Sur la voie, vraisemblablement. Mais, bien que cela soit un signe de développement socio-économique et culturel indéniable (donnez à l’Etat et l’Etat vous le rendra), on ne peut pas dire pour autant que les contribuables du pays adhèrent aisément au systèm.
Demandez au premier passant dans la rue ce qu’il y a de plus douloureux aujourd’hui qu’un coup de matraque ? Une poche qui se vide, vous répondra-t-il certainement. Touche pas à mon pay,s mais surtout pas à mon fric... Pour preuve, l’inspecteur du fisc, auparavant perçu par de nombreux Marocains, mais aussi opérateurs étrangers installés au Maroc, comme le petit fonctionnaire que l’on peut soudoyer à souhait , en espèces comme en nature, revêt peu à peu l’habit austère de l’intraitable contrôleur de l’administration fiscale, teigneux et fouineur à souhait. Devant les visites impromptues des agents du fisc, les descentes policières, symbole désuet d’un Makhzen fouettard et tout-puissant, ne seront probablement plus dans quelques années aux yeux de beaucoup, que d’inoffensifs coups de cornes d’agneaux en uniforme. Pour ceux qui ont en tous cas quelque chose à se reprocher.
Avec la nomination par le Roi en 1999 de l’intransigeant Noureddine Bensouda à la tête de la direction générale des Impôts, qui s’est attelé à son tour à moderniser et réformer en profondeur le fisc marocain (voir entretien), on pourrait ainsi croire que c’en est définitivement fini du Maroc fiscal où (presque) toutes les fuites sont permises. Ce n’est pas si évident.
Illustration : 64% des sociétés se déclarent déficitaires devant l’administration fiscale. Tout en continuant, relevez le paradoxe, à exercer leur activité. Il faut croire que les agents de Noureddine Bensouda, dépêchés à l’improviste pour des opérations de contrôle en cas d’évolution anormale des indicateurs de performance d’une entreprise ou de situations de déficit, n’arrivent pas, en dépit de tout, à venir à bout des magouilles de certains particuliers et entreprises, prêts à tout pour se soustraire au paiement partiel ou total de l’impôt.
Comment y parviennent-ils ? Le calcul est élémentaire : en augmentant leurs charges ou en réduisant leurs produits de manière à ce que la base imposable, en l’occurrence le bénéfice, soit la moins large possible. Certains y arrivent seul, d’autres font appel à des complices.
Cela va du jeune cousin faisant office de comptable occasionnel pour la petite affaire familiale au Commissaire aux Comptes (obligatoire pour les Sociétés Anonymes et les SARL réalisant un CA de plus de 50 millions de dirhams) chargé de certifier les comptes des grosses boîtes deux fois par an, en passant par l’associé de l’entreprise moyenne, rusé en montages financiers rocambolesques ou encore le client complaisant qui accepte de régler ses achats de produits ou de services en espèces. Sans oublier la pratique du “noir”, très courante dans les transactions immobilières au Maroc.
Difficile d’estimer les gains (pour les tricheurs) et les pertes (pour le Trésor Public) engendrées par la fraude fiscale au Maroc, le tabou étant bien trop vivace. Ce qui est sûr, en tout cas, c’est que ces omissions, insuffisances de déclaration, erreurs délibérées et autres combines douteuses alourdissent la pression fiscale des contribuables honnêtes. Et pèsent sur les finances publiques. Et qui dit Etat, dit infrastructures de base (routes, hôpitaux, écoles, etc) et budget de fonctionnement (salaires des fonctionnaires, entre autres).
Malhonnêtes, mauvais citoyens, les Marocains ?
« C’est trop vite dit. J’ai vécu 7 ans en France, connue comme l’un des pays européens les moins souples en termes d’imposition, avant de rentrer au Maroc. Là-bas, je faisais ma déclaration d’impôts annuelle sans rechigner, car j’étais confiante. Je savais où mon argent finissait : je n’ai jamais eu à me plaindre de l’état des hôpitaux ni de celui de la chaussée, je n’ai jamais eu à verser de bakchich pour obtenir un papier administratif et c’est volontiers que j’emmenais mes enfants à la piscine ou à la bibliothèque municipales », confie Karima, 32 ans, installée depuis 2 ans à Casablanca et mère de deux enfants.
Manque de moyens, gestion défaillante, reflet d’un système corrompu jusqu’à la moelle ? Au pays de Cocagne regretté de Karima, notons tout de même que la fraude fiscale représente entre 29 et 40 milliards d’euros, soit une somme comparable au déficit du budget de l’Etat français en 2006. Il faut croire que le péché de la triche est universel.
Quoi qu’il en soit, consommateurs et entreprises s’accordent à dire que la fiscalité marocaine est lourde. Au point d’en devenir étouffante ?
