Maroc : revers diplomatique au Sahara

16 août 2003 - 12h25 - Maroc - Ecrit par :

Le Maroc vient d’essuyer aux Nations unies un revers diplomatique dont le royaume, fragilisé par la vague d’attentats-suicides de Casablanca, se serait bien passé. L’enjeu concerne le Sahara, un territoire de la taille de la Belgique, faiblement peuplé mais riche en phosphates, en ressources halieutiques et, selon certains, en pétrole.

Depuis plus d’un quart de siècle, l’avenir de l’ancienne colonie espagnole oppose le Maroc, qui l’occupe militairement, au Front Polisario, qui a trouvé refuge dans le Sud algérien.
Le royaume considère cette frange du Sahara comme un territoire marocain tandis que le Front Polisario milite pour son indépendance.

Pour le Maroc, la question de ce territoire n’est pas anecdotique. Les autorités ont fait de la "récupération" des "provinces du Sud" une cause nationale sacrée. Tous les partis politiques adhèrent à cet impératif qui monopolise la diplomatie du royaume et pèse lourdement sur les finances de l’Etat. Quiconque à Rabat met en doute la "marocanité" du Sahara s’expose à des ennuis qui peuvent conduire à la prison.

Depuis des décennies, l’ONU s’efforce de trouver une solution à ce conflit oublié, en partie hérité de la guerre froide et d’une décolonisation bâclée. Le Maghreb a tout à y gagner : une solution négociée ouvrirait la voie à un rapprochement entre le Maroc et l’Algérie et, dans la foulée, permettrait de faire de l’Union du Maghreb arabe (UMA) autre chose qu’une coquille vide.

La solution naturelle pour décider de l’avenir du territoire passe par un référendum d’autodétermination. Forte de quelque 500 militaires et civils sur place, la Mission de l’ONU pour le référendum au Sahara (Minurso) travaille à sa mise en œuvre pratique depuis des années. Mais jusqu’ici elle a travaillé en vain car les deux principaux protagonistes n’ont jamais réussi à s’accorder sur le corps électoral appelé à décider si l’ex-colonie espagnole doit être rattachée au Maroc ou devenir un Etat indépendant.

Il est vrai que définir qui est sahraoui et qui ne l’est pas est difficile dans une société faite de nomades et où la culture orale domine. Pour compliquer le problème, se pose la question des civils marocains - difficilement comptabilisables - venus s’installer sur place avec les encouragements de Rabat. Doivent-ils participer au référendum ou pas ?

Le blocage est tel que, depuis douze ans que les armes se sont tues entre les Marocains et les combattants du Front Polisario, les plans de paix onusiens s’enchaînent sans succès. Chacun des protagonistes campe sur ses positions. Boudée par les grandes nations mais reconnue par plusieurs dizaines d’Etats du tiers-monde, la République arabe sahraouie démocratique (RASD) s’efforce d’élargir son assise internationale. Puissance occupante, le Maroc joue la carte du temps et exploite le Sahara "utile".

Solution radicale

De cet immobilisme, les Sahraouis font les frais. Ceux réfugiés en Algérie vivent de la charité internationale dans des campements de fortune tandis que les autres, demeurés sur place, assistent à leur marginalisation démographique progressive. De son côté, l’ONU continue à financer le maintien d’une Minurso dont l’utilité commence à être remise en question. Quelque 500 millions de dollars ont été engloutis par elle à ce jour.

Ce statu quo est peut-être arrivé à son terme avec l’annonce d’un nouveau plan de paix concocté par l’envoyé personnel du secrétaire général de l’ONU dans la région, James Baker. Le projet de l’ancien secrétaire d’Etat américain ne rompt pas radicalement avec les moutures précédentes. Il propose d’instaurer un régime de semi-autonomie au sein du Maroc pendant une période de transition de quatre à cinq ans à l’issue de laquelle un référendum sera organisé. Les habitants du territoire auront à choisir entre l’indépendance, l’intégration ou le maintien en régime semi-autonome.

Pendant la transition, une instance administrative, l’Autorité du Sahara (ASO), dotée d’un président et d’une Assemblée élus, prendra en charge l’administration du territoire. A l’Autorité reviendra la gestion, entre autres, du budget, de la fiscalité, de l’économie et de la sécurité intérieure. En revanche, les relations extérieures, la sécurité nationale et la défense resteront sous responsabilité marocaine. De même que le drapeau et la monnaie.

Pour contourner le problème de la composition du corps électoral, le projet préconise - et c’est là son originalité - une solution radicale : aura le droit de vote toute personne, sahraouie ou marocaine, âgée de plus de 18 ans résidant sur le territoire depuis fin 1999 ou inscrite sur des listes déjà établies par l’ONU.

L’élargissement du corps électoral va indiscutablement dans le sens des demandes marocaines. Pourtant, à la surprise générale, le Front Polisario, dans le sillage de son allié algérien, a apporté son appui au projet de l’ONU tandis que les Marocains le rejetaient.

Du coup, la position de Rabat apparaît fragilisée au sein de l’ONU, où le plan Baker a le vent en poupe. En témoigne la résolution votée fin juillet à l’unanimité par le Conseil de sécurité dans le cadre du renouvellement du mandat de la Minurso. Le texte affirme que le Conseil "appuie" le plan Baker, qualifié de "solution politique optimale", avant d’appeler les deux parties à travailler "l’une avec l’autre en vue de l’acceptation et de -son- application".

Certes, la version initiale présentée à la mi-juillet par les Etats-Unis était plus radicale puisque le conseil proposait d’"entériner" le plan Baker. La menace française de ne pas voter ce texte a permis à Rabat d’éviter le pire. Il n’en reste pas moins que le Maroc apparaît comme l’acteur qui, par son intransigeance, bloque tout processus de règlement au Sahara. Pour sortir de son isolement, Rabat va devoir présenter des contre-propositions.

Florence Beaugé et Jean-Pierre Tuquoi - Le Monde

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Sujets associés : ONU - Sahara Marocain - Attentats de Casablanca

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