y a des accidents car on ne peut pas toujours se contrôler.

Pas d’éducation sexuelle au Maroc ?

Il y a une éducation sexuelle implicite, livrée par l’entourage, les parents, l’école, mais elle est souvent faussée ou préjudiciable.

Les hommes vivent pleinement leur célibat et les femmes souffrent

Soumaya Naâmane Guessous
Sociologue

De plus en plus de jeunes pratiquent le sexe avant le mariage. Dans quelles conditions, selon vous ?

Il y a des problèmes notamment liés au lieu où l’on peut faire l’amour. Pour avoir une sexualité satisfaisante hors mariage, il faut avoir les moyens, et seuls ceux qui en ont peuvent le faire. Si on n’est pas en sécurité dans une maison, il y a les espaces publics et on sait le risque que courent ces amoureux clandestins sur les bancs publics : ils sont à tout moment à la merci des policiers. Pour sortir avec une femme, il faut avoir de l’argent : l’homme est toujours perçu comme le pourvoyeur, et pour sortir avec une femme, il faut l’inviter.

Une forme de prostitution ?

Dans notre culture, c’est l’homme qui entretient les femmes et doit payer. Le fait que l’homme rencontre des filles autonomes financièrement ne change rien à la situation, elles aussi exigent de l’homme de passer à la caisse. Une des premières qualités de l’homme aux yeux de la femme, à quelques exceptions près, est sa générosité matérielle, et cela a toujours été ainsi. Or, les jeunes se plaignent parce qu’ils n’ont pas tous les moyens, ce qui bride ou rend difficile le passage à l’acte sexuel. Comme on ne peut pas s’offrir une chambre d’hôtel, on se rabat sur des lieux insalubres. Les plus fortunés cotisent pour louer un appartement qui sert de lieu de rencontre. Il est à noter que la politique des logements économiques a considérablement aidé les jeunes à s’offrir des lieux sécurisants où ils peuvent faire l’amour.

La loi et les mentalités sont une chose, la réalité quotidienne en est une autre. Le Maroc n’est-il pas prêt à trouver une solution pour ces jeunes ?

Le recul de l’âge du mariage auquel nous assistons et qui ne va pas s’arrêter de sitôt pose un réel problème. Or, le Maroc recèle de plus en plus de filles qui ont plus de 30 ans, voire 35 ans et 40 ans, et qui n’ont jamais goûté aux délices de l’amour. C’est injuste. Je viens d’animer deux focus groupe pour un magazine avec des hommes et des femmes de 35 à 40 ans qui n’ont jamais été mariés. Ce qui m’a paru injuste, c’est que les hommes disent vivre pleinement leur célibat, mener une vie affective et sexuelle tout à fait réussie, alors que, pour les femmes, c’est tout à fait le contraire : elles se plaignent de solitude, de détresse, d’isolement, de frustrations. Voilà deux catégories de la population avec un même niveau intellectuel et matériel, mais qui vivent leur sexualité aux antipodes l’une de l’autre. Autant la société est dure avec les femmes, autant elle est permissive avec les hommes. Il y a une injustice à réparer.

Comment, à votre avis ?

Franchement je ne sais pas. Un jour, j’ai reçu deux femmes journalistes de 36 et de 37 ans, toutes deux voilées, pour m’interviewer. A la fin de l’entretien, elles m’ont interloquée par leur requête : elles étaient encore vierges, n’avaient jamais fait l’amour et me sollicitaient pour trouver une issue à cette situation, moi la sociologue qui avait travaillé sur le sujet. Lourde responsabilité ! Elles ne voulaient rien savoir. Elles avancent en âge et ne peuvent résister encore longtemps à l’envie tout à fait humaine de goûter au plaisir du sexe. Devant mon impuissance, les deux filles me proposent de lancer un colloque auquel prendraient part sociologues, ouléma et sexologues pour résoudre un problème éminemment social. Le désespoir est là. Pour soulager la souffrance de ces Marocaines, nous avons besoin de plus de tolérance, de moins d’hypocrisie. Je l’ai toujours dit : si le sexe hors mariage est interdit par la loi et par la religion, alors l’interdiction doit s’appliquer aux deux sexes, ou alors il faut trouver une solution pour les femmes aussi, pour qu’elles puissent satisfaire leurs besoins sexuels autant que les hommes. Il y en a qui ont sauté le pas : beaucoup d’étudiants à l’université ont opté pour le « zawaj al orf » (mariage coutumier). Pourquoi ne développe-t-on pas cette idée ?

La vie éco - Jaouad Mdidech

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