L’Organisation marocaine des droits de l’homme (OMDH) a alerté le ministre de l’Intérieur, Abdelouafi Laftit, au sujet du non-enregistrement des nouveau-nés à leur lieu de naissance, l’invitant à trouver une solution définitive à ce problème.
Mardi 24 juin. C’est dans son local flambant neuf du 6, rue Aguensouss, aux abords du centre-ville de la capitale, que l’Association marocaine des droits de l’homme (AMDH) a choisi de présenter son rapport sur la situation des droits humains au Maroc en 2007 et les premiers mois de 2008. Parmi les thèmes abordés, une série de problématiques désormais « classiques » : droits de la femme et leur application, irrégularités électorales, droit à la santé, à l’éducation, hausse des prix, non-respect du droit du travail, la liste est longue.
Sur le plan politique, l’on notera, entre autres, la question de l’application des recommandations de l’Instance équité et réconciliation : l’AMDH déplore qu’une nouvelle année se soit passée « sans que la plupart des recommandations de l’IER ne soient appliquées ».
Par la voix de sa présidente, Khadija Ryadi, elle accuse les autorités de manquer de volonté politique pour les mettre à exécution, puisque le retard touche également les recommandations n’exigeant pas de budget, telles que « l’abrogation de la peine capitale, l’adhésion à la Cour pénale internationale et l’annonce de la vérité dans le dossier Ben Barka et les autres kidnappés ».
L’association note d’ailleurs que le phénomène des enlèvements n’a toujours pas été éradiqué, indiquant avoir adressé des correspondances aux autorités pour sept cas en 2007 et huit autres au cours des derniers mois.
Elle remarque également la persistance de détentions auxquelles elle donne un caractère politique, et parmi lesquelles figurent les hommes politiques arrêtés dans le cadre de l’affaire Belliraj, les condamnés de la Salafia Jihadia, dont les condamnations sont jugées excessives, mais aussi l’affaire Fouad Mourtada, ainsi que les étudiants de divers bords politiques arrêtés à la suite des altercations survenues dans les universités de Marrakech, Errachidia, Meknès, et Agadir.
L’association note par ailleurs que l’accusation d’atteinte aux sacralités continue d’envoyer des Marocains en prison, donnant pour exemple le cas de la ville de Youssoufia où au moins 6 personnes ont été poursuivies pour cette raison dont le défunt Ahmed Nacer, mort en prison à l’âge de 95 ans.
Evoquant le problème de l’indépendance de la justice, l’AMDH a critiqué la condamnation des personnes impliquées dans l’affaire de mœurs de Ksar el Kébir, mais s’est surtout attardée sur les conditions d’incarcération des quelque 57.300 détenus du pays, le surpeuplement des prisons, la malnutrition, l’absence d’hygiène, la violence des gardiens et des détenus, une situation désastreuse qui pourrait expliquer un certain nombre de suicides enregistrés chez les prisonniers. Enfin, autre thème abordé par le rapport : les atteintes au droit des migrants à la vie, notamment dans le cas des Subsahariens en route vers l’Europe, à travers le Maroc, qui, dans plusieurs cas, ont été expulsés du pays dans des conditions catastrophiques.
Des améliorations, mais aussi des urgences nombreuses
Porté à la connaissance du public alors que l’AMDH s’apprête à fêter son 29e anniversaire, ce bilan coïncide avec la publication du rapport 2008 d’Amnesty International, ainsi que celle d’un autre document, trimestriel cette fois, de l’Observatoire marocain des libertés publiques.
Dans les jours à venir, de nouveaux rapports devraient également tomber, à commencer par celui de l’Observatoire pour la protection des défenseurs des droits de l’homme (OPDDH), une structure mise en place par la Fédération internationale des droits de l’homme (FIDH) et l’Organisation mondiale contre la torture, qui a annoncé son intention de faire escale au Maroc ce vendredi pour présenter « L’Obstination du témoignage », son état du monde pour l’année 2007.
Fait intéressant, ces documents convergent sur une série de points. A l’actif du Maroc, les organisations mettent en avant des éléments comme la réforme des codes de la famille et de la nationalité, qui ont amélioré la condition des femmes, même si les inégalités persistent entre les sexes. Idem pour la mise en place de l’Instance équité et réconciliation, l’indemnisation et la prise en charge sanitaire des victimes des années de plomb.
Une initiative pour laquelle Amnesty international va jusqu’à citer le Maroc dans l’introduction de son rapport parmi les pays où les signes d’avancée sont visibles, à l’instar de l’Iran et sa campagne contre la lapidation, l’Egypte et la mobilisation des juges pour l’indépendance de la justice, ou encore Israël et la Palestine pour les efforts de rapprochements entre des organisations des deux bords, en faveur des droits humains. Fait rare, l’ONG va jusqu’à lancer une pique au Front Polisario, accusé de n’avoir pris aucune mesure pour mettre fin à l’impunité des individus accusés d’atteintes aux droits humains dans les camps durant les années 1970 et 1980.
