La devise marocaine s’est appréciée de 0,24 % vis-à-vis de l’euro et de 0,9 % face au dollar américain durant la période du 23 au 29 novembre, selon Bank Al-Maghrib (BAM).
En l’espace d’une semaine, la Bourse de Casablanca a vu son indice s’effondrer de près de 20% avant de se ressaisir mollement. La secousse met un terme à une euphorie de plusieurs mois, que les spéculateurs oublieux du risque du marché ont payé lourdement : près de 100 milliards de DH se sont évaporés.
Correction salutaire ou décision politico-financière pour mettre le hola à une bulle spéculative sans précédent ? Les avis divergent mais la théorie de la « complotite aiguë »ourdie par les « zinzins » ne tiendrait pas la route.
Farid B. est atterré. Et pour cause, cet homme d’affaires, boursicoteur à ses heures perdues, vient de perdre la bagatelle de 5 millions de DH en l’espace de deux séances boursières. Ce n’est qu’une victime parmi tant d’autres, tant la Bourse, transformée en gigantesque casino, a attiré nombre d’aventuriers depuis qu’Addoha, titre-vedette de ces six derniers mois, a enrichi une palanquée de « nouveaux riches », aujourd’hui désargentés au terme d’une semaine noire sur le marché des actions. Depuis quelques jours, le landerneau financier ne parle plus que de cette fatidique « correction » qu’a subie la place de Casablanca. Finis les commentaires ébahis sur ceux qui, depuis l’été, ont gagné des centaines de millions de DH à l’image de ce capitaine d’industrie qui a vu sa fortune se décupler en un temps record. Certains vont même jusqu’à dire qu’il s’agit plus d’un krach que d’un simple coup de semonce, les pertes subies étant colossales. On raconte même qu’un spéculateur habitué des indices boursiers a tourné de l’œil lorsqu’il a vu ses gains fondre comme neige au soleil.
Correction salutaire ou complot ?
« La correction qu’a subie la place casablancaise ne peut être que salutaire », avancent certains analystes qui fulminent contre leur mise en sourdine lorsque le marché était au firmament. Pour eux, ce mouvement, quoique brutal, était bel et bien attendu, leurs avis répétés n’auraient pas été « entendus » par les spéculateurs ni surtout par leurs pairs du trading qui n’avaient d’yeux que pour les bénéfices engrangés par la folie de la cote. Ainsi, le mini krach dévastateur ne serait que le résultat d’un consensus « presque fortuit » des intervenants du marché, selon l’expression d’un assureur qui a su retirer ses billes au bon moment. Après avoir atteint des niveaux stratosphériques, les cours ne dévisseraient que pour retrouver des niveaux plus raisonnables.
Boostée par les bonnes performances des banques et des sociétés du secteur immobilier et par l’abondance de liquidités sur un marché aux opportunités de placement réduites, la Bourse de Casablanca a attisé les convoitises d’investisseurs désabusés par un marché obligataire aux rendements réels quasi-nuls. Une situation devenue intenable d’un marché financier trop orienté sur les actions. « Mais personne ne s’attendait à un revers de cette ampleur. C’est la rapidité de son retournement qui est problématique », explique un trader trop affairé à donner des conseils de sauvetage à des clients en perdition.
Les interprétations sur la débandade des cours vont bon train. Certains y voient même l’action invisible des « faiseurs du marché », en langage décodé « les institutionnels », excédés par l’engouement excessif des spéculateurs depuis l’envolée du titre Addoha et l’ascension spectaculaire de la BMCE. Nombre d’observateurs réfutent cette éventualité : « C’est facile de prétendre que le marché a été manipulé.
Techniquement, cette hypothèse du complot ne tient pas la route », estime le gestionnaire d’un fonds important de la place : le marché est devenu trop profond pour qu’un quelconque institutionnel puisse en décider la tendance. Toujours est-il qu’entre les deux camps, les accusations fusent et les hostilités sont désormais ouvertes. « Si c’est une stratégie ourdie dans le sens de calmer le marché, ses initiateurs s’y sont très mal pris. Cette correction a déjà eu des conséquences néfastes au niveau international », s’indigne un habitué des salles de marché. Il est vrai que la chute a déjà eu un écho au-delà des frontières. « Je travaille avec des fonds étrangers et ils ont été jusqu’à me demander si cette baisse vertigineuse n’était pas due à des attaques terroristes ou à une guerre civile », tonne un trader qui a vu ses clients de Londres solder leurs positions en quelques heures.
