La médina de Salé fait peau neuve
Les travaux de réhabilitation de la médina de Salé engagés depuis 2019 avancent lentement. La majorité des projets entrant dans ce programme de mise à niveau sont encore en...
De plus en plus désertées par leurs habitants, les médinas marocaines ont toujours attiré les étrangers, particulièrement les écrivains, qui viennent rêver sous leurs remparts. Sans doute par nostalgie d’un ordre ancien. Témoignages.
Pendant le Festival Gnaoua d’Essaouira, on pouvait observer un curieux manège : alors que les habitants de la médina quittaient leur territoire pour aller respirer le large, les non-Souiris boudaient la plage et préféraient s’enfoncer derrière les remparts. Juste pour le plaisir de flâner. Car la médina d’Essaouira, comme toutes les médinas marocaines, ne possède aucun attrait visible. Elle consiste en un entrelacs de rues et de venelles et, de ce fait, présente une structure labyrinthique que les colons européens considéraient comme chaotique et anarchique. En apparence, bien sûr. Historiens et géographes s’accordent à dire que, derrière cette forme anarchique des rues et des ruelles, se cache une structure très identifiable, régie par un certain nombre de règles.
Les Marocains vivent dans les médinas par nécessité et non par choix
La plupart des Marocains ne vivent pas dans la médina par choix, mais plutôt par nécessité. A Fès, par exemple, on n’y trouve plus ceux qui y avaient pignon sur rue. Ils l’ont tous quittée, ce qui a provoqué des effets désastreux. Dans Fès El-Bali, que l’Unesco a inscrit au patrimoine mondial de l’humanité et que l’on restaure peu à peu, la plupart des 350 palais privés sont abandonnés ou menacent ruine. A Rabat, les notables ont commencé à déserter, dès l’indépendance, la médina et ont installé leurs pénates à l’Agdal, au Souissi ou à Bir Kacem. A Casablanca, les bourgeois, qui se sentaient sous-valorisés dans un lieu « archaïques », sont allés s’installer dans la ville européenne, quadrillée, qui représentait l’ordre, la rationalité, la « supériorité » de la civilisation européenne. Leurs maisons dans la médina ont été récupérées par des ruraux chassés de la campagne par la sécheresse. Conséquence : « La situation est devenue alarmante du point de vue du patrimoine et des conditions sociales.Une maison qui était occupée par une seule famille hier est à présent occupée par plusieurs. Chaque pièce est devenue un appartement, avec sa cuisine, occupée par une famille n’ayant aucun lien avec les autres personnes habitant les autres parties de la maison », s’indigne Serge Santelli, architecte, spécialiste de l’urbanisme arabe. Avec la vogue des riads qui s’empare de Marrakech et d’Essaouira, ce sont ces anciens immigrants qui, alléchés par l’odeur de l’argent, n’hésitent pas à céder leurs demeures vétustes aux étrangers.
Pour le plaisir de s’oublier, affirme Juan Goytisolo
Alors que les Marocains, à l’exception de quelques artistes, n’ont aucun égard pour leurs médinas, les étrangers s’y plaisent, en raffolent, et parfois y prennent racine. Ainsi Denise Masson. Cette infirmière issue d’un milieu cossu vécut quarante ans au cœur de la médina de Marrakech, dans un fastueux riad, mais entre la misère quotidienne et les risques de choléra. Ou l’écrivain espagnol Juan Goytisolo qui, fasciné par Marrakech, s’y implanta en 1976, élisant domicile dans un quartier de la médina, qu’il ne quitte jamais. « Pour aller à Guéliz, j’ai l’impression qu’il me faut mon passeport ! ». Goytisolo n’est pas le seul écrivain à avoir cédé à l’appel des médinas, d’autres n’y ont pas résisté, à l’image des frères Tharaud, André Gide, Agatha Christie, Elias Canetti, Henri Bosco…Tous estiment que celui qui a vécu dans une médina ne s’en déprend jamais, tant elle se présente comme un livre qu’on ne se lasse pas de feuilleter.
Si Juan Goytisolo est le scribe attitré de la médina de Marrakech, il n’en est pas moins sensible aux charmes des autres médinas marocaines. Tout particulièrement celle de Fès, dont il dit dans Juan sans terre (Seuil, 1977) : « Accordez peu à peu votre rythme intérieur à la palpitation de la médina sonore. Marchez, marchez toujours. Et quand, vaincu par une délicieuse fatigue, vous ignorerez soudain qui vous êtes, où vous êtes et, surtout, le pourquoi du parcours, ouvrez une porte à l’aventure. Prononcez le salut rituel. Avancez en tâtonnant le long des murs. Rendez-vous sur les fourrures et les tapis comme les occupants qui reposent ».