« Si l’on compare à des pays voisins et à niveau de développement économique quasi-similaire comme la Tunisie ou l’Egypte, on peut effectivement affirmer que la pression fiscale au Maroc est forte. Cela se ressent essentiellement au niveau de l’Impôt sur le Revenu et l’Impôt sur les Sociétés, dont les taux influent sensiblement sur le pouvoir d’achat et l’épargne des ménages pour le premier et l’investissement pour les seconds », nous dit Laâfou Hammou, expert-comptable exerçant à Casablanca.
L’Impôt sur le Revenu (IR), applicable aux revenus des personnes physiques (généralement salaires des particuliers) et aux sociétés de personnes (société en nom collectif, société en commandite simple et société en participation) varie de 25% (pour les revenus de 1.500 à 3.750 dirhams) à 42% (pour les revenus supérieurs à 10.000 dirhams), en passant par un taux de 35% pour les revenus compris entre 3.750 et 5.000 dirhams et 40% pour ceux situés entre 5.000 et 10.000 dirhams.
L’IR est calculé sur le salaire brut et prélevé tous les mois et directement (à la source) des salaires. Les sociétés de personnes (généralement des PME) doivent en plus s’acquitter d’un autre IR (dit sur revenu annuel) en fin d’année (généralement en juin) avec une cotisation minimale de 0,25 à 0,5% du chiffre d’affaires.
L’Impôt sur les Sociétés (IS), de 35% des bénéfices, s’applique à toutes les sociétés de capitaux, aux établissements publics et autres personnes morales et, sur option, aux sociétés de personnes. En plus de ces deux principaux impôts, toute personne physique ou morale, de nationalité marocaine ou étrangère qui exerce une profession, une industrie ou un commerce, doit s’acquitter de la patente (taxe proportionnelle établie sur la valeur locative brute normale et actuelle des locaux, emplacements et aménagements).
D’autres taxes dites locales (alimentant les budgets des collectivités locales) atterrissent également dans les coffres du Trésor Public comme la taxe urbaine (3 ou 4%) ou la taxe d’édilité (6% ou 10%). Cas particulier, la Taxe sur la Valeur Ajoutée de 20% (et, pour certaines activités, de 7, 10 ou 14%) est en fait supportée par le consommateur final, l’entreprise servant en quelque sorte de simple collecteur pour l’Etat.
En terme d’imposition, on peut avancer que la classe moyenne et les petites et moyennes entreprises sont les premiers à trinquer au Maroc, malgré les dernières révisions à la baisse de l’IR introduites par la Loi de Finances de 2007 après une année fiscale 2006 particulièrement fructueuse. Mais cette pression fiscale ne décourage-t-elle pas les investissements étrangers ?
« Pas vraiment, étant donné que les investisseurs étrangers au Maroc ciblent essentiellement des secteurs à forte valeur ajoutée et bénéficiant de réductions ou d’exonérations fiscales conséquentes comme le tourisme ou l’immobilier. Pour vous donner un exemple, dans l’hôtellerie, les entreprises sont exonérées d’IS à 100% dans les 5 premières années d’activité puis à 50% par la suite. Idem pour l’export, dispensé d’IS sur le chiffre d’affaires rapatrié en devises (100 puis 50%) et indéfiniment de la TVA ». Tout aussi malin, investir dans l’artisanat ou l’enseignement, qui jouissent d’avantages similaires ou implanter son entreprise dans la zone franche de Tanger ou dans des régions géographiques estimées économiquement défavorisées comme Al Hoceïma, Berkane, Boujdour, Chefchaoun, Guelmim, Oujda, Taza ou encore Tétouan.
A moins de se prendre des lentilles de contact bleues et de se faire rebaptiser Jacqueline ou Pierrot dès les premiers cheveux gris. En effet, les retraités étrangers qui décident de terminer leurs vieux jours sous le soleil marocain (comme plus de 40.000 papis et mamies français) bénéficient ainsi d’un abattement fiscal de 40% sur les revenus déclarés puis un abattement supplémentaire de 80% sur l’impôt sur le revenu qui en résulte, à condition de transférer la totalité de leur pension de retraite étrangère au Maroc.
On comprend pourquoi le Royaume du soleil couchant ne figure pas sur la liste des 72 paradis fiscaux, pays ou villes, dressée en 2007 par l’OCDE et parmi lesquels on retrouve le Luxembourg, le Liechtenstein, Madère, Andorre, Ingouchie (petite république russe), Francfort ou encore l’Ile de Man. Il faut croire en tous cas que le Maroc n’est un pas paradis -fiscal, s’entend- pour tout le monde.
Maroc Hebdo - Mouna Izeddine