Le Roi des femmes

29 septembre 2003 - 19h51 - Maroc - Ecrit par :

La commission consultative chargée de la réforme du Code du statut personnel a donc rendu sa copie le 19 septembre dernier à celui qui l’avait constituée : le roi Mohammed VI.

Que décidera-t-il ? Quelles réformes ont été introduites sur le texte ? Nul ne le sait, même si les indiscrétions vont bon train : "Tout ce que nous savons, c’est que les changements ne sont pas révolutionnaires. Rien de radical, mais des mesures draconiennes auraient été introduites pour rendre difficiles les injustices, et pallier aux inégalités les plus flagrantes", nous dit cette militante pour la cause féminine. Les points concernés : divorce, polygamie, tutelle et pension alimentaire. La polygamie ne sera probablement pas interdite, il appartiendra aux deux conjoints de demander le divorce de manière égalitaire, et l’âge du mariage des jeunes filles sera relevé de 15 à 18 ans. Ce ne sont que des indiscrétions. Rahma Bourqia, membre de la commission contactée par TelQuel, a refusé de les confirmer. "Ce n’est pas le moment", s′excuse-t-elle, s′abritant derrière son obligation de réserve. Autre indiscrétion persistante qui, si elle est avérée, marquera sans conteste un tournant dans l’histoire du Code du statut personnel : les propositions de réforme seront soumises au Parlement à son ouverture, en octobre prochain. Et donc au vote des partis politiques : "ce serait une excellente chose", se réjouit Leïla Rhiwi, membre du Printemps de l’égalité et de l’Association démocratique des femmes du Maroc. Parce que, définitivement, la Moudawana sera considérée comme n’importe quelle autre texte de loi et ne sera plus ce texte sacré et intouchable. Par ailleurs, cela s’inscrirait dans le processus démocratique escompté pour le Maroc". Pour l’instant, "nous attendons avec confiance, et nous n’avons pas d’autre choix", conclut-on à l’ADFM...
Pour les associations féminines, l’accession de Mohammed VI au trône annonçait une nouvelle ère dans les rapports du Palais à la question féminine. En effet, dès ses premiers discours, le nouveau roi se démarque de son père et place la question dans le cadre du respect de la religion, mais aussi et surtout celui des droits humains. Pour Hassan II en effet, la condition des femmes n’a jamais été un véritable souci, sauf en 1992, quand les féministes sont montées au créneau et que l′union de l’action féminine (UAF), rejointe par des intellectuels et d’autres acteurs de la société civile, lance une campagne qui aboutit à la collecte d’un million de signatures. Objet : l’interdiction de la polygamie, la suppression du tuteur, l’égalité des droits et des obligations pour les deux époux, l’instauration du divorce judiciaire, la tutelle de la femme sur les enfants au même titre que l’homme. Les islamistes avaient alors lancé une contre-campagne et la question féminine avait scindé pour la première fois le pays en deux. Hassan II mettra fin à la polémique par un discours le 20 août 1992 : "j’ai entendu et écouté tes plaintes au sujet de la Moudawana (...). Sache, ma chère fille, femme marocaine, que la Moudawana est d’abord une affaire qui relève de mon ressort (...). Réfère-toi à moi... Associations féminines, adressez-nous vos observations, vos critiques... Nous sommes prêt à vous rencontrer, à nous réunir avec vous, à remettre les choses à leur place". Sous des dehors patelins, le message sonne clairement comme un rappel à l′ordre : c′est le roi qui décide, personne d′autre. Il préparera une réforme, au rythme que lui-même, jugera bon. Le résultat, en 1993, est ô combien décevant (TelQuel n° 60). Mais un pas est tout de même franchi : la Moudawana peut être modifiée. Le texte, finalement, est moins sacré qu′il n′en a l′air. L′espoir est permis.
En 1999, Mohammed VI accède au trône. Entre temps, le gouvernement Youssoufi a lancé le désormais fameux plan d’action pour l’intégration de la femme au développement. Parmi les cinq volets, il préconise une réforme de la Moudawana sur plusieurs points précis. Dans chacun des volets du plan, il est précisé qui est responsable de son application... sauf sur le volet juridique. C′est le domaine du roi et il serait malséant de lui dire quoi faire... Résultat, pour la première fois, le gouvernement tente de s′approprier la paternité d′une réforme (bien théorique) de la Moudawana. Puisque la proposition n′est pas royale, les oulémas et les islamistes se sentent libres de la critiquer. Ce qu′ils font avec une rare virulence. On vous épargnera les insultes, mais en gros, les propositions (toujours les mêmes concernant la polygamie, le divorce, la tutelle, etc.) sont jugées contraires à la chariâ. Dans la rue, le match des "deux marches" islamiste et féministe, tourne nettement à l′avantage des conservateurs. Youssoufi et ses hommes font marche arrière. Seul le roi peut trancher, confessent-ils en lui refilant, presque soulagés, la patate chaude. Il vient de s′installer sur le trône, que pense-t-il de la question ? Les féministes ne tarderont pas à le savoir.