Liberté de la presse, recommandations de l’IER, les critiques se croisent
Toutefois, les rapports se rejoignent aussi dans la critique. Amnesty déplore aussi que le Maroc ne soit pas allé jusqu’au bout de l’expérience en demandant aux auteurs présumés de violations des droits de l’homme de rendre des comptes. Avec l’AMDH et l’OPDDH, elle regrette aussi que notre pays n’ait pas procédé à l’abolition de la peine de mort, ratifié le statut de Rome de la Cour pénale internationale, accordé la primauté des conventions internationales sur le droit interne, ou encore procédé à la réforme du Conseil supérieur de la magistrature.
La persistance des violations lors des gardes à vue, le recours à la torture, les mauvais traitements dans les centres de détention sont également des reproches récurrents, de même que la gestion de la migration clandestine. Autre reproche fréquent : les atteintes à la liberté de la presse.
Alors que la critique des médias devient une mode chez nous, les trois ONG pointent du doigt les difficultés rencontrées par les journalistes dans l’exercice de leur métier. Actualité oblige, seule l’organisation de Khadija Ryadi a cité, lors de sa présentation, les démêlés de la chaîne Al Jazeera avec les autorités.
En revanche, personne n’a oublié l’affaire Al Watan al An, pour laquelle Mustapha Hormatallah est toujours derrière les barreaux, ni les différentes affaires Nichane et Telquel. En fait, l’AMDH va jusqu’à parler dans sa présentation de « détérioration très apparente » dans le domaine de la liberté de la presse, faisant état de contrôle de revues avant leur parution, de menaces à l’égard d’imprimeries ou de violences à l’encontre de journalistes notamment lors de la couverture de sit-in.
Une critique confirmée par le dernier rapport annuel de l’Observatoire marocain des libertés publiques, qui s’est particulièrement attaqué au projet de code de la presse, qu’il accuse, entre autres, d’élargir le cercle des prohibitions pour empêcher la presse d’accomplir sa mission de contrôle.
La liberté de rassemblement, dans la ligne de mire ?
Autre objet de critiques communes : la liberté de rassemblement pacifique, de plus en plus mise en cause par les autorités, même si la plupart des rapports n’ont pas encore pris en compte les évènements de Sidi Ifni. Bien entendu, de telles situations concernent nombre d’organisations plus ou moins tolérées par les pouvoirs publics, comme Al Adl wal Ihssan, l’Association nationale des diplômés chômeurs, ou encore les militants séparatistes, qui sont souvent cités, mais ces derniers sont loin d’être les seuls concernés.
Ainsi, l’AMDH indique que, depuis début 2007, pas moins de 17 de ses membres ont fait l’objet d’arrestations et de poursuites, suivies de condamnations de une à cinq années de prison ferme... souvent pour atteinte aux valeurs sacrées.
Alors que les malheurs de l’AMDH sont unanimement relayés par les autres rapports, plusieurs voix notent qu’il s’agit vraisemblablement d’une tendance lourde, non seulement vis-à-vis des acteurs associatifs mais aussi les syndicalistes, diplômés chômeurs ou les instances de coordination (tansikyates) contre la hausse des prix. De son côté, l’Observatoire marocain des libertés publiques - qui se spécialise dans l’observation des violations dans les domaines des libertés des associations, rassemblements publics, liberté de presse - note que les violations des droits au niveau des rassemblements publics représentent près des deux tiers du total recensé au titre de l’année 2007, bien avant la violation des réunions publiques ou encore celle du droit d’association (voir encadré).
L’organisme indique également que les autorités ne respectent pas toujours la jurisprudence concernant les sit-in, leur accordant le même traitement que les manifestations alors qu’ils ne requièrent pas d’autorisation, et par conséquent ne justifient pas de recours à la force. De même, alors que le régime de la déclaration de l’organisation des réunions publiques ne s’applique pas aux activités des associations déclarées, l’OMLP remarque que cette donnée est souvent ignorée, parfois même par les responsables des salles où les activités sont prévues, qui réclament aux associations « après leur accord à la demande d’utilisation de la salle, d’informer les autorités locales », certains exigeant même une autorisation de ces dernières.
Alors que le monde s’apprête à fêter le 60e anniversaire de la Déclaration universelle des droits de l’homme, notre pays serait-il en train de vivre un serrage de vis général vis-à-vis de ses militants des droits de l’homme, syndicalistes ou autres ? Ou est-ce plutôt la multiplication des actions, à l’instar des protestations des coordinations de lutte contre la hausse des prix à travers le pays, qui entraîne nécessairement une augmentation du nombre d’interventions musclées de la part des forces de l’ordre ? Maigre consolation, si la tendance venait à se confirmer pour le reste l’année 2008, il est bien probable que le Maroc ne soit pas le seul dans ce cas.
Dans plusieurs pays, « l’obsession de “la sécurité” prend désormais le pas sur la nécessaire liberté des citoyens, y compris au sein des États les plus démocratiques, et ceux qui s’y opposent doivent faire face aux pires critiques », lit-on dans l’introduction du rapport de l’Observatoire pour la protection des défenseurs des droits de l’homme, où l’on va jusqu’à indiquer que « l’année 2007 a confirmé la tendance à la criminalisation de la protestation sociale dans de nombreux pays du monde »...
Source : La vie éco - Houda Filali-Ansary
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