L’un d’eux, la banque d’affaires Morgan Stanley, a liquidé près de 20 000 titres BMCE dont elle est pourtant actionnaire à hauteur de 3%. Ce reflux massif s’est traduit par une sortie de devises conséquente ayant même inquiété un cambiste de New York qui a inondé ses contacts marocains de mails leur demandant s’il s’agissait d’un signe avant-coureur d’une dévaluation du dirham ! Même si la part des investissements étrangers dans la Bourse ne représente que 2% (contrairement à ce que prétend le CDVM qui estime que les IDE en Bourse sont de l’ordre de 40% comptabilisant même les participations des multinationales étrangères dans des sociétés marocaines), une sortie massive de ces derniers peut avoir des répercussions néfastes.
Une note aux allures de Cassandre
Pour reprendre le fil des événements, il faut remonter à la veille de la chute. Tout a commencé avec la diffusion d’une note de recherche d’Attijari Intermédiation qui recommandait le sidérurgiste Sonasid à la vente. « Malgré ses fondamentaux irréprochables, le titre est surévalué.
Suite à l’annonce de l’OPA Arcelor Sonasid et la tendance d’euphorie sur le marché boursier, le titre réalise en moins de 9 mois une performance de 71% (passant de 2000 à 3140 DH), s’éloignant progressivement de ses fondamentaux. En effet, la valorisation du titre par l’actualisation des cash flows offre un cours théorique de 2150 DH, soit une surcote de 37%. A ces niveaux, le titre est particulièrement cher. Par conséquent, en attendant une correction, nous conseillons de vendre l’action Sonasid ».
C’est ce qu’argumentait la note d’information. Il s’en est suivi un mouvement de vente massif sur la Sonasid, causant ainsi sa plongée. Le 9 mai, l’action perdait 6%, entraînant dans son sillage un marché dégonflé comme une baudruche. Les détracteurs de cette notice estiment que la surcote de 37% est exagérée. « Non seulement la société dispose de fondamentaux sérieux, mais elle est en plus adossée à un géant comme Arcelor. La concurrence à laquelle les analystes d’Attijari Intermédiation font allusion, la Sonasid s’y est d’ores et déjà préparée », explique un analyste qui ne partage pas le ton de Cassandre de son collègue d’Attijari. D’autant que « La montée en régime de l’aciérie électrique lui permet de faire face à la hausse fulgurante des cours des métaux ».
Trois jours après cette publication, BMCE Capital riposte avec une recommandation contradictoire. La société de Bourse recommande d’accumuler Sonasid en lui fixant un cours théorique de 3.250 DH, alors qu’il valait 2.069 DH le 11 mai. Une autre société de Bourse déclare un cours théorique d’environ 3.000 DH, en utilisant les mêmes données que l’étude d’Attijari Intermédiation. Une guerre des notes qui ajoute à la confusion des investisseurs et qui alimente les théories les plus farfelues. Pourtant, des remarques pertinentes affleurent dans ce combat à fleurets mouchetés : pourquoi se fendre d’une note aussi sévère sur un titre plutôt solide alors qu’aucun n’avis n’est rendu public sur les vedettes de la cote comme Addoha depuis de très longs mois ? Comment expliquer également que le cours de BMCE soit passé de 500 DH en 2002 à 3000 DH en 2007 ? Idem pour l’ONA dont l’action a pris 200% en l’espace de quatre ans ?
Comment expliquer le nombre qualifié « de suspect » de transactions réalisées (par compensation) par Attijari sur ce même titre à 3440 DH au matin de la publication de leur note qui valorise l’action à 2150 DH ?
Pour leur défense, les analystes d’Attijari Intermédiation diront qu’ils ne travaillent pas en concertation avec le front office (les traders). Ce qui est complètement faux puisque dans toute société de Bourse, il y a ce qu’on appelle le « chinese wall » qui sert de caisse de résonance entre les deux parties.
Un trader concurrent n’y va pas par quatre chemins en pointant une à une les opérations d’Attijari. Pour lui, « Ils auraient refourgué des titres Sonasid à l’un de leurs clients avant de faire plonger l’action ». Une accusation grave sur laquelle seule l’autorité du marché a la latitude de faire toute la lumière. Ce trader assure, pour enfoncer le clou, qu’il y a moins d’un mois, Attijari conseillait encore de conserver l’action à un cours théorique de 3.250 DH…
Dans cette logique, de là à penser qu’il s’agit d’un « complot » fomenté par les plus hautes sphères financières, il n’ y aurait qu’un pas, franchi allègrement par les dépouillés du marché…
Spéculateurs dépités
« La décision de faire baisser le marché vient des hautes sphères. La MAMDA, la SCR, la CDG, Wafa Gestion et Attijari Intermédiation en ont été les instruments », avance un investisseur ruiné qui n’hésite pas à citer pêle-mêle assureurs, gérants de portefeuille et institutionnels pourtant concurrents sur le marché et contraints par des règles de gestion difficiles à concilier pour un objectif sans mobile apparent. « La notice d’information sur la Sonasid n’était qu’un test pour voir comment allait se comporter le marché. Un test qui a d’ailleurs largement réussi », ajoute-t-il, dépité. « Une correction s’imposait, là-dessus, tout le monde est d’accord , mais pas de cette façon. Il aurait fallu agir avec plus de précautions. Vouloir réguler le marché de cette manière est scandaleux », commente un trader en proie à la panique ; en clair ,laisser aux retardataires plus de temps pour se désengager avant le raz de marrée ! Ce cri de colère est pourtant tempéré par une nouvelle réalité : les institutionnels ne font plus la pluie et le beau temps depuis que le marché fourmille de spéculateurs à la force de frappe non négligeable.
