L’homosexualité toujours aussi tabou chez les Marocains

11 décembre 2007 - 12h02 - Maroc - Ecrit par : L.A

De tout temps, l’homosexualité a suscité révulsion et haine, rarement compréhension et tolérance. La dernière affaire d’homosexualité à avoir provoqué une vive polémique au Maroc est celle de Ksar El Kébir, le 19 novembre dernier, où deux hommes auraient « convolé en (in)justes noces ». N’avaient été les explications de Chakib Benmoussa, ministre de l’intérieur, devant le Parlement, selon lequel il ne s’agissait que d’une « fête personnelle marquée par des rituels de charlatanisme que les personnes concernées avaient coutume d’exercer localement », l’affaire, que les propos démagogiques d’une certaine presse ont gonflée de manière disproportionnée, aurait pris une tournure tragique.

L’homosexualité est-elle donc une tendance sexuelle contre-nature, une perversion qu’il faudrait sévèrement punir, comme le pensent certains ? En tout cas, le débat n’est pas près de s’épuiser, et dans d’autres contrées où la liberté de disposer de son corps est une valeur essentielle, les homosexuels ont pu conquérir des droits qui auraient paru inimaginables il y a à peine un demi-siècle. Dans d’autres pays, l’homosexualité est un crime grave et son auteur passible de la peine capitale.

Croire que les amours entre deux personnes du même sexe n’est qu’une turpitude importée de l’Occident, c’est se voiler la face. Méditons ce témoignage : M’jid est coiffeur pour dames de son état. Efféminé, que ce soit dans sa démarche, dans sa gestuelle, sa façon de parler, il n’en est pas moins un homme, homosexuel. Ces dames se bousculent dans son salon pour se refaire une beauté, mais pas uniquement. Elles aiment aussi à se retrouver chez lui pour lui confesser leurs petites histoires les plus intimes, lui raconter leurs problèmes avec leurs maris... Elles trouvent en lui un confident, et une oreille attentive, et lui-même leur fait part de ses problèmes de couple avec son amoureux. Il parle de « son homme » comme les femmes de leurs maris, avec jalousie et tendresse. Le coiffeur assume, voire affiche ses orientations homosexuelles à l’intérieur de sa boutique, sans aucun complexe, et se trouve parmi sa clientèle féminine, qui ne s’en offusque guère, comme un poisson dans l’eau.

Et à l’extérieur ? « Une fois en dehors de mon salon, la discrétion reprend ses droits. A quoi bon attirer les foudres d’une société foncièrement homophobe, sans parler du harcèlement de la police, quand on peut vivre sa vie chez soi, à l’abri des regards ? C’est comme manger dans la rue en plein Ramadan, enlacer et embrasser sur la bouche sa petite amie en public. »

Les juristes appellent cela atteinte à la pudeur et aux mœurs, et l’article 489 du Code pénal est sévère à l’encontre des homosexuels. « Est puni de l’emprisonnement de six mois à trois ans et d’une amende de 120 à 1000 DH, à moins que le fait ne constitue une infraction plus grave, quiconque commet un acte impudique, ou contre-nature avec un individu de son sexe. »

Le risque n’est pas uniquement d’ordre pénal. L’homosexuel marocain, et dans le monde arabo-islamique de façon générale, affronte un ordre social et religieux très hostile à la pratique de l’homosexualité. Le 11 mai 2001, 52 Egyptiens réunis pour fêter l’union de deux d’entre eux dans une discothèque du Caire, furent arrêtés et écroués. Accusés d’homosexualité et d’atteinte aux « bonnes mœurs », 23 d’entre eux furent condamnés par la Haute cour de sûreté de l’Etat, un tribunal d’exception, d’un à cinq ans de prison ferme. En janvier 2002, la peine était plus monstrueuse à l’égard de trois Saoudiens qui, accusés d’homosexualité, étaient condamnés à mort et décapités.

Au Maroc, au-delà de la récente affaire de Ksar El Kébir, les annales judiciaires enregistrent au quotidien, elles aussi, des cas de prostitution masculine ou de pratiques homosexuelle. Mais l’événement qui défraya la chronique au Maroc et qui a immédiatement provoqué l’ire des organisations humanitaires internationales et autres associations gays en Europe, est celui des 48 personnes interpellées à Tétouan, le 1er juin 2004, alors qu’elles célébraient dans une salle de fête l’anniversaire d’un des leurs. Elles furent, certes, relâchées 48 heures après, faute de preuves d’atteinte à la pudeur, mais l’incident a fait du bruit, notamment dans la presse.

L’homosexualité est abhorrée par les religions monothéistes

Jusqu’où peut aller la liberté de disposer de son corps dans notre société et quelles sont les limites de l’exercice du droit à la différence sexuelle pour le citoyen marocain ? La liberté de disposer de son corps a des limites, crient certains, la femme est créée pour l’homme et l’homme pour la femme, toute autre conception de la relation amoureuse est contre-nature. Les milieux islamistes marocains vont encore plus loin.

