Maroc-Israël : Les secrets d’une reprise

15 septembre 2003 - 13h22 - Monde - Ecrit par :

Rabat et Tel Aviv ont repris langue au plus haut niveau. Officiellement, le royaume chérifien est sollicité par les Israéliens et les Palestiniens pour rapprocher leurs points de vue et les aider à relancer un processus de paix qui fait du surplace. Mais l’engagement du Maroc dans un dossier aussi épineux, à un moment où le conflit au Proche-Orient connaît un regain de violence, n’est pas sans risque.

Il n’est pas dénué de calcul non plus. Les Algériens n’ont peut-être pas tort d’assimiler ce virage politique de Rabat à un appel du pied en direction de Washington pour gagner son appui dans le différend l’opposant à Alger sur la question du Sahara.

A en croire certains analystes de la presse algérienne, le Maroc, qui a signé récemment un accord de libre-échange avec les Etats-Unis, espère voir le Département d’Etat désavouer le Plan de James Baker pour le règlement de la question sahraouie, un plan qu’il juge peu favorable à ses intérêts. Le fait d’être officiellement sollicités pour jouer les intermédiaires entre les Palestiniens et les Israéliens renforce, il est vrai, le crédit des Marocains aux yeux des Américains.

Sous le titre “ Vers une restauration des relations diplomatiques entre Israël et le Maroc ”, le quotidien israélien Yediyot Aharonot a annoncé, dans son édition du 1er septembre, que le ministre israélien des Affaires étrangères, Sylvain Shalom, allait entamer une visite officielle de deux jours au Maroc, la première effectuée par un responsable israélien dans le Royaume depuis le déclenchement de la seconde Intifada, en septembre 2000. Le journal, qui a parlé de réchauffement spectaculaire dans les relations entre les deux pays, a indiqué que cette visite a été soigneusement préparée par des réunions secrètes entre les responsables des deux pays. “ Il y a un mois, le Roi Mohamed VI avait transmis un message aux responsables israéliens leur annonçant sa décision de renouer des relations diplomatiques avec Israël ”, a écrit le journal, faisant ainsi allusion à une rencontre qui a réuni, le 27 juillet dernier, à Londres, les ministres des Affaires étrangères marocain et israélien. “ L’effritement de la houdna [cessez-le-feu décrété par les principales factions militaires palestiniennes> a fait croire que les Marocains allaient reporter l’annonce de leur décision, mais l’invitation de Sylvain Shalom n’a pas tardé à confirmer que le Maroc cherche à renouer ses relations avec Israël ”, a ajouté le journal.

Arrivé, le 1er septembre au soir, à l’aéroport International Mohammed V à Casablanca, où il a été accueilli par son homologue marocain, Mohamed Benaïssa, le chef de la diplomatie israélienne a déclaré à la presse : “ Le Maroc peut jouer le rôle d’un pont entre Israéliens et Palestiniens ”. Il s’est dit aussi “ convaincu que le Maroc est disposé à jouer un rôle central dans le processus de paix et que les deux parties l’accepteraient ”. Evoquant ensuite les relations entre Rabat et Tel Aviv, il a estimé “ qu’il est temps que le Maroc et Israël rétablissent des relations plus étroites ”. “ Nous avons entretenu de bonnes relations jusqu’à il y a trois ans et nous devrions continuer à les renforcer ”, a-t-il expliqué. Et d’ajouter, un brin nostalgique (il est né à Gabès, dans le Sud tunisien) : “ Le Maroc a une place très spéciale dans le cœur de plusieurs Israéliens. Nous avons (en Israël) une grande communauté juive originaire du Maroc et je pense que c’est la seule communauté qui est restée étroitement liée à son pays d’origine ”.

