Le Maroc donne la parole aux victimes des années de plomb

17 novembre 2004 - 13h56 - Culture - Ecrit par :

Rabat va permettre aux victimes du régime de l’ancien roi Hassan II de témoigner, à la télévision marocaine, des sévices qu’elles ont subis. Mohammed VI accepte ainsi de mettre au jour la part d’ombre du règne de son père. Cependant, il n’a pas empêché les exactions de continuer sous son règne.

Rétablir la vérité et réhabiliter les victimes. Telle est en substance la mission à laquelle compte s’atteler l’Instance marocaine équité et réconciliation (IER) à travers une série d’auditions publiques au cours desquelles d’anciennes victimes témoigneront des violations des droits de l’homme que le Maroc a connues entre 1956 et 1999. Inspirée d’expériences similaires menées au Pérou, au Timor-Oriental et en Afrique du Sud, l’initiative est inédite dans le monde arabe.

Chargée de recueillir les témoignages et d’indemniser les victimes, l’IER se déplacera dans tout le royaume pour entendre près de 200 personnes. Depuis le soulèvement du Rif, écrasé par Hassan II en 1958, jusqu’aux incarcérations arbitraires des indépendantistes du Sahara, en passant par la répression brutale des révoltes populaires de 1981 à 1990, ces victimes viendront témoigner pendant deux mois de leur vécu sous les années de plomb. "Les séances se dérouleront ’en toute liberté’, elles seront publiques et retransmises par les médias audiovisuels : chaque témoin présentera son récit personnel lors d’une séance de vingt minutes pendant laquelle aucune question ne lui sera posée, et son témoignage ne fera l’objet d’aucun commentaire. Chaque victime s’exprimera dans la langue de son choix, selon son propre style de narration, et pourra se faire accompagner de membres de sa famille", rapporte le quotidien marocain Le Matin.

"Les auditions publiques sont une pratique courante dans les instances de vérité internationales. Elles jouent un rôle de sensibilisation et d’éducation pour éviter que les violations des droits de l’homme ne se reproduisent. C’est une sorte de catharsis", résume pour L’Economiste, de Rabat, Driss Benzekri, un ancien militant marxiste qui avait été emprisonné sous Hassan II et que le roi Mohammed VI a nommé à la tête de l’IER en janvier 2004.

"Depuis sa mise en place, plus de 22 000 dossiers de violations des droits de l’homme ont été transmis à l’IER, qui a accueilli près de 4 200 victimes et ayants droit", estime le quotidien marocain. L’initiative permettra donc non seulement, d’un point de vue humain, de libérer la parole des victimes, mais aussi, d’un point de vue scientifique, de rétablir la chronologie historique de tous les événements qui ont agité le Maroc contemporain.

"Si, d’une part, il s’agit de donner l’opportunité aux victimes de s’exprimer publiquement pour qu’elles puissent libérer leur souffrance et surmonter les séquelles, d’autre part, il est nécessaire d’ouvrir un débat national sur ce qui s’est passé et de le resituer dans son contexte historique", explique précisément Driss Benzekri au journal espagnol El País.

Parallèlement à ces auditions, la télévision diffusera en effet plusieurs programmes thématiques organisés par l’IER, avec la participation d’historiens, de médecins, de militants des droits de l’homme et d’experts, sur les violations commises dans leurs aspects juridique, historique, politique et psychologique. Et selon l’hebdomadaire Tel Quel, "la première - qui précédera le démarrage des audiences - devrait même être consacrée à l’affaire Ben Barka, le principal opposant au roi Hassan II, enlevé à Paris en 1965, qui, selon plusieurs éléments de l’enquête ouverte en France en 1975 pour ’assassinat’, aurait été torturé à mort par des responsables des services marocains".

A propos de cette affaire, et à l’heure où la ministre française de la Défense, Michèle Alliot-Marie, a ordonné la levée du secret défense sur 73 documents liés à la disparition de Ben Barka, l’hebdomadaire s’interroge sur la possibilité de consulter les archives marocaines officielles susceptibles de contenir des éléments d’information. "Epineuse question que celle de leur accès, encore récemment soulevée par Human Rights Watch dans son rapport sur les droits de l’homme au Maroc, où l’ONG s’interrogeait en effet sur l’absence d’obligation, pour les services de l’Etat marocain, de collaborer avec l’IER", indique l’hebdomadaire.

Or, précisément, "l’objectif de la reconnaissance publique des exactions commises sous le règne d’Hassan II n’est pas seulement d’obtenir la réhabilitation des victimes, mais aussi, et surtout, d’éduquer l’Etat marocain au respect des libertés individuelles", affirme Abdel Hay Mouden, membre de l’IER, dans El País. Et le quotidien espagnol de rappeler que "si l’initiative ne porte que sur quarante-trois ans de violations, nombre d’observateurs marocains et internationaux, dont le Comité contre la torture de l’ONU, ont déjà jugé la période incomplète, rappelant que plus de 2 000 exactions ont été imputées au régime de Mohammed VI ces dix-huit derniers mois, depuis l’adoption, en septembre 2003, de la loi antiterroriste".

Suzi Vieira - Courrier International

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Sujets associés : Histoire - Télévision - Instance Equité et Réconciliation (IER) - Torture

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