Le Maroc a connu une croissance économique assez soutenue depuis 2000, après l’accession au trône du roi Mohammed VI. Le royaume prend des mesures pour attirer les investissements étrangers et devenir une grande puissance régionale.
Après deux années de relations difficiles, voire conflictuelles, le Maroc et l’Espagne ont décidé de renouer leurs liens. La perspective d’une normalisation des relations bilatérales était tracée à l’occasion d’une rencontre à Quintos de la Mora (Tolède), en pleine crise diplomatique, au mois de juin 2002.
Le voyage de José-Maria Aznar, chef du gouvernement espagnol à Marrakech, les 11 et 12 décembre 2003, allait marquer un début de concrétisation d’un projet dit de refondation de ces relations. Un mois après cet événement nous avons tenté, à Madrid, de comprendre et faire le bilan de la situation.
Lundi 26 janvier 2003, nous sommes à Madrid au ministère des Affaires étrangères. Le sous-directeur de la politique extérieure dans les pays méditerranéens, Moyen-Orient et Afrique de ce département dirigé par Ana Palacio, désormais femme célèbre au Maroc, nous reçoit pour un tour d’horizon sur la politique extérieure de l’Espagne. Nous sommes une délégation restreinte de journalistes, universitaires et y compris ancien diplomates, venus du Maroc, de Tunisie et du Liban, invités dans le cadre d’un programme de visiteurs par l’Espagne. La discussion tournera inévitablement à un échange sur les relations maroco-espagnoles.
Première question inévitable à laquelle les responsables du département des A.E sont invités à répondre : la rencontre du mois de décembre entre les responsables des gouvernements marocain et espagnol, a-t-elle véritablement réussi à surmonter les problèmes et dissiper les malentendus entre les deux pays ?
Réponse d’usage servie dans un langage diplomatique par Guillermo Ardizone : les relations avec le Maroc sont importantes, voire stratégiques pour l’Espagne. Celle-ci développe une stratégie ciblée, depuis les six derniers mois, vers ce pays qui est la clé des relations entre l’Espagne et le reste de l’Afrique. « C’est sur la base du traité de paix, amitié, bon voisinage et coopération que les deux pays cherchent à développer au maximum leurs relations dans tous les domaines ».
L’idée est désormais conventionnelle.
La réalité, elle, est beaucoup plus complexe. Les chiffres servis par le haut responsables sur le volume des échanges entre les deux pays (l’Espagne est le deuxième partenaire économique du Maroc après la France), la présence de plus en plus importantes des investisseurs ibériques en terre marocaine ou encore les efforts consentis par l’Espagne dans le cadre des programmes d’aide au développement se veulent parlants.
La réalité est que le gouvernement espagnol a aussi des intérêts ailleurs. Au Maghreb, le regard se dirige vers l’Algérie qui fournit le marché de la consommation espagnole en gaz naturel à hauteur de 60 % ou encore du côté de la Libye où sont allées s’implanter des sociétés pétrolières espagnoles.
Au-delà de jouer la carte des intérêts de l’Espagne à l’étranger, ce qui serait légitime, le gouvernement de José-Maria Aznar semble avoir choisi son camp. L’analyse de Manuel Marin, secrétaire de politique internationale du parti socialiste espagnol et l’un de ses stratèges politiques est à ce propos révélatrice.
L’ancien membre de la commission européenne déplore l’alignement aveugle du gouvernement de son pays sur la position américaine et « la cassure avec le modèle de politique extérieur de l’Espagne depuis 25 ans « Une politique, explique-t-il, autrefois axée sur trois fondements stratégiques : l’appartenance à l’Union européenne, l’entretien de relations privilégiées avec les pays d’Amérique du Sud, d’Afrique du Nord et du monde arabe et une position favorable aux Etats-Unis comme partenaire de l’OTAN.
Cette politique extérieure « claire », valait à l’Espagne le respect au sein de la communauté internationale, selon l’analyse de M. Marin. D’un statut reconnu de pays « facilitateur de compromis », et l’exemple est donné par la conférence de Madrid de 1991, initiant le processus de paix au Proche-Orient, l’Espagne a voulu passer à celui d’un « acteur principal dans le monde ». Vision on ne peut plus utopique, selon M. Marin. L’Espagne est un pays de dimension moyenne et de fait ne peut cultiver cette ambition et agir en conséquence au risque de perdre ses alliés traditionnels comme la France et l’Allemagne au sein de l’Europe.
