Le compositeur Mohamed Rifai a assigné DJ Van en justice à cause de la chanson « Enty » interprétée par Saad Lamjarred en 2014.
Le rap est-il contestataire ? En paroles, peut-être. Mais, pas en affaires. Dopés par une avalanche de sponsors tels que Méditel, Maroc Telecom, entre autres, les rappeurs marocains se sont convertis à l’ultralibéralisme. Désormais, ils affichent sans complexe leur ambition : profiter au maximum du système. Revanche sociale d’ « ex-pauvres » ou arrogance de « nouveaux riches », la course aux royalties excite les jalousies dans l’entourage des artistes. Intimidations, coups de poing et rumeurs sont monnaie courante. Quand la culture violente de la rue se conjugue au cynisme d’un marché saturé, c’est toute la scène rap qui tangue.
Méfiant comme un chat, toujours prêt à rebondir sur une formule, Taoufiq Hazeb, dit Al khasser ou encore Bigg Da Don, habite au quartier Roches Noires, le terrain de son enfance. A 24 ans, diplômé en droit section française, ce fils oujdi d’un employé de l’ONCF, vient de signer un contrat avec le label « monopole » Click Records, dirigé par Mehdi Benslim. Son album « M’gharba Tal Mout » est considéré l’une des plus belles réussites du rap marocain.
Ce chanteur, qui sème des rythmes afro-américains dans son rap, clame dans cet album son amour pour le Maroc. Comme un sportif du haut niveau, le jeune rappeur passe d’ailleurs des contrats avec des marques réputées. Il a une façon à lui d’expliquer l’explosion commerciale de rap de ces dernières années. « On sait ce que demande le peuple. On sait ce que les jeunes veulent. Alors, on leur fournit ce qu’ils aiment… ». Dire que les rappeurs de la « Nayda » sont complètement décomplexés vis-à-vis de l’argent est un doux euphémisme. Rien à voir non plus avec les joyeux tangérois « Zanka Flow » ou encore « Kachla » qui redistribuent dans les quartiers de l’ancienne médina de la ville du Détroit leurs albums et un peu de leur énergie militante. Le rap qui a mangé de la vache enragée sur le bitume des cités n’a jamais promis le grand soir. « Nous faisons du rap hardcore pour le plaisir des accros et pour éveiller les consciences de notre peuple. Si nous voulions de l’argent, nous pourrions faire des « wannabes », mine de rien, et faire comme les autres. », affirme Muslim, ex-membre de Zanka Flow et fondateur de « Kachla ». Muslim, ce rappeur tangérois très inspiré, aime le rap et le défend depuis toujours, mais ne se berce pas pour autant d’illusions. Il vient de mettre terme à sa carrière de rappeur. Pourquoi ? « Pour des raisons que je garde pour moi-même ». Une musique contestataire ? Textes de révoltes ? « Les gens ont encore en tête l’image du rappeur révolutionnaire au discours radical. C’est de la préhistoire ! L’époque où Public Ennemy aux Etats-Unis prônait la révolte et le black power est quasiment révolue. », souligne l’un des jeunes rappeurs casablancais. . De quoi estomaquer les chefs de produit et autres manitous du marketing, bien sûr.
Au domaine du rap, le business est roi. Et même si les ventes ont tendance à baisser depuis quelque temps, piratage et sites de téléchargement aidant, l’explosion commerciale qui a tout déclenché vers 2005, confirmée par l’arrivée de la radio Hit Radio, le Sky Rock marocain pour les fans, a fait tourné les têtes. On a l’impression que tout est allé si vite. Le rap marocain, exprimant sa dérive vers la variété, est aujourd’hui un mouvement musical solide avec ses valeurs sûres.
Qui peut vendre des milliers d’exemplaires dans les cours de Derb Ghallef, Chahtman ¨Prod et autres pointes de ventes ? L’ « illustre » Bigg l’a réussi peu importe la manière. Son succès lui a nourri énormément d’illusions. « Je suis le roi du rap au Maroc », ou encore « J’ai plus d’impact qu’un grand parti politique sur les gens. » Mais, maintenant, après ces déclarations « folles » et insensées, il est devenu la cible de moquerie et de répugnance. A croire les membres de Kachla qui lancent d’un même souffle « Bigg, tu n’es qu’un pseudo-contestataire. Tes thèmes ne parlent que des filles « Satates » et d’un feuilleton d’hypocrisie sociale dont tu es le protagoniste. »
Les rappeurs, c’est vrai, affichent avec insolence leur obsession à vouloir faire du fric, vite et tout de suite, à moins qu’ils ne soient tout simplement un peu moins hypocrites que beaucoup d’autres artistes. Mais ces rappeurs, sont-ils des ex-pauvres ou des nouveaux riches ? Question d’une importance extrême à la quelle on ne peut pas répondre sans avoir la tentation de tricher. D’abord, que réclame un ex-pauvre quand il est signé pour une maison de disques ? « Au lieu d’éplucher son contrat, il demande de l’argent liquide, cash », dit d’expérience, Maurice, Directeur Général de FTG. « Quand vous sortez des milieux défavorisés et que l’argent se profile, vous raisonnez à court terme. Alors, c’est vrai, certains producteurs, aux quatre coins du monde, sont amenés à doubler voire tripler les avances pour un premier album. ». Mais, ceci n’empêche pas les grosses maisons de disques de s’y retrouver largement.
Le rap présente un énorme avantage pour un producteur. Il réclame des machines, du temps en studio, mais pas énormément de musiciens. Avec 300 dirhams pour l’enregistrement d’un morceau, soit deux voire trois fois moins bien des albums de variétés, vous pouvez sortir un CD de qualité professionnelle. C’est la grande force de Chaht man Prod, le label de Casa Crew, fondé et géré par Youness alias Chaht Man.
Dans son bureau aux airs de squat dont les m urs semblent tenir grâce aux affiches de son groupe, des nouveaux albums et des concerts, il est bien obligé de se faire une raison. « Pour encourager les jeunes rappeurs indépendants à enregistrer des morceaux à moindre coût.
Actuellement, le rap marocain englobe trois catégories : La catégorie A les groupes qui veulent atteindre la notoriété à tout prix sans aucune révérence à leur public, la catégorie B, les rappeurs qui aspirent à un éventuel succès en restant le plus possible fidèles à leur public, et la dernière catégorie qui font toujours du rap conscient radical. Moi, en tant que producteur, j’opte pour cette troisième catégorie ». Tout le monde est passé par là. Jo, X-Side, Shawline, Steph-Ragga-man, entre autres, y compris Casa Crew.
L’Economiste - Ayoub Akil
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