Jamel Debbouze se confie sur l’accident qui lui a fait perdre le bras
Jamel Debbouze revient sur les circonstances de l’accident dont il avait été victime dans son adolescence, et sur la manière dont il a pu avancer dans la vie, avec la perte de...
Rencontre entre la star originaire de Trappes et son ami Pierre Lescure. Tutoiement de toujours et verbe haut. « Indigènes » apparaît comme une étape essentielle dans ton combat identitaire. Il est le signe qu’il n’y a pas de raison de parler d’intégration.
C’était ça le but.
Je ne suis pas un philosophe, mais je fais ce métier pour de bonnes raisons. Lorsque je monte sur scène et que je raconte ma vie, c’est pour pousser d’autres gens à s’en sortir, c’est pour poser les questions qui me taraudent — même si je n’ai pas toutes les réponses. Quand Rachid Bouchareb me parle de cette histoire, elle trouve for- cément des échos chez moi. Il y a longtemps que je me demande quel est le parcours de ma famille, comment ça se fait que je suis né en France, etc. Mon père, lui, n’a pas de réponse. C’est mon grand-père qui l’a emmené là. Il s’est retrouvé avec une pioche et des pavés sans trop savoir pourquoi. Il savait juste qu’il avait une femme qui l’attendait le soir et qu’il fallait envoyer de l’oseille au bled... Un jour, Rachid me donne un certificat d’engagement au nom de Saïd Debbouze... et je réalise que mon arrière-grand-père a été enrôlé pour défendre la mère patrie pendant la Première Guerre mondiale ! Je sais mainte- nant d’où je viens et pourquoi on est là. On s’est donc retrouvés ici parce que, à un moment donné, la France a eu besoin de nous et que mon arrière-grand-père a fait le sacrifice suprême. Je suis donc légitime dans ce pays, c’est aussi simple que ça. Les insultes qu’on subit, la condescendance avec laquelle on nous traite, n’ont plus prise. On n’en a rien à foutre de ce que vous dites. On est légitimes, on n’a rien pris à personne. Au contraire — et le film le montre bien. C’en est donc fini de ce sentiment de culpabilité qu’on nous a inculqué. On n’a pas à être intégrés, on est là depuis trois générations ! Je tourne la page de la victimisation. Et tout le monde doit être amené à le faire.
Tu es aussi légitime que l’était Kopaszewski, dit Kopa...
Tu te souviens ? Un jour, on avait remarqué en s’amusant que chaque vague d’immigration correspond aux capitaines de l’équipe de France. Les Polonais, les Italiens, les Blacks... Kopa, Platini, Zidane, Vieira... C’est significatif, ça devrait pousser les gens à avoir plus de considération. Depuis toujours, on cherche à nous complexer. L’une des questions qu’on m’a le plus posée dans ma vie, c’est : « Qu’est-ce que tu fais là ? » Et même aujourd’hui ! Comme si ça paraissait anormal que j’en sois là où j’en suis. Lorsqu’on te la pose, ça veut juste dire que tu n’es pas le bienvenu ! Pire que le racisme, il y a la condescendance. Cette manière, par exemple, de dire, de répéter que je ne me suis pas fait tout seul. Eh bien, non ! Au même titre que des gens ont fait Sciences Po, moi, j’ai été influencé — et j’en suis fier ! — par des gens comme Papy (1), comme Jean-François Bizot, comme Massadian, comme Kader [Aoun], comme Jean-Pierre [Bacri], comme Alain [de Greef] et toi. Et c’est pas fini, je suis heureux par exemple d’avoir rencontré un mec comme Slimane Zeghidour... Ce qui m’a permis d’arriver là où j’en suis, c’est de rencontrer des gens normaux comme ceux que je viens de citer et je leur en suis reconnaissant. J’ai eu une chance extraordinaire. Ces gens normaux, que ce soit à la Ligue d’improvisation, à Nova, à Canal, m’ont considéré tout simplement comme quelqu’un de normal, sans se soucier ni de ma race, ni de ma religion, ni du quartier d’où je venais. J’étais juste un mec qui rêvait d’être acteur et voulait montrer ce qu’il savait faire. Ils n’avaient pas d’a priori, ils ont pris le temps de faire connaissance, de mesurer ce que je valais, de me laisser faire mes preuves. Je dois tout à tout le monde et en même temps je ne dois rien à personne...
Tu te rappelles, ce papier dans Libération (2) où Philippe Lançon nous imaginait, Alain de Greef et moi, en train de te regarder à la télé et disant : « Il est bien, notre petit rebeu ! alors que toi, écrivait-il, tu prenais la pose, avec ton éternelle main dans la poche ! » On avait eu les larmes aux yeux et la honte au cœur. Et on imaginait ce que devait être la tienne de lire ça...
