En effet, si les premières générations veulent, à tout moment, rejoindre leur pays d’origine et y passer tout leurs jours de repos, leurs enfants ne pensent qu’à passer des vacances dans d’autres pays du monde. Que cache le ballottement de la 3e génération ? Pourquoi ont-ils souvent besoin de changer et diversifier les destinations estivales ? Et qu’en est-il de leur patriotisme, est-il affecté par ces folles envies de découvertes de nouveaux horizons ? Décryptage d’une autre facette du conflit des générations.
La communauté marocaine résidant à l’étranger a presque doublé en effectif en l’espace de quinze ans, passant de 1.634.520 en 1992 à plus de 3.200.000 à fin 2007. L’Europe abrite plus de 80% des Marocains résidant à l’étranger, viennent après les pays arabes du Golfe avec 9%, puis l’Amérique du nord avec 6%.
Dès les années 1990, de nouvelles destinations, autres que les pays d’accueil traditionnels comme la France ou la Belgique, commençaient à attirer un nombre important de Marocains.
C’est notamment le cas de l’Espagne qui abrite actuellement la deuxième plus importante communauté marocaine à l’étranger avec plus de 550.000 personnes et de l’Italie qui abrite près de 400.000 MRE.
L’augmentation des effectifs des Marocains du monde a été accompagnée par des transformations au niveau de la structure démographique de cette communauté. Ainsi, les femmes constituent désormais près de 50% du total. Il en découle une augmentation du nombre des enfants et des jeunes nés à l’étranger. Ces derniers, vu leurs âges, vivent une certaine forme d’agitation aux niveaux culturel, politique et social. Et même lorsqu’il s’agit du retour « saisonnier » aux racines, leurs ‘’décisions divergent’’.
« Chaque été, c’est toujours le même problème. Mon mari souhaite passer ses 30 jours de congé au bled, alors que mes enfants refusent de visiter toujours le même endroit. Ils disent qu’ils ont besoin de voir d’autres coins du monde à part leur pays d’origine », témoigne Saâdia, une maman de deux adolescents.
En effet, si Adil et Salma ne veulent plus venir au Maroc chaque été, c’est parce que les tentations sont alléchantes en Europe. « Imaginez qu’on peut partir 15 jours en Turquie ou au Brésil à partir de 520 euros. Si on va au Maroc, le même voyage risque de nous coûter plus de 11.000 DH.
C’est sûr que nous aimons notre pays à la folie, mais depuis mon enfance, nous y allons chaque été. Nous avons besoin de faire de nouvelles découvertes », précise Salma. Son frère, loin de la contredire, ajoute : « Je sais que tout le monde nous aime au Maroc et attend impatiemment notre visite, mais nous aussi, on n’ a que quelques semaines de vacances et nous voulons découvrir d’autres pays.
Notre père adore s’installer dans le patelin où il a grandi. Il veut fuir le vacarme des villes et se ressourcer aux montagnes. Cet esprit ne nous convient pas, nous sommes très jeunes et nous avons sens d’aventure ».
L’aventure c’est ce que cherchent donc nos jeunes MRE, quoique cette quête n’est pas toujours du goût des parents. L’éternel conflit des générations dévoile ici une autre facette : celle du patriotisme. « Loin de moi l’idée de vouloir bloquer leurs envies de découverte, je comprends qu’il se lassent souvent des endroits que je leur fait visiter, mais je me dis que notre pays abrite de belles choses. Il suffit qu’ils y pensent vraiment et arrêtent de rêver du Brésil et des îles Canaries ou autres destinations… », pense le père des deux jeunes adolescents.
Divergence intellectuelle ou juste une question de conflit des générations ? La psychologie a un autre mot à dire : « Ce serait trop simpliste de penser en termes d’un conflit inévitable entre les plus âgés et les plus jeunes, entre l’autorité et la rébellion, entre l’expérience et la naïveté, entre les limites et l’exubérance ou entre la responsabilité et la liberté. Bien sûr, il existe des facteurs biologiques déterminants qui garantissent aux jeunes d’avoir plus d’énergie physique. Mais psychologiquement, il se peut que nous, les adultes, soyons moins contenus et rigides lorsqu’il s’agit de nous exprimer parce que la confrontation répétée avec les limites du monde peut aussi jouer le rôle de nous rendre moins enclins à prendre des risques quand nous sommes plus âgés », explique Loubna Belmajdoub.
Les différences physiques et psychiques entre les générations existent depuis la nuit des temps, on ne peut pas les nier. Pourtant, ces deux entités se retrouvent face aux mêmes doutes devant les problèmes de la vie sociale : le travail, les études, la formation, l’acquisition du savoir et même les vacances d’été. Car si les grands cherchent à se ressourcer dans les sereins endroits marocains, les jeunes, quant à eux, se retrouvent plus dans les lieux animés, jour et nuit. Les destinations de rêves ne manquent surtout pas, et les jeunes MRE ‘’tanguent entre deux choix’’ : faire plaisir aux parents et passer des vacances au sein des familles ou partir sous d’autres cieux à prix attractifs. Quelle que soit la décision, une chose est sûre : « Notre pays restera a jamais dans nos cœurs, nous l’adorons et rien au monde ne nous fera changer d’avis. Voyager ailleurs, c’est juste une question d’ouverture sur d’autres cultures et acquérir de nouvelles connaissances », conclut Adil.
Colonies de vacances...
Vingt enfants d’immigrés marocains en Italie sont arrivés, récemment à Casablanca, pour passer deux semaines de vacances, à l’initiative de la Fondation Hassan II. Un programme riche et varié est conçu pour les distraire. Il comporte plusieurs déplacements dans les régions afin de renouer avec la langue du pays d’origine, connaître certaines spécificités régionales et conforter les connaissances sur le pays. De l’aéroport, les 20 enfants ont été emmenés au Complexe Moulay Rachid de Bouznika où ils sont hébergés durant leur séjour. Signalons, par ailleurs, que durant la même journée, des délégations d’enfants de Marocains résidant à l’étranger (MRE) sont arrivés au Maroc, en provenance d’Allemagne, de France, de Tunisie, de Jordanie, de Belgique et du Canada. Ces séjours entrent dans le cadre de la même initiative de la Fondation Hassan II, qui prend en charge le voyage et le séjour de ces enfants.
Source : Le Matin - Rajaa Kantaoui