Le Parti de la justice et du développement (PJD) a demandé le retrait des manuels scolaires dont les couvertures sont aux couleurs du drapeau LGBT.
L’éditeur n’avait pas calculé que ce livre sur les racines de la xénophobie espagnole à l’encontre du Maroc sortirait en pleine crise à propos de l’îlot Persil, au moment où les relations entre les deux pays sont au plus bas et où le roi Mohammed VI réclame Sebta et Melilla, les enclaves espagnoles du nord du Maroc, traitant l’Espagne d’"usurpatrice". Or, dans ce magnifique album sur papier glacé intitulé L’Image du Maghrébin en Espagne, Eloy Martin Corrales propose une rétrospective historique, à base de gravures, dessins et caricatures, de l’image du voisin marocain dans l’imaginaire populaire espagnol. Et, autant le dire, cette image n’est pas brillante.
Une inimitié, raconte l’auteur, dont les racines plongent jusqu’à la Reconquista au XVe siècle, fin de l’Espagne des trois religions avec la chute de Grenade et l’expulsion des juifs, suivie un gros siècle plus tard, en 1609, de celle des morisques, les musulmans convertis au christianisme. Tandis que pirates et corsaires musulmans razzient les côtes, suscitant le cri d’effroi de "Maures à la côte !", dans les églises règne la figure de saint Jacques matamoros - littéralement tueur de Maures, qui donnera notre matamore -, et les gravures font le portrait de maures "redoutables, fourbes et cruels", torturant à loisir leurs prisonniers. A la fin du XVIIIe siècle, petite accalmie : traité de paix entre Madrid et la dynastie alaouite. Mais la mode de l’orientalisme vient alors souligner le côté "indolent, jouisseur et lascif" des Maures. Et c’est entre cette double vision, cruelle et lascive, qu’évoluera l’image du Marocain, vite redevenu le Moro dépréciatif, à chaque conflit.
Lors de la guerre du Rif, dans les années 1920, les Marocains sont caricaturés en singes et en chiens. Les cartes postales montrent la troupe posant, avec des têtes de Moros coupées, comme au safari. Parfois, ils ne sont plus que des sauvages sous-développés qui roulent des yeux effrayés, comme sur cette vignette où un soldat en casque colonial présente une machine à coudre Singer à une fatma éblouie. D’ennemis redoutés, ils sont devenus des sortes d’animaux sales, primitifs, aux traits carrément négroïdes dans les dessins : sur l’un d’eux, un prisonnier marocain est porteur d’une muselière et d’autres sont en cage dans un zoo. On les montre aussi en obsédés sexuels, de préférence sodomites.
Bref, une lourde xénophobie, que la "garde maure" qui accompagna le dictateur Franco dans la guerre civile n’a pas contribué à alléger. Pourtant, une lueur d’espoir apparaît dans les dessins les plus récents : tous sont du côté des immigrants désespérés qui risquent leur vie pour traverser le détroit de Gibraltar. Et le vieux cri "Maures à la côte !", cette fois, est un cri de solidarité.
Marie-Claude Decamps pour lemonde.fr
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