Tu sais, la condescendance, elle est à droite comme à gauche. Elle n’a pas de camp ! Tous ces gens bourrés d’a priori qui attendent que tu fautes, qui attendent que tu leur confirmes ce qu’ils pensent déjà. Souvent j’ai envie de dire à certains journalistes qui viennent m’interviewer : « Arrêtez de me poser des questions puisque vous pensez avoir déjà les réponses... » Bien sûr, je suis hyper fier de la couverture du Nouvel Observateur « Pourquoi j’aime la France » avec le drapeau bleu blanc rouge derrière moi où, en plus, mes copines me trouvent beau ! C’est une sorte d’aboutissement ! [Rires.] En même temps, dans l’article, c’est un peu n’importe quoi. Le journaliste qui nous a suivis raconte, décortique, interprète, parle de mon naturel. Mais qu’est-ce qu’il connaît de mon naturel, le mec ? Qu’est ce qu’il connaît de mes rapports avec mes potes ? Comment peut-il dire qu’Hamid est juste mon « porteur de pop-corn » ? J’ai un bras dans la poche, je bouge pas le bras droit, mes potes me font les lacets, est-ce que ça veut dire, comme il le laisse penser, que j’ai droit de vie et de mort sur eux ? Ridicule ! Pareil dans Le Monde : on décortique un phénomène de société. Pour ces gens-là, je ne suis pas un acteur, je n’ai jamais été un acteur. Je suis un Arabe de banlieue qui a réussi et on explique le phénomène. Il n’y a rien de plus condescendant, non ? C’est juste que, pour un certain type de gens, quoi qu’on fasse, on reste des banlieusards. C’est ça le truc. Tu peux influer sur le gouvernement pour qu’il change les lois mais tu resteras toute ta vie un banlieusard, un rebeu.
Il faut être fort et libre,comme tu l’es, pour trouver le bon équilibre entre « je veux agir » et « je ne veux pas être un alibi »...
Je crois à la politique. La politique, pour moi, c’est l’issue. Il n’y a pas d’autre alternative. La politique, c’est savoir comment vivre les uns avec les autres. C’est indispensable. Il faut qu’on existe là aussi. Je ne parle pas seulement des immigrés, des rebeu, ou des blacks, mais des banlieusards. C’est cette population dans son ensemble qui est mise au ban de la société. Ces exclus-là, il faut qu’ils aient une voix qui leur ressemble... Au même titre que quand je décide de faire « Indigènes », je me dis : « C’est important de leur donner des héros qui leur ressemblent, qui ont la même tronche qu’eux. » C’est la seule manière de les adoucir : en les valorisant, en les prenant en considération, en les faisant participer à la société d’aujourd’hui. En leur donnant un modèle qui, plutôt que Tony Montana [le héros de Scarface de Brian De Palma, joué par Al Pacino], serait un mélange de Zidane et du commandant Massoud. Après, je peux leur laisser Tony Montana. Ces gamins de Trappes, bloqués dans les quartiers, n’ont pour l’instant aucune alternative, puisque personne ne s’intéresse à eux. Ils n’ont pas la possibilité de pouvoir vivre normalement, de pouvoir juste être polis, de pouvoir bien se comporter : personne ne leur donne l’opportunité de le faire. On le sait aujourd’hui, la misère est un terreau extraordinaire pour la violence, pour l’obscurantisme, pour le fanatisme. Il suffirait pour- tant d’un peu d’attention, de considération, pour que ces gamins aient envie de faire quel- que chose... Certains, d’ailleurs, l’ont bien compris — et ce ne sont pas hélas ! les moins dangereux. À Trappes, dans les Yvelines, où j’ai grandi, il y a des meufs en bourka. On est en 2006, je respecte, il n’y a aucun souci. Mais quand même ! Pourquoi, il y a vingt ans, on était tous en jeans serrés ? Pourquoi la bourka a remplacé le Levis Strauss ? Parce que, comme la condescendance et le mépris ont pris le pas sur tout le reste, les véreux et les malins en ont profité. Ils sont arrivés et ont dit que, vu comme on était traités, il valait mieux rester entre nous, se cacher à l’intérieur d’un groupe... À Los Angeles, il y a eu des changements après ce qui s’était passé dans les rues. En France, ça ne fait que « bougeotter ». On sucre les subventions aux associations. Résultat, ça brûle dans les banlieues. Du coup, on retire un peu d’oseille de certains budgets pour les redonner aux associations et on nomme un homme raisonnable pour qu’il se penche sur tout ça. Mais fondamentalement, qu’est-ce qui se passe ? Rien ! On ne remet pas la banlieue au milieu de la ville. C’est une image, mais il n’y a pas de politique de la ville menée de front, comme a pu le faire, par exemple, Jean-Louis Borloo à Valenciennes, en cherchant à intégrer les gens des quartiers à la vie de la ville... Là-bas, les gens ont avancé, on les a pris en considération...