Au cours d’une conférence de presse donnée le lendemain, à Rabat, avec son homologue marocain, à l’issue d’une audience avec Sa Majesté le Roi Mohamed VI, au Palais royal de Tétouan, ville située à 280 km au nord de Rabat, le responsable israélien a estimé qu’une médiation du Maroc pourrait faciliter la mise en oeuvre de la ‘‘feuille de route’’ pour le règlement du conflit israélo-palestinien. “ La ‘‘feuille de route’’ existe, mais il faut que les deux parties soient d’accord sur sa mise en application et le Maroc peut aider à cela sur plusieurs points ”, a-t-il déclaré, en précisant que son pays a sollicité une médiation du Maroc dans le conflit l’opposant à l’Autorité palestinienne.

L’idée d’une rencontre au Maroc entre Israéliens et Palestiniens a été évoquée au cours des entretiens, a indiqué de son côté le chef de la diplomatie marocaine, ajoutant que son pays est disposé à accueillir une telle rencontre. “ Le Maroc, fort de sa crédibilité et du leadership de Sa Majesté le Roi Mohammed VI, a joué un rôle d’avant-garde dans les initiatives visant à relancer les pourparlers entre Palestiniens et Israéliens ”, a-t-il dit. Dans un communiqué diffusé le même jour à Rabat, le ministère marocain des Affaires étrangères a indiqué que le Maroc “ examine les moyens de développer les relations maroco-israéliennes de façon à aider le Maroc à jouer pleinement son rôle dans la réduction du fossé séparant les deux parties palestinienne et israélienne ”.

La question de la réouverture des “ bureaux de liaison ” des deux pays, qui sont fermés depuis octobre 2000 sur une décision de Rabat en réaction au déclenchement de la seconde Intifada, a aussi été évoquée par les deux parties. Le chef de la diplomatie marocaine s’est contenté de rappeler, à ce propos, que “ chaque chose doit venir en son temps ”. Quant à son homologue israélien, il s’est dit convaincu que ses entretiens avec les responsables marocains “ vont permettre de prendre la bonne décision ”, exprimant le souhait qu’une pareille décision puisse intervenir “ dans un proche avenir ”.

La visite du responsable israélien a eu lieu une semaine après un concert philharmonique “ pour la paix ”. Ce concert historique, organisé à Rabat sous le parrainage du Palais royal, a été animé par “ L’orchestre pour la paix ”, qui compte 80 musiciens israéliens et arabes, dirigés par le chef israélien Daniel Barenboïm.

Commentant ce rapprochement spectaculaire entre Rabat et Tel Aviv, le quotidien marocain At-Tajdid, proche des milieux islamistes, s’est demandé s’il ne s’agissait pas là d’une nouvelle tentative israélienne pour encourager des Juifs marocains à émigrer en Israël. Le journal, qui a réfuté les allégations selon lesquelles ces derniers ont été récemment la cible de réseaux terroristes opérant au Maroc, a écrit : “ Les Juifs du Maroc n’ont subi aucune agression durant des décennies, alors qu’en Israël, ils souffrent du racisme des Juifs originaires des pays occidentaux ”. Et de conclure sur un ton sceptique : “ Qu’est-ce que notre pays pourrait tirer de ce [rapprochement> avec Israël, alors que l’entité sioniste poursuit sa politique d’agression en Palestine occupée ? ”

Le quotidien L’Economiste a cité, pour sa part, les propos d’Yitzhak Pozmantir, président de l’Open Sky, représentant de la Royal Air Maroc (RAM) en Israël, selon lesquels le flux touristique israélien en direction du Maroc pourrait reprendre si Israël lève son alerte sur cette destination. “ Tant que cela ne sera pas fait, il serait difficile pour de nombreux Israéliens de se rendre dans le Royaume ”, a dit le voyagiste israélien. S’exprimant en marge de la visite au Maroc du ministre des Affaires étrangères de son pays, ce dernier a ajouté qu’en dépit des alertes, le Maroc reste une destination prisée par de nombreux hommes d’affaires israéliens.

