Le voile n’empêche pas de faire la fête

10 janvier 2007 - 03h01 - Maroc - Ecrit par : L.A

Ce n’est plus une surprise de croiser des « mouhtajibate » dans les coins de nuit

Marrakech, il est 23h00, entre amis casablancais forcément qu’on se donne rendez-vous dans un pub branché comme il y en a tant dans cette belle ville. Notre choix est tombé sur un des plus huppés. L’ambiance est très agréable, musique pas trop forte et lumière tamisée. Un groupe de touristes est attablé, un autre danse sur la petite piste et une poignée de personnes sont accoudés au comptoir. Jusque-là, rien d’étonnant.

Une demi-heure après, et voilà un couple qui rentre : la femme porte le hijab non à la moderne mais vraiment une djellaba, certes assez branchée, mais une djellaba quand même. Quant au mari, blue-jeans et pull-over, une petite barbe bien visible. Vous imaginez bien notre surprise, c’est certainement le dernier profil qu’on imagine rentrer dans un pub minuit passée.

Le plus naturellement du monde, ils s’attablent et appellent le serveur. Nous ne les avons pas quittés des yeux. Ils ont commandé des boissons gazeuses, une bouteille d’eau minérale et des « tapas ». En parfaits amoureux, le jeune couple s’amusait en se dandinant au rythme de la musique. Une chanson rock qui commence et on les voit se lever et se mettre à danser non loin de leur table. La scène était vraiment impressionnante, avec des pas on ne peut plus justes, ils ont fait pas mal d’envieux autour d’eux.

Ils ont été dûment applaudis par les touristes présents, attendris par le spectacle du jeune couple peu ordinaire. Ce sont Hayat et Ismaïl, deux Rbatis nouvellement mariés qui passent leur lune de miel à Marrakech. « Rien ne nous empêche de nous amuser comme tous les jeunes de notre âge ! Ce n’est pas parce que nous sommes de fervents pratiquants que nous devons nous cloîtrer entre quatre murs », s’exclame le couple en chœur, constatant l’étonnement dans les yeux scrutateurs des présents.

D’ailleurs un des serveurs nous a certifié que ce n’est pas la première fois, « Nous avons l’habitude de recevoir des « mouhtajibate » parfois accompagnées, d’autres non. Elles viennent, elles s’amusent, rigolent entre elles et rentrent tranquillement. Malgré leur accoutrement, je n’ai jamais constaté la moindre attitude de juger autrui », nous confie-t-il. Le propriétaire de l’établissement a confirmé les dires de son employé : « Je suis fier de voir des gens pieux parmi ma clientèle ou des familles qui fréquentent mon pub, ça prouve notre bonne réputation ».

Il est facile de croire que c’est un phénomène qu’on ne verra pas dans la ville magique de Marrakech et pourtant non ! Au Nord cette fois, à Tanger dans un bistro, il est 21h00, et voilà trois jeunes femmes portant le voile, assorti à leurs tenues hautes en couleurs, autour d’une table en train de dîner.

Najat, la plus jeune d’entre elles, nous explique simplement que « pour être sûres de trouver une bonne table, nous sommes quasiment obligées de venir à des endroits pareils. On ne mange pas aussi bien ailleurs ! Et puis c’est l’occasion aussi d’écouter de la bonne musique et de rigoler un bon coup. Je ne crois pas que notre tenue dérange, nous sommes voilées et bien vivantes », taquine-t-elle.

Idem, les propriétaires ne sont pas gênés - pourquoi le seraient-ils - par leur présence et sont habitués de voir des femmes portant le voile dans leurs locaux.

A Casablanca, ce phénomène n’est pas très courant. Il faut croire aussi que les lieux nocturnes qui acceptent de recevoir des clientes mouhtajibate sont rares. Certes, ce n’est pas si étonnant de voir une ou deux jeunes femmes portant un voile « branché » dans un pub mais jamais en « djellaba fashion ». Sanaa, une jeune femme recevant des cousins à son mari a vécu l’expérience d’être accompagnée d’une dame portant le hijab, la nuit à Casablanca.

Elle nous raconte, « Nous sommes sortis dîner et pour nous assurer d’une bonne ambiance, nous sommes partis à un restaurant-night club sur la côte, les videurs nous ont arrêtés net à la porte prétextant que c’est complet à 22h00 à peine. Nous avons parfaitement compris que c’était par rapport à Najwa qui porte le voile.

Nous n’avons pas insisté et nous nous sommes dirigés à un autre établissement et là, après une petite négociation à la porte, ils ont fini par nous laisser entrer ». Entrer oui, mais le plus drôle c’est qu’ils ont été placés dans un coin derrière une large poutre, incapables même de regarder le spectacle proposé. Cet inconfort les a vite persuadés de rentrer à peine la dernière bouchée avalée. D’autres gérants des établissements casablancais dissuadent les « voilées » autrement.

Un serveur dans un pub de Mohammedia nous confie : « De temps à autre, on voit entrer des « mouhtajibate » accompagnées ou non, généralement c’est une clique de filles. Certes, nous ne les arrêtons pas à la porte mais on le leur signifie autrement.

Chez nous, la formule est simple, il suffit de leur annoncer que prendre une bouteille est obligatoire pour avoir une table ». Un autre serveur enchaîne sur un ton moralisateur : « Franchement, elles n’ont rien à faire dans un lieu où on sert l’alcool, elles doivent respecter le voile qu’elles portent ». Depuis quand l’habit fait le moine ? Jusqu’à preuve du contraire, aucun accoutrement n’empêche de l’amusement.

« Voilées branchées »

Habillées à la dernière mode, nombreuses sont aujourd’hui les mouhtajibate branchées. Pantalons taille basse avec tunique longue ou pantacourts avec des bottes, larges ceintures autour de la taille et jupes courtes sur pantalon ou bas compacts, bref porter le voile n’empêche pas d’être à la page.

On les rencontre aujourd’hui partout, sur la plage, dans les piscines pendant l’été, dans les cafés et les coins huppés, mêlées à la foule tout au long de l’année. Mieux encore, il y en a qui s’affichent une cigarette au bec sans aucune gêne.

Plus d’un ont été « choqués » par ce spectacle.
Rkia, une jeune informaticienne n’en revient toujours pas : « La dernière fois, je suis rentrée dans un café avec une copine et j’ai failli tomber à la renverse en apercevant un groupe de filles avec le hijab autour d’une table en train de fumer.

Franchement j’ai cru halluciner ».
C’est bien le 21e siècle, alors pourquoi s’étonner !

Le Matin - Fatim-Zohra H. Alaoui

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