Et du coup, Valenciennes est remonté en première division !
Exactement. Ils sont de nouveau fiers et heureux d’habiter là. Avant cela, comment auraient-ils eu de la considération pour eux-mêmes puisque personne n’en avait pour eux ? C’est à travers le regard des autres qu’on devient quelqu’un. La question de la considération est essentielle. C’est ça que j’ai envie de dire à tous ceux qui nous regardent de loin ou de haut : « Quand est-ce que tu vas finir par accepter que la France, aujourd’hui, c’est cette variété d’origines, de couleurs, de religions...? »
L’autre jour, j’ai entendu Denis Tillinac – écrivain corrézien de 65 ans, vieux copain de Chirac. Un peu par hasard, il a pris le métro et changé à Châtelet, la plus vaste des stations, où on n’en finit plus de marcher et de croiser des gens. Il disait en souriant honnêtement que c’est là qu’il s’était rendu compte que la France avait terriblement changé !
Il a dit ça ? [Rires.] Eh ben, ouais, il n’a pas tort ! La France a changé.
Ça fait rire et en même temps c’est un peu effrayant et très révélateur : parmi les décideurs, ils sont des milliers à n’avoir jamais changé à Châtelet !
Oui, ils sont des milliers à ne pas connaître ce pays... On a envie de leur dire : « On revient de loin, de très loin, alors ne nous jugez pas, ne soyez pas condescendants, vous ne connaissez pas notre parcours, vous ne savez pas par quelles humiliations, par quelles frustrations, on est passés... Bien sûr, on est moins dignes et moins nobles que nos arrière-grands-parents qui n’ont rien demandé. Mais nous, on est nés ici, on a grandi ici, on a vécu ici, on est faits comme vous, on est chargés des mêmes codes. » Même si Sarkozy dit le contraire avec une violence hallucinante ! « On va vous débarrasser de ces gens... » Mais de quels gens parle-t-il ? Quand t’entends ça, dans un hall de bâtiment où rien ne te sourit, où rien ne s’ouvre à toi, pas étonnant que t’aies envie de la cramer, cette France qui ne te considère pas et veut se débarrasser de toi au karcher ! Je lisais l’autre jour dans un journal un débat sur la discrimination positive. Eh bien, moi, je suis pour la discrimination positive parce que c’est mieux que rien. Fixons les quotas et respectons-les. C’est le début de la considération.
Comment t’est venue, à toi, l’attraction de l’actualité ?
C’est surtout à partir de Nova. Quand j’ai eu cette émission où j’ai commencé à recevoir du monde, que ce soit Veber ou Rothschild, du coup, je me renseignais sur leur parcours... Ça commence comme ça. Ensuite, tu t’intéresses de plus en plus. Et puis, un jour, t’es confronté à des décisions gouvernementales et tu te dis : « Pourquoi cette décision a été prise sans mon aval ? » [Rires.] Et tu t’informes davantage encore pour mieux comprendre...
Les médias ont donc joué un rôle dans ta connaissance du monde, dans ta manière de réagir...
Bien sûr. En t’informant, c’est sur toi que tu t’informes. En allant te renseigner, c’est sur toi que tu te renseignes. C’est indispensable. Mais attention, les médias ont une responsabilité aussi grande que celle du gouvernement — si ce n’est plus — par ce qu’ils relayent. Quand je vois le travail de sape de TF1 avec « Le droit de savoir », j’ai envie de leur dire : « Vous n’avez pas le droit de nous vendre l’insécurité comme ça, comme vous êtes en train de nous la vendre, uniquement et seulement pour rendre service à Nicolas Sarkozy... » La pire des choses, ce n’est pas Le Pen qui n’est plus qu’une caricature et dont on sait très bien ce qu’il pense, la pire des choses, c’est le racisme ordinaire, celui qui s’insinue dans nos vies, dans notre quotidien, celui qui n’est pas frontal, ni affiché. Celui de la boulangère qui sert tout le monde avant de daigner servir une petite Black qui, pourtant, était là avant. Quand, sur les Champs-Élysées, les flics multiplient les contrôles des Noirs et des Arabes, ils nous confortent, peut-être même sans le vouloir, dans l’idée qu’on ne sera jamais admis. C’est schizophrénique d’avoir l’impression d’être étranger dans son propre pays ! Je suis chez moi et vous m’expliquez que je ne suis pas le bienvenu, qu’il faut que je dégage... Un des moments où j’ai été le plus fier, c’est quand j’ai rempli ma déclaration d’impôts. Plus j’en paye, et plus je me sens libre ! En revanche, quand j’arrive à Trappes, que je vois qu’il y a des trous dans nos routes, que nos écoles sont pleines à craquer de classes de cancres, que les commerces sont pris à la gorge, que les aménagements sont mal répartis, je suis triste... À quoi ils servent, alors, mes impôts ? Jusqu’à quand va-t- on mépriser les habitants de ces banlieues ?