Le 5 septembre, le Roi Mohammed VI, président du Comité Al Qods, a eu une conversation téléphonique avec le Premier ministre israélien Ariel Sharon. Qu’ont-ils donc pu se dire ces deux hommes qui appartiennent à deux époques, deux générations et deux mondes si différents ? “ L’entretien s’inscrit dans le cadre des efforts déployés par le Maroc pour parvenir à une paix juste et définitive au Moyen-Orient ”, s’est contentée d’annoncer l’agence de presse officielle marocaine. Soit ! Mais que cherche le jeune roi en s’engageant ainsi personnellement dans une médiation entre deux interlocuteurs qui, tout en prétendant vouloir reprendre leurs pourparlers de paix, ne cessent de faire capoter toute tentative pour les ramener à la table des négociations ?

En fait, Mohamed VI semble vouloir perpétuer une tradition familiale. On se souvient que son père, feu Hassan II, avait souvent joué un rôle de médiateur discret entre Israéliens et Palestiniens. Le défunt roi, qui était considéré comme l’un des plus proches alliés de l’Occident dans le Monde arabe, était très engagé personnellement en faveur de la paix au Proche-Orient. Il a été l’un des chefs d’Etat arabes qui s’est le plus efforcé de faire accepter Israël au sein du Monde arabe. En 1986, alors que l’armée israélienne massacrait les combattants palestiniens, il n’avait pas hésité à recevoir l’ancien Premier ministre israélien Shimon Pérès dans son palais d’Ifrane. Il dut même démissionner de son poste de président de la Ligue arabe, après que ses homologues eurent dénoncé ses contacts secrets avec les responsables israéliens. Ces critiques ne l’ont pas empêché, en tout cas, d’accélérer la normalisation des relations de son pays avec l’Etat hébreu. Ainsi, en 1994, peu de temps après la signature des accords israélo-palestiniens d’Oslo, il a ordonné l’ouverture d’un bureau de liaison marocain à Tel Aviv et d’un bureau de liaison israélien à Rabat.

Le Roi Mohammed VI, qui a remplacé son père à la présidence du Comité islamique Al-Qods (Jérusalem), voudrait donc renouer le fil de cette tradition qui faisait de son pays un allié traditionnel des Etats-Unis dans le Maghreb, mais aussi une importante étape diplomatique du processus de paix israélo-arabe. Pour réussir dans ce rôle, il ne manque pas d’atouts, dont ceux-ci :

• une communauté juive marocaine très active de 4.000 personnes et une diaspora juive marocaine estimée à près d’un million d’âmes, dont une majorité vit en Israël. Cette communauté, qui n’a jamais rompu ses liens avec son pays d’origine, a intérêt, il est vrai, à voir le processus de paix israélo-arabe aboutir afin que cesse le cycle infernal des agressions et des représailles ;

• de bonnes relations avec les dirigeants palestiniens, notamment le Président Yasser Arafat et le Premier ministre démissionnaire Mahmoud Abbas. Ce dernier avait tenu, au lendemain de sa première visite officielle à Washington, en juillet dernier, à s’entretenir, sur le chemin du retour, avec le jeune souverain marocain. Il l’avait fait à la demande explicite d’Arafat et - sans doute aussi - avec l’aval des Américains ;

• une bonne disposition des responsables israéliens vis-à-vis du royaume chérifien pour les raisons historiques déjà évoquées.

En décidant, en octobre 2000, le gel des relations diplomatiques entre le Maroc et l’Etat hébreu et la fermeture des bureaux de liaison (marocain à Tel Aviv et israélien à Rabat) à la veille de sa fermeture, celui-ci comptait cinq diplomates en fonction -, Mohamed VI savait donc que cette rupture serait temporaire et que les relations entre les deux pays ne tarderaient pas à reprendre leur cours pour ainsi dire “normal”.

Ryadh Fékih - Realites.com.tn

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Sujets associés : Diplomatie - Israël - Palestine - Ligue arabe

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