Le directeur des services de sécurité To Serve and Protect (TSAP) se tourne vers une dizaine de gars bâtis comme des armoires à glace. Ils sont assis à une grande table dans une cave remplie de vélos. Ufuk, un géant turc, finit son yaourt aux fruits. Ces hommes doivent faire face aux nuisances essentiellement causées par de jeunes Marocains dans ce quartier de l’arrondissement de Slotervaart, à Amsterdam.
Les jeunes traînent en groupe jusque tard dans la nuit, souvent devant la pizzeria et le magasin de kebabs, sur la place August Allebé, en piteux état. Agés de 12 à 23 ans, ils intimident et menacent les passants, s’en prenant en particulier aux femmes. Ils sont antisémites, homophobes et violents envers quiconque leur fait une remarque. Beaucoup ne vont pas à l’école, n’ont ni emploi ni perspective d’avenir. Un certain nombre se livrent à des cambriolages, des vols à la tire et des vols à la roulotte.
Les hommes qui se confrontent à ces fauteurs de troubles portent un pull bordeaux et une veste grise. Sur leurs vêtements, on lit “straatcoach” [éducateur de rue] autour d’un emblème représentant un aigle. Ils doivent s’arranger pour chasser les jeunes trublions par des paroles énergiques et par leur présence physique.
L’intervention des Marokkaanse buurtvaders [littéralement, les pères marocains du quartier : ce sont des adultes qui s’efforcent d’inciter les jeunes, par la discussion, à respecter certaines valeurs] et des dizaines d’autres projets qui coûtent des millions d’euros n’ont pas réussi à ramener le calme dans le quartier.
Le maire d’Amsterdam, Job Cohen, a donc opté pour une approche non orthodoxe. Les straatcoaches sont des collaborateurs de TSAP, dont beaucoup ont pratiqué le kickboxing, le karaté ou d’autres sports de combat. Ces hommes à poigne sont originaires, entre autres, du Maroc, d’Egypte, de Turquie, d’Irak et du Suriname. Ils parlent le langage de la rue.
Il faut savoir se faire respecter : qui est un homme, un vrai ?
“Ici, les nuisances et la criminalité sont bien plus imbriquées qu’ailleurs”, explique Patrick Bakker, chef d’équipe de TSAP. “Nous sommes là pour lutter contre les nuisances, pas contre la criminalité. Mais, par notre présence, nous perturbons les activités criminelles.”
Les straatcoaches, tendus, traversent à vélo le secteur D, le nom que donne TSAP au quartier Piet Mondrian. Pour l’instant, on se contente de les insulter à distance. Un petit groupe de Marocains plus âgés qui sortent de la mosquée les traitent de “traîtres”. Ufuk n’en revient pas. “On a du mal à le croire, non ?” Personne ne sait quelle tournure peuvent prendre les événements. Quand Ufuk demande dans quelle mesure il a le droit de se défendre, son chef d’équipe répond : “Autant que la situation le justifie. — Et s’ils sortent des couteaux ? — Dans ce cas, totalement. Mais je ne prendrais pas de risque, parce que nous ne sommes pas armés.”
Parfois, les straatcoaches parviennent à parler avec les jeunes et à expliquer leur travail. Mais, généralement, il s’agit de mondes séparés, qui s’observent parfois à une dizaine de mètres de distance. Un jeune peut tout à fait parler au straatcoach un jour, puis le lendemain cracher par terre devant lui. “Si j’y étais habilité, je prendrais des mesures plus sévères contre ces jeunes, bien plus sévères, dit Fouad. Il faudrait que la police marocaine vienne ici quatre semaines. Il n’y aurait plus de problèmes.”
De Volkskrant - Weert Schenk