Itinéraire : chronique de voyage d’une contrebandière à Nador

12 août 2002 - 11h41 - Maroc - Ecrit par :

"Il vaut mieux s’abstenir de prendre un train en provenance d’Oujda quand on a l’intention de se rendre à Casablanca", disent certains. Et pour cause, avancent-ils, le désordre, la bousculade, le dérangement et la sensation d’insécurité même, que génère la présence des contrebandiers à bord.

En réalité, ces gens n’ont pas tout à fait tort, l’agitation est à son comble à chaque alerte de contrôle même fausse. Mais quand on écoute les histoires de ces femmes et de ces hommes qui s’aventurent dans la périlleuse entreprise par manque de moyens, il est parfois très difficile de ne pas compatir. Il n’est pas rare aussi que l’on succombe aux prières de l’un d’entre eux pour lui venir en aide en camouflant dans ses bagages des coupons de tissus ou des sacs de riz. Quoique réticents et dépités au début, les passagers fléchissent souvent devant les implorations des contrebandiers de sexe féminin surtout. Des femmes qui quittent leurs domiciles et s’exposent à tous les dangers pour un bout de pain incertain.

L’une de ces femmes, s’est confiée à Libé. Son attitude, le ton de sa voix et l’amertume qu’elle porte en elle témoignent d’un ras-le-bol de ces interminables allers-retours entre Casa et Nador, des humiliations, de la peur, de la confiscation de la marchandise et la liste n’est que trop longue.

Daouia a dépassé la quarantaine depuis des années. C’est une femme chétive à l’apparence modeste. Mère de cinq enfants, elle s’est retrouvée seule face à leurs multiples besoins, une fois que son mari l’a répudiée et refusé de lui payer la pension alimentaire. N’ayant pas d’autres ressources et ne sachant rien faire de ses deux bras, elle a "choisi" de faire de la contrebande.

Partie de rien, elle est parvenue, quand même, à subvenir aux besoins de ses cinq enfants et à leur assurer un toit sous le ciel casablancais, au bout de quelques voyages. "C’était un commerce prolifique. On avait un bénéfice de 20 dh sur chaque coupon de tissu. Ce qui n’est plus le cas aujourd’hui"

Daouia se rend à Nador deux fois par semaine. Après près de dix heures de train entre Casablanca et Taourirt, elle prend la route pour aller à Nador. Elle n’a que deux heures pour s’approvisionner et livrer la marchandise à un passeur qui se charge de la transporter jusqu’à Taourirt où elle l’attendra , après avoir complété ses achats.

Le retour est prévu le même jour mais dans des conditions nettement différentes de celles dans lesquelles s’est déroulé l’aller. Aussitôt embarquée , Daouia répartit la marchandise sur plusieurs compartiments, en investissant les porte-bagages et les espaces sous les sièges. Elle fait cela après avoir prié les voyageurs, de préférence une famille avec peu de bagage, de lui rendre service en déclarant que les bagages leur appartiennent, au cas où le contrôleur leur poserait la question.

Certaines personnes refusent catégoriquement de coopérer, selon Daouia. Les gens ont peur : la contrebande est un délit puni par la loi d’autant plus qu’ils ignorent ce que pourraient contenir les sacs. "Je ne peux pas déclarer son bagage comme étant le mien. J’ai peur des problèmes car il pourrait bien s’agir de drogue, d’alcool ou d’armes", comme l’a formulé une passagère.

Daouia connaît très bien les contrôleurs de l’ONCF à force de les côtoyer. A la vue de certains visages, elle prévoit le pire. La moindre chose qui pourrait lui arriver est de payer quelque 300 dh de frais de bagages.

Le trajet est semé d’embûches. Pour Daouia qui a appris à connaître les points névralgiques, son taux d’adrénaline monte un peu plus à Taourirt , Oued Amlil, Sidi Harazem et Sidi Kacem. La peur de voir les représentants de l’autorité lui confisquer toute sa marchandise s’intensifie à chaque fois que le train approche l’un de ces endroits.

La semaine dernière, a- t-elle confié, les gendarmes lui ont confisqué une marchandise dont la valeur est estimée à 15.000 dh. Trois jours après, elle s’endette pour faire un autre voyage.

Mais la peur de Daouia ne vient pas seulement des représentants de l’autorité et des contrôleurs de l’ONCF. Daouia a également peur des voleurs qui nichent près des points de contrôle au niveau desquels les contrebandiers balancent leur marchandise en attendant d’aller la récupérer.

Il n’est pas rare, aussi qu’un voyageur à qui elle a fait confiance, parte avec une partie de la marchandise.

A un passager qui lui a demandé de changer ce "métier" incompatible avec sa nature de femme et qui l’expose au danger et aux humiliations, Daouia a répondu : "Où est-ce qu’elle est l’alternative ? Je suis diabétique, je viens de me faire opérer de la vésicule biliaire et le besoin m’a obligé à interrompre ma convalescence pour reprendre la route. Je ne sais rien faire à part cela".

Des proches ont conseillé à Daouia de se faire accompagner de sa jeune fille mais elle refuse catégoriquement cette proposition. Elle ne supportera pas que sa fille soit taxée de "femme légère" et obligée de répondre aux avances de certains impertinents juste parce qu’elle fait de la contrebande. Elle même victime de préjugés, elle insiste sur le fait que si elle fait des voyages de nuit et qu’elle a choisi de s’aventurer sur cette piste, ce n’est nullement par plaisir ou pour goût de l’aventure, comme peuvent le penser certains, mais c’est pour subvenir aux besoins de ses enfants.

Fatima Moho pour libération

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Sujets associés : Nador - Oujda - Contrefaçon - Pauvreté - Contrebande

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