La même année, lors du 51ème anniversaire de la Déclaration des droits de l’homme, le monarque met le doigt sur le mal, évoquant les injustices que subissent les femmes, leurs intérêts bafoués, et rappelle que le pays ne peut avancer et prétendre à la démocratie tant que sa moitié est marginalisée. Chez les militantes, on pavoise. "Jamais, auparavant, la condition de la femme n’avait été évoquée en ces termes. Pour la première fois, nous sentions qu’elle devenait une priorité et que le pouvoir était conscient qu’il fallait agir pour améliorer les choses", souligne Amina Lemrini, ancienne présidente de l’Association démocratique pour les femmes du Maroc (ADFM). Toutes s′accordent :"Il tient le discours qui a toujours été le nôtre. Dorénavant, nos revendications auront plus d′écho".
Le roi ne ratera plus aucune occasion pour inciter à l’amélioration du statut de la femme, que ce soit dans ses discours, ses messages, ses interviews à la presse internationale... Mieux encore, en novembre 2000, il reçoit Aïcha Ech-Chena, présidente de l′Association Solidarité féminine. Le geste n′est pas neutre : l′ONG défend les droits des femmes célibataires. Ces femmes que la justice accuse de "prostitution" parce qu′elle ont eu un enfant en dehors des liens du mariage... avant de se faire abandonner par le père, la plupart du temps. En un mot, une caste de pécheresses, des femmes qui méritent d′être mises au ban de la société, selon les canons islamistes. Non seulement Mohammed VI reçoit-il leur avocate, mais il lui multiplie les signes de sympathie. Aïcha Ech-Chena raconte : "C’était la deuxième fois que j’allais au Palais. A l′occasion du premier discours royal officiel à Casablanca, on m′avait déjà invitée, ce qui constituait une reconnaissance implicite de mon action. Cette fois-ci, le roi devait me remettre une médaille d’honneur. Il m’a dit : ′je te connais, je suis ton travail de très près. Que Dieu te bénisse, que Dieu vous bénisse toutes′. Hassan II, lui, n’a jamais eu autant d’égards pour mon travail". Comme souvent, Mohammed VI joint le geste à la parole. Quelque temps après son entrevue avec lui, Aïcha Ech-Chena est contactée par le cabinet royal. On lui remet un chèque personnel de Mohammed VI, de 200.000 DH.
Solidarité féminine ne sera pas un cas isolé. ADFM, UAF, Jossour... toutes les associations féminines seront désormais invitées au Palais. De la tutelle paternelle version Hassan II, les féministes se voient désormais associées aux décisions royales concernant la condition de la femme. Même si elles ne sont, pour l′instant, qu′à un stade préparatoire. Mais encore une fois, un pas a été franchi. En mars 2001, le roi invite des représentantes de toutes les associations féminines, et leur annonce la création de la commission consultative pour la réforme de la Moudawana. "Nous étions une quarantaine de femmes, en plus des ministres, des parlementaires et d’autres personnalités à être reçues par le roi, raconte une participante. Après son discours et le départ des caméras, le thé a été servi et chacune a pu échanger quelques mots avec lui, autour, bien sûr, de la question de la femme au Maroc. Ce que je retiens de cette rencontre ? Nous avons toutes ressenti que le roi était réellement proche et sensible à notre cause". La même délégation sera à nouveau invitée au Palais , quand le roi annoncera les noms des membres de la commission. Une déception, malgré tout : même si on compte 3 femmes, la plupart des membres sont d′obédience conservatrice.
Puis c′est le silence, pendant 2 ans. La commission s′enferme dans le secret et, paralysée par ses contradictions internes, finit par bloquer. Le roi réagit, et nomme en remplacement de son premier président Driss Dahak, le vieux briscard de l′Istiqlal Mhammed Boucetta. Ce dernier multiplie les déclarations, se contredit souvent, mais travaille tout de même au pas de charge. Aujourd′hui, sa copie rendue, c′est à Mohammed VI de trancher. Et de confirmer (ou d′infirmer) ses idées progressistes.
Car, si on récapitule ses quatre années de règne, les signes de proximité de Mohammed VI et de la cause féminine abondent : discours récurrents rappelant la nécessité de remédier à la marginalisation dont les femmes sont victimes, nomination de femmes à des postes-clés - Zoulikha Nasri, conseillère du roi, Fathia Bennis directrice de l’Office national marocain de tourisme, Amina Benkhadra, directrice de l’Office national de la recherche et de l’exploitation pétrolières, et tout dernièrement Latifa Akherbach, directrice de l’Institut supérieur de l’information et de la communication, et Fouzia Imansar gouverneur-directrice de l’Agence urbaine de Casablanca (une première)... Son mariage public avec Lalla Salma a aussi constitué une puissante rupture symbolique - la visibilité de l′épouse du roi préfigurant celle des Marocaines. Les féministes, en tout cas, n′ont pas été surprises. "Vu tout ce qu’il avait dit, on s’y attendait... C’est plutôt le contraire qui nous aurait étonnées", commente Amina Lemrini. Plus d′un an après le mariage, néanmoins, déception : plus de nouvelles et quasiment pas d′apparitions de l′épouse royale.
Aujourd’hui, après 4 ans d′alternance entre le chaud et le froid, les propositions de réforme et par-là même, le sort des femmes de ce pays, sont entre les mains de Mohammed VI. Ira-t-il plus loin que son père, qui, fort de trois décennies de règne aurait pu faire beaucoup plus ? Sera-t-il, après avoir été le roi des pauvres, le roi des femmes ? L′avenir très proche le dira.

Source : TelQuel

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