L’hebdomadaire français Marianne (numéro 1407) a été interdit de distribution au Maroc, en raison d’un dessin caricatural jugé offensant pour le prophète Mohammad.
On l’aime ou on le déteste. Rachid Niny, directeur et chroniqueur à Al-Massae, ne laisse personne indifférent. Son journal, qui fête le 18 septembre son premier anniversaire, est un phénomène de société au Maroc. "Populiste" : c’est le terme qui revient le plus souvent pour qualifier ce quotidien arabophone, premier tirage du royaume (en moyenne, 200 000 exemplaires), un journal qu’on lit dans les villes de l’intérieur, et pas seulement à Rabat et à Casablanca.
Le succès d’Al-Massae tient, avant tout, à un nom : Niny (37 ans), et à sa chronique satirique, publiée chaque jour en dernière page, juste en dessous de sa photo. Celle d’un grand gosse - un "sale gosse" ? - à la casquette toujours vissée sur le crâne et au sourire narquois.
Six jours sur sept, Rachid Niny joue les Robin des bois et s’en prend à quelqu’un ou à quelque chose. Le plus souvent à une figure de la vie politique ou économique marocaine, à une affaire de népotisme ou à une magouille. Niny tire sur tout ce qui bouge. Parfois un peu vite. Parfois un peu facilement. "Je rebondis sur des petits riens de la vie quotidienne. Des bijoux que je découvre moi-même ou que je lis ici et là. Des affaires qui devraient passer inaperçues mais que j’exploite. Ce sont mes trésors !", dit-il de sa voix douce, presque inaudible.
Basée à Casablanca, la rédaction d’Al-Massae compte 25 journalistes. Moyenne d’âge : 40 ans. Aux côtés de Niny, deux piliers reconnus pour leur professionnalisme : Taoufik Bouachrine, rédacteur en chef, et Ali Anouzla, chef du bureau de Rabat. "On peut nous reprocher tout ce qu’on veut, mais nous sommes cleans tous les trois. Et c’est ce qui fait notre réussite", dit Niny.
Etrange personnage que cet homme qui brocarde tout dans ses colonnes sauf l’islam, s’en prend à l’entourage du roi, mais pas au roi, possède un visage enfantin mais aussi une solide culture générale. Niny a eu une vie bien remplie. En 1997, il part pour l’Espagne, où il reste trois ans, sans papiers. Là-bas, il fait toutes sortes de petits boulots, comprend ce qu’est "toucher le fond" à force d’avoir faim, d’avoir froid. "Ça m’a guéri à jamais de risquer d’avoir la grosse tête", dit-il aujourd’hui.
De cette expérience, Niny a tiré un livre, en espagnol et en arabe, Journal d’un clandestin, best-seller au Maroc en 2002. "Mon premier amour, c’est l’écriture. Mon rêve d’enfant était d’être écrivain ou journaliste. Pour moi, c’est la même chose", dit-il. René Char et Arthur Rimbaud font partie de ses "poètes préférés". Car Niny a une passion, la poésie. Il a d’ailleurs en cours une thèse de doctorat sur la poésie contemporaine. "Le poète arabe, c’était le journaliste d’autrefois. Il était chargé de transmettre la douleur. Les poèmes, ça dure pour l’éternité. J’ai la rage des poètes. Je suis un révolté permanent", avoue-t-il soudain.
Porte-parole des exclus
Populiste ? Niny a une parade : "Si vous voulez dire que je réclame la justice sociale pour ceux qui ne peuvent pas se défendre, alors oui, je suis populiste ! Ecrire, pour moi, c’est protester !", répond-il sans se démonter. Niny, porte-parole des exclus : c’est bien ainsi qu’il se voit, et c’est justement ce qui lui est reproché, surtout par la profession. "On me dit démago, homophobe, islamiste, conservateur... Peu importe. Ceux qui me critiquent sont souvent des confrères jaloux. Je les comprends ! C’est humain, la jalousie !", s’amuse-t-il. L’avenir ? Niny rêve d’un groupe de presse "fort, influent, indépendant". Il s’arrête et précise, incorrigible : "Indépendant des institutions, mais pas du peuple. Le peuple, c’est ma cause. Je ne serai jamais indépendant de lui !"
Le Monde - Florence Beaugé
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