« Nous ne pouvons changer de politique extérieure à chaque changement de gouvernement », conclut le militant socialiste qui s’est attardé à énumérer ce qu’il considère comme des erreurs stratégiques fatales pour son pays, comme celle de « la pression » que le gouvernement de José-Maria Aznar a voulu exercer sur le Mexique pour voter au Conseil de sécurité de l’ONU en faveur de la guerre en Irak.
Cette position de jouer le tout pour le tout dans les relations de l’Espagne avec ce qui est désormais considéré comme son partenaire privilégié et quasi unique dans le monde, en l’occurrence les Etats-Unis, est confirmée par Jorge Moragas, secrétaire exécutif des relations internationales au Parti populaire au pouvoir. Ce jeune diplomate formé dans les écoles U.S., est partisan inconditionnel de la politique actuelle de l’Espagne à l’égard de la première puissance mondiale.
« Entre les USA et Saddam le choix est simple à faire », nous dit-il pour justifier la position pro-américaine lors de la guerre contre l’Ira. Un peu simpliste, mais bon. En termes plus pragmatiques, il soulignera que la position de l’Espagne est basée sur « la défense de l’intérêt national de l’Espagne entant qu’allié des USA ». Et de préciser que la relation avec ce partenaire est « vitale ».
Dans l’opinion publique, particulièrement chez les intellectuels de gauche, cette vérité agace. L’image est ainsi très parlante, servie par les Guignols de l’info version espagnole, d’un José-Maria Aznar zélé, plus américain que les Américains.
Cet élément fondamental de la politique extérieure de l’Espagne, s’il aide à mieux comprendre l’attitude du gouvernement espagnol vis-à-vis de ces anciens et nouveaux partenaires dans le monde ne suffit pas à justifier l’incompréhension voire certaines attitudes de rejet à l’égard du Maroc.
L’histoire, la proximité géographique et les événements communs vécus différemment des deux côtés du détroit de Gibraltar viennent interférer dans les relations politiques et économiques ente les deux pays.
La crise de Perejil est venue exacerber le sentiment nationaliste chez des Espagnols qui alimentent un sentiment de rejet du « mauro ». Avec le recul, les responsables de la presse espagnole regardent cet épisode avec un œil très critique. A El Pais, ABC, Lavanguradia et El Periodico, ils sont unanimes à considérer cette affaire comme un problème de trop dont les deux pays pouvaient très bien se passer.
A la base donc une incompréhension qu’au ministère des Affaires étrangères et dans d’autres départements du gouvernement espagnol on dit aujourd’hui vouloir dépasser. L’Institut européen de la Méditerranée basé à Barcelone que dirige Abdreu Claret ou encore la Fondation des Trois Cultures ayant son siège à Séville travaillent en étroite collaboration avec des ONG et institutions marocaines au rapprochement des vues entre les responsables dans les deux rives de la Méditerranée.
Ils tentent ainsi d’initier le dialogue y compris sur les sujets sensibles, ceux qui fâchent et qui restent les points d’achoppement pour un partenariat équilibré et intelligent entre deux pays « condamnés à s’entendre ».
L’assouplissement de la position espagnole sur l’affaire du Sahara est certes à enregistrer aujourd’hui, mais suffit-il à rassurer sur l’attitude future de ce pays sur la question ? « Nous sommes pour une solution négociée entre les parties concernées et contre toute solution imposée », affirmera encore, le 28 janvier à Madrid, Ramon Gil Casares, le secrétaire d’Etat aux Affaires étrangères. Il convient d’en prendre note.
Le Maroc et l’Espagne ont manifesté leur volonté commune de défricher tous les domaines de coopération et de discuter de tous les problèmes objets de différend. Un travail à peine entamé. Le chemin à parcourir reste long avant que l’on évoque franchement et ouvertement tous les problèmes. C’est la conviction de Miguel Angel Bastenier, vice-directeur des relations institutionnelles du journal El Pais. La question de Sebta et Mellilia est de ceux-là. Entre le Maroc et l’Espagne, les relations sont encore en clair-obscur.
Khadija Ridouane pour Le Matin
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