Depuis près d’un an, certains en ont fait leur business à plein temps, aidés en cela par une conjoncture boursière favorable et des banquiers peu regardants sur l’octroi de lignes de crédit très avantageuses. Une situation qui trouve son origine dans une attractivité de la Bourse peu commune. « Même si le risque boursier est élevé, les taux sur le marché monétaire sont ridiculement bas au bénéfice des actions. D’autant que la surliquidité et le manque de papier frais sur le marché ont fini par dévoyer la Bourse en roulette de casino », explique un banquier. Du côté des gestionnaires de fonds, le son de cloche est tout autre. « Il ne peut pas y avoir de consensus entre institutionnels. Il y a eu, certes, une certaine fragilité dans les circuits de décision au sein des fonds qui a fait qu’un quarteron de gestionnaires ont accentué la tendance, mais cela exclut toute décision consensuelle à haut niveau », explique un intervenant sur le marché. « Il n’y a pas eu de concertation. C’est juste l’argument de choc de certains spéculateurs qui ont bien profité de la bulle et qui y ont laissé quelques plumes », réplique-t-il. « Il y a eu un effet de levier comme en 1999 et tout le monde en a profité », ajoute un autre. Rappelons qu’à l’époque, Wafabank avait créé un « produit magique » qui était le crédit-valeur, une sorte de ligne de crédit garantie par le nantissement des actions achetées. « Les banques peuvent se le permettre, elles disposent de surface financière assez large pour encaisser un retournement de tendance, ce n’est pas le cas pour les petites sociétés de Bourse », s’alarme un banquier de la place. Ce n’est un secret pour personne, certaines sociétés indépendantes ont lâché les vannes pour des clients friands d’allers-retours et donc générateurs de commissions… tant que le marché continue sur sa lancée. Avec le krach, quelle est l’ampleur des dégâts ?
L’effet de levier a permis à une poignée de petits porteurs d’investir quatre fois leurs mises et donc d’accélérer leurs gains. Mais lorsque le marché perd 20%, les investisseurs embarqués avec cet outil d’endettement en perdent 80%…la nervosité peut se comprendre, les vendeurs sont dans la ligne de mire des petits porteurs. « Mettez-vous à la place d’un assureur qui constate une plus-value sur son portefeuille action équivalant à 20 ans de rendement obligataire, pourquoi ne voulez-vous pas qu’il se dessaisisse de ses actions aujourd’hui ? », s’interroge un gestionnaire de fonds. Mais pourquoi aujourd’hui et en même temps ? Une interrogation à laquelle réplique un autre gestionnaire par cet argument massue : « s’il y avait consensus aux plus hautes instances, il aurait été inconcevable de casser le marché de telle façon que l’ONA et ses filiales soient les premières touchées ». Toujours selon ce gestionnaire de fonds, les ventes des institutionnels représentent seulement 15% de l’ensemble de celles qui ont nourri le mouvement de baisse.
« Le fait est que les analystes ne font pas leur travail correctement en ne produisant pas assez de notes d’information », ajoute-t-il. Cette parcimonie de la recherche est réelle, mais la multiplication des notes de recherche n’aurait pas eu plus d’impact que la sortie, certes discrète mais remarquée, d’un gouverneur de la Banque centrale Abdellatif jouhari ou d’un ministre des Finances en la personne de Fathallah Oualalou. Les deux ont fait allusion à la surchauffe du marché….sans réussir à toucher des investisseurs hypnotisés par l’envolée vertigineuse des indices. Il en faut plus pour ralentir le rouleau compresseur, la machine à plus-value… et même si la reprise pointe du nez, l’hypothèse d’une nouvelle correction technique n’est pas à écarter !
Le Journal Hebdo - Ali Amar, Mohamed Jamaï & Fédoua Tounassi
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