Quand Goytisolo exalte les vertus amnésiantes (jusqu’à l’oubli de soi) de la médina, Jérôme et Jean Tharaud, eux, chantent le sentiment d’angoisse qu’elle suscite : « Tout vous trouble : cet épais silence ; cette obscurité de velours, où de loin une ampoule électrique se bat péniblement avec l’ombre ; ces rues étroites, enchevêtrées, tortueuses et profondes ; ces portes bardées de fer, qui ferment l’entrée des quartiers et vous barrent le passage ; puis ces coups qu’il faut frapper pour qu’on ouvre, et qui résonnent si fantastiquement […] Cette inquiétude, cette angoisse, c’est la poésie même de Fès qui vous met la main sur le cœur » (Fès ou les bourgeois de l’Islam, Plon, 1933).
Pour le poète sévillan Vicente Aleixandre, la médina, celle de Tétouan en l’occurrence, évoque le Bagdad des Mille et une nuits. Dans une lettre adressée à son amie Trina Mercader, il écrit : « Quand j’étais enfant, je lisais, comme tout le monde - et plus tard dans sa version beaucoup plus complète - les volumes des Mille et une nuits. Comparaison facile, me direz-vous ? Eh bien non, chère amie. Que pensez-vous de Tétouan ? me demandait un curieux l’autre jour. La ville musulmane ? Que déambuler dans ses rues, c’est se replonger en même temps, par une voie simple et magique, dans la Bagdad de notre enfance. »
Anaïs Nin hantait les médinas pour admirer la lenteur des Marocains
Anaïs Nin était une écrivaine dépressive, égarée dans des explorations intérieures. Lors de son séjour à Fès, elle atteignit à une paix de l’esprit et du corps jamais trouvée. Elle aimait à flâner dans la médina, où elle observait et appréciait la lenteur des Marocains. « Déambuler dans le labyrinthe des rues, des rues comme un intestin, deux mètres de large, dans le gouffre de leurs yeux sombres, dans la paix. C’est d’abord par le rythme que l’on est impressionné. La lenteur. Foule dans la rue. Coude à coude. Ils vous soufflent au visage, mais avec un silence, une gravité rêveuse. Seuls les enfants crient et rient et courent », écrivait-elle dans son Journal (1934-1939) (Stock, 1970).
Par fidélité à la médina d’antan, Louis Gardel ne va plus dans celle de Marrakech
Le romancier espagnol Rafaël Chirbes a longtemps résidé à Fès, qui sert de théâtre à son premier roman, Mimoun (Anagrama, 1988). En voici un extrait : « Avant le dîner, j’allais me perdre dans les ruelles de la médina, au-delà de Bab Boujloud, et je restais jusqu’à l’heure où les lampes à pétrole des boutiques commençaient à projeter une lumière blafarde, qui sifflait sur les objets de cuivre et ceux de cuir, sur l’argent et les montagnes d’épices. Je pensais encore que Fès était la ville la plus belle du monde, même si je ne savais pas alors en expliquer la raison. C’est comme si une mer de tristesse avait inondé ce labyrinthe lumineux, et les objets et les gens y étaient restés noyés, et, petit à petit, déteignent en laissant de lamentables traînées de couleurs ».
Si les écrivains confessent leur passion pour les médinas, ils ne peuvent rationnellement l’expliquer. Souvent, ils mettent en avant le mystère qui les enveloppent, qu’elles exhalent. A l’image de ces façades aveugles qui dérobent au regard les êtres et les vies qui occupent la maison. A croire certains écrivains, les médinas ne sont plus ce qu’elles étaient, ne ressemblent pas à leur passé. Ainsi la médina de Marrakech, qui a offert des souvenirs d’enfance émerveillés à Louis Gardel : « Un demi-siècle a passé. Pour retrouver la magie des jours anciens, je dois me réfugier tout au fond des jardins de l’Agdal, près d’un bassin pas encore restauré, où les grenouilles accompagnent le coucher du soleil. Car je réprouve aussi, en vrai Monsieur Jadis qui ressasse ses déceptions, les trop beaux jardins, des trop belles maisons, des gens très riches qui, depuis une décennie, ont colonisé mon paradis ». Par fidélité à la médina d’antan, Louis Gardel n’y va plus, mais il y pense, comme quoi on ne peut se déprendre des charmes de la médina.
La vie éco - Et-Tayeb Houdaïfa
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