Il y a longtemps que je ne t’avais pas vu et je suis frappé, alors que tu viens de réussir un acte aussi bien cinématographique que politique, de voir à quel point tu es à vif sur le sujet. Comme si quelque chose ne passait plus...
C’est vrai. J’ai beau avoir, moi, une chance incroyable, j’ai la rage ! Il y a un truc que je vis mal. L’immigration choisie, par exemple, mais c’est un truc de dingue ! J’ai été à Cachan. J’ai souvent fait le pied de grue devant des bâtiments pour ne pas qu’on expulse des copains à nous, mais à Cachan, là, on a atteint des sommets ! Je suis fier d’être français mais c’était une honte de traiter les immigrés de cette manière-là, de les parquer... J’y ai rencontré Togola, un gréviste de la faim qui, dans son pays, est ingénieur agronome et qui, ici, passe le balai ! Il m’a dit la phrase qui m’a tué. Je lui ai demandé : « Veux-tu aller jusqu’au bout ? — Oui. —Mais, tu vas mourir, tu n’as pas peur ? — Si une seule partie de mon corps a peur, je la coupe et je la jette. » Mais comment la France ne se sert-elle pas de ces gens-là, de leur énergie ? De mecs aussi grands, aussi dignes, aussi valeureux que lui ? Ce sont des guerriers Massaï ! J’aime la France. C’est elle qui m’a donné mes valeurs et qui a fait de moi ce que je suis aujourd’hui, mais je la déteste aussi parce qu’elle me renvoie une sale image de moi qui n’est pas moi : je suis tout sauf ce que vous pensez que je suis ! Le signe astrologique de la France, c’est gémeaux ascendant gémeaux ! Avec deux facettes. Autant par petites touches, elle est humaine, elle est digne, elle est forte, elle a une histoire... Je suis entièrement d’accord avec Max Gallo là-dessus : il faut être fier d’être français. Louis XI, Napoléon et plein d’autres, c’est pas rien ! On a une histoire, une culture... Victor Hugo et Jean-Jacques Goldman. [Rires.] Mais à côté de ça, elle méprise une partie de ses enfants, elle nous exclut, elle ne nous considère pas, elle nous tolère à peine... Même si je suis amer, je ne serai nulle part ailleurs au monde mieux qu’ici. C’est Jamel Debbouze employé au collège Youri-Gagarine en contrat emploi solidarité qui te parle. Je me remets dix piges en arrière et je remercie Dieu de m’avoir fait naître dans ce pays, de m’avoir fait rencontrer les gens que j’ai rencontrés, de m’avoir fait vivre ce que je vis, de m’avoir donné la chance presque unique, de pouvoir m’exprimer... Mais je sais aussi qu’on a du pain sur la planche. La seule manière de vivre en société, c’est de pouvoir donner son avis. La seule manière efficace de donner son avis, c’est d’aller voter. À partir du moment où l’on va aller voter, les dirigeants seront bien obligés de tenir compte de notre avis, de nous considérer différemment, de nous considérer — tout simplement.
(1) C’est ainsi qu’il appelle Alain Degois, qui lui a fait travailler l’impro.
(2) Article du 23 octobre 1998. La phrase exacte est la suivante : « On imagine volontiers les huiles de Canal+, qui a fait son succès, se pâmer devant cet animal exotique et douloureux amené au salon, et qui mime à l’écran, souvent avec bonheur, le monde de la cité. On les entend d’ici flatter, verre en main, leur rachitique albatros suburbain : “ Génial notre rebeu, non ? ” [...] Et sa main droite, toujours coincée dans la poche avant du jean’s, signe l’image d’un zeste de gène et d’inutilité. »
Médias n°11
Aller plus loin
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