Le gouvernement français vit dans la crainte que la réouverture très tôt des lieux de culte ne soit un vecteur de contamination. Sur le sujet, Emmanuel Macron avait déclaré que "la pire des choses serait de rouvrir trop vite, trop fort et d’être ensuite amené à refermer". Le 7 mai 2020, le ministre de l’Intérieur, en charge également des Cultes, Christophe Castaner, avait promis "travailler avec l’ensemble des responsables cultuels aux conditions d’une reprise des cérémonies religieuses d’ici la fin du mois".
Mais le lundi 18 mai, le Conseil d’État, la plus haute juridiction administrative de France, a ordonné à l’État de lever son interdiction sous huit jours, estimant qu’elle portait "une atteinte grave et manifestement illégale à la liberté de culte". Pour le juge des référés, "des mesures d’encadrement moins strictes peuvent être prises pour les lieux de culte comme celles appliquées aux rassemblements de moins de 10 personnes dans d’autres lieux ouverts au public", indique France info.
Les quartiers de Grenoble comme Teisseire, Saint-Bruno, qui ont l’habitude de s’animer au cours du mois du Ramadan, sont désespérément calmes. Sur le site internet de la mosquée El Feth de Teisseire, les appels à la vigilance, le rappel des règles du confinement, ont pris le pas sur les rendez-vous religieux. "Pas de rassemblements pour les fidèles, ni repas de rupture de jeûne en commun, traditionnellement organisés chaque année par les mosquées ou les associations caritatives".
Depuis le déconfinement progressif qui a démarré le 11 mai, l’atmosphère a indéniablement changé. "Plus besoin d’attestation en poche, mais au programme, distanciation sociale, affiches et consignes sanitaires à tous les coins de rue, et rassemblements toujours prohibés". Même les coiffeurs, les boutiques, les restaurants et les cafés sont toujours fermés. "C’est ce qui manque le plus. Les retrouvailles après le repas au coucher du soleil, l’esprit de joie d’être ensemble, l’esprit de fête, les soirées sont longues, même pour les enfants", confie Redouan Lemsiem, un buraliste. Son chiffre d’affaires a chuté de moitié et il a peur de l’avenir.
Sur les chaînes du Maghreb, qu’il suit d’un œil, Redouan, originaire de Fès, n’entend souvent que les versets égrenés sur une image fixe du Coran. Dans son magasin, quelques friandises traditionnelles, qui rappellent que le Ramadan bat son plein. Une période de fraternité, de partage qu’il aime particulièrement."D’ordinaire, j’ouvre la boutique dans la matinée jusqu’à 14 heures ; et ensuite, je file rejoindre et aider la famille juste à côté, les femmes à préparer tous les mets de fête. C’est un moment que j’aime beaucoup ; là, j’attends plutôt 18 h, 18 h 30 ; tout est différent".
À quelques mètres de là, il y a Samira qui est toute seule à l’étal, mais heureuse d’avoir retrouvé l’air libre. Mais elle a tout de même des regrets. "C’est vrai que les filles me manquent, les sœurs ou tantes qui d’habitude font la cuisine ici. Elles manquent aux gens, elles me manquent. Les clients ne peuvent pas demander comme d’habitude à la volée un peu moins d’épice ou plus de menthe ; je dois les appeler à chaque fois, par téléphone, là où elles font les préparations. Ce n’est pas la même chose".
Selon France info, quand on évoque la possibilité de célébrer l’Aïd, la question n’est pour personne une priorité. À la veille de la fin du jeûne, chacun a ses soucis, comme ces deux jeunes étudiantes, Chama et Soukaina qui ont vécu le confinement ensemble. La première était venue de Casablanca rendre visite à son amie, et s’est retrouvée confinée, loin de ce qu’elle avait prévu. "Ça s’est bien passé", raconte Soukaina, "parce que j’ai un peu d’espace dans le petit logement de ma résidence d’étudiante, mais j’ai bon nombre d’amis qui se sont retrouvés coincés, dans d’autres villes, et sans argent, dans une vraie galère".
Avec son diplôme décroché après trois ans d’études à l’École de Management de Grenoble, Soukaina est impatiente de retrouver ses parents, tous deux médecins à Casablanca. C’est un peu dans la peur du covid-19 qu’elle a vécu ce Ramadan. "J’ai toujours respecté le jeûne ; c’est la deuxième fois que je le vis ici. C’est sans doute lié à la peur du covid, mais j’ai trouvé les gens un peu méfiants. Et puis, j’ai l’impression que les règles sanitaires ne sont pas scrupuleusement respectées, si vous regardez autour de vous, vous vous rendez compte que c’est un peu désordonné".
C’est aussi l’avis de cette jeune femme qui travaille en équipe médicale, en relation avec le SAMU sur le terrain. Elle pense même qu’il ne faudrait pas célébrer l’Aïd, afin de minimiser les risques de contamination. "Moi, je vis et je porte la Foi en moi, mais l’Aïd, en mode Covid, c’est d’abord hasardeux pour la santé de tout le monde et ça n’a pas vraiment pour moi de sens. C’est un moment fort et symbolique pour nous, pendant lequel nous avons besoin de nous retrouver les uns avec les autres, les uns contre les autres. Vous avez déjà assisté à la célébration à Alpexpo ? Nous sommes des milliers habituellement. Non vraiment, cette année, même si c’est autorisé, je n’irai pas. Dans notre religion, la vie humaine doit être protégée", insiste-t-elle.