« Comment sortir du monde ? » C’est le titre du tout premier roman du Franco-marocain Marouane Bakhti, paru aux Nouvelles Éditions du réveil en mars 2023. Il y raconte la vie, telle qu’elle vient, dans une famille biculturelle. Un récit éblouissant.
Comme l’écrivait Olivier Mongin dans son ouvrage sur la nouvelle génération de comiques (De quoi rions-nous ?, Plon 2006), Jamel Debbouze est un pitre aux "identités multiples". Comique télé, animateur, jongleur de mots, improvisateur, bête de scène et acteur de cinoche, ce brasseur de postures change de masques pour ne pas être réduit à une ethnie, une famille, un milieu du spectacle. Il multiplie les postures afin d’échapper au personnage du môme de la cité, du beur rebelle, du surdoué de l’improvisation orale.
Ce n’est pas cette frénésie à s’imposer en comique protéiforme qu’ont voulu explorer Marie Jocher et Alain Kéramoal, mais l’histoire de son ascension et la face cachée d’une biographie qui, alors que Jamel n’a que 32 ans, recèle déjà des épisodes romanesques. Les auteurs affirment que raconter la vie du petit prodige de Canal+ nécessitait de mener une enquête qu’ils assurent "minutieuse", nourrie de "témoignages intimes". Le titre de l’ouvrage sous-entend que tout n’était pas connu sur son passé, son irrésistible ascension, son parcours de "magicien de la comédie".
Oublions donc ce qu’eût pu être ce livre si Jamel Debbouze s’y était investi personnellement, si les auteurs ne s’étaient pas essentiellement concentrés sur sa face privée, s’ils avaient étudié en profondeur le comique de Jamel, ses facéties de langage, sa méfiance vis-à-vis d’un humour strictement identitaire, et la façon dont il intègre son corps dans sa mise en scène de lui-même. Jamel Debbouze, la vérité est moins un portrait de l’artiste, une analyse de ce qu’il nous dit sur notre société, une invitation à approcher sa façon de voir le monde, qu’un livre d’investigation.
Certains y découvriront que Jamel Debbouze, né à l’hôpital Lariboisière, à Paris, est un môme de Barbès avant de devenir un gamin de Trappes (Yvelines), du ghetto, de la cité-dortoir des Merisiers... Cette enfance en banlieue, sa petite bande et ses "bizness" plus ou moins illégaux, comme plus tard ses choix artistiques, ses caprices et ses frasques de chauffard irascible, constituent l’essentiel de l’épopée.
Les "révélations" promises concernent deux épisodes. Le premier est ce fameux accident au cours duquel il perd l’usage de son bras droit. En 1990, Le Parisien annonce sa mort, déchiqueté par un train en gare de Trappes. Il s’avérera que c’est l’un de ses camarades qui a été happé par le Nantes-Paris alors que les jeunes inconscients faisaient les malins sur les voies.
Mais les parents du camarade tué accuseront Jamel de l’avoir poussé sous le train pour une histoire de blouson volé, et porteront plainte contre lui. Ce couple de Réunionnais n’admettra jamais que cette affaire se solde par un non-lieu, et continuera d’accuser Jamel d’assassinat lorsque, en 2002, ce dernier se prépare à faire une tournée dans les DOM-TOM. Jamel, qui a toujours nié cette version des faits, et que le témoignage du conducteur du train semble innocenter, sera obligé d’annuler les spectacles prévus.
La seconde affaire est celle qui l’opposera aux soeurs Mourine, accusées d’escroquerie. Debbouze a rencontré Nadia en pleine griserie de la "jamelmania". Brandissant son carnet d’adresses, cette charmeuse, qui prétend être connectée avec l’au-delà et avoir des dons de guérisseuse, se retrouve engagée comme assistante financière et fait en sorte (avec son aînée Fatima) de contrôler toutes les finances de la nouvelle star, s’improvise agent, organise des concerts...
Jamel découvrira qu’il a été abusé. Condamnées pour détournement, ces deux filles d’une famille d’immigrés marocains plaideront avoir agi conformément à la volonté de Jamel (volontiers pygmalion), et ont fait appel du jugement. Ce procès n’a fait l’objet d’aucune couverture médiatique.
Le Monde - Jean-Luc Douin
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