Dans son édition du 14 juin 2004, le quotidien Attajdid, très proche du PJD, a fait paraître un article révélateur d’une homophobie viscérale. L’homosexualité, « masculine surtout », dit l’article, « est un mouvement qui est loin d’être spontané ou dispersé au niveau international, mais c’est une affaire bien orchestrée et bien organisée, menée par des organismes internationaux qui ont des ramifications parmi nous, sortes de cellules homosexuelles dormantes comparables aux cellules terroristes liées à l’organisation Al Qaïda. » L’homosexualité serait ainsi, comme le suggère l’auteur de l’article, aussi dangereuse pour la société marocaine que le terrorisme ! Le 29 novembre dernier, alors que la déclaration du ministre de l’intérieur avait levé toute ambiguïté sur l’affaire de Ksar El Kébir, le même organe titra en première page : « Quand la Turquie [ndlr : où un autre PJD est au pouvoir] fête Mustapha El Akkad [penseur égyptien], les Marocains fêtent les homos. »

Tout le monde s’accorde pourtant à dire que ce phénomène est répandu au Maroc et l’on sait aussi qu’il remonte loin dans le temps et transcende les frontières géographiques et les appartenances religieuses. Pourtant, rares sont les voix qui réclament l’abolition de l’article criminalisant ses auteurs. Que disent en particulier les milieux des droits de l’homme marocains du phénomène ? Les responsables de l’OMDH et de l’AMDH sont pris de court lorsqu’on les interroge sur ce sujet ; difficile pour eux de s’exprimer sur le sujet tant que leurs organisations n’auront pas débattu et arrêté une position bien « réfléchie ». En tout cas, leur littérature n’a jamais porté un quelconque intérêt à ce phénomène. « Le Maroc l’a certes de tout temps connu, mais il n’a jamais été toléré au grand jour puisqu’il reste encore mal vu et la population le considère comme une déviation et non comme un droit de disposer de son corps, comme c’est le cas en Europe. Il reste donc un phénomène marginal. Il n’a en tout cas pas, jusqu’à présent, suscité un grand débat de société, et un droit humain sur lequel une organisation humanitaire se doit de se pencher », souffle un ex-responsable de l’OMDH.

Toutefois, sur l’affaire de Ksar el Kébir, l’AMDH, par un communiqué publié le 2 décembre, vient de sortir de son silence. Pour leur part, les ex-responsables de l’organisation marocaine contre la haine et le racisme (aujourd’hui dissoute) expliquent : « Nous sommes contre toute haine basée sur la religion, la race ou les préférences sexuelles. Nous ne pouvons que nous inscrire contre l’homophobie et nous sommes contre la résurgence d’un discours intolérant ne reconnaissant aucune liberté individuelle au nom de la religion. »

Le rejet des homosexuels n’est pas propre aux pays arabes, on le retrouve même dans des pays comme les Etats-Unis

Quel est, au Maroc et dans le monde, le nombre des homosexuels ? Difficile à dire, mais, quelques statistiques glanées sur la toile parlent de 3% de la population mondiale. Proportion à laquelle il faudrait ajouter les bisexuels ou homosexuels occasionnels, et sans parler des penchants homosexuels latents ou refoulés.

Pour Zakia Zouanat, anthropologue et chercheur à l’Institut des études africaines (Université Mohammed V), l’homosexualité est « un phénomène qui existe depuis toujours, tant il est vrai qu’il est enraciné dans la nature humaine. Si tel n’était pas le cas, le Coran n’aurait pas eu à condamner “Ahl Loth” (les gens de Loth) pour leurs pratiques sexuelles déviantes. » Si le plaisir sexuel est beaucoup plus valorisé en islam que dans les autres religions (le christianisme le considère comme un péché, en dehors de la finalité de la procréation), l’homosexualité, « la turpitude des turpitudes », est formellement prohibée (en islam comme dans les autres religions monothéistes).

Prohibée, mais largement tolérée à certaines époques de l’histoire arabo-musulmane, notamment pendant la période des Abbassides. Abou Nawas (757-815) « l’homme aux cheveux bouclés ou pendants », connu pour ses préférences pour les éphèbes, n’est-il pas considéré, après Al Moutanabbi, comme le plus grand poète arabe sous le règne de Haroun Ar Rachid ? Le fameux poète chantait : « J’ai quitté les filles pour les garçons. Et pour le vin vieux, j’ai laissé l’eau claire...Loin du droit chemin, j’ai pris sans façon...Celui du péché, car je préfère. Me voilà tombé amoureux d’un faon coquet...Brillant comme clair de lune son front chasse les ténèbres de la nuit noire...Il s’habille court sur ses fines hanches... Mais ses vêtements ont de longues manches. »

L’homosexualité n’en demeure pas moins pour beaucoup une déviance, même dans de grands pays de liberté comme les Etats-Unis. Et Zakia Zouanat de nous citer un sénateur américain qui avait déclaré, au moment de l’apparition du sida, à la fin des années 80 : « God has created Adam and Eve, not Adam and Steve », expliquant par là qu’« il est naturel que ceux qui se détournent de la nature du couple tel qu’il a été conçu par le Créateur trouvent un tel châtiment ! ». En ce qui concerne notre pays, ajoute la chercheuse, l’homosexualité « existe comme partout ailleurs, sous des formes multiples et diverses. Notre littérature historique regorge d’histoires d’homosexualité, tant chez le commun des mortels que chez les notabilités.

Ces manifestations d’élans homosexuels sont présentes chez des personnes qui avaient pignon sur rue, dont par exemple certains poètes qui ne s’en sont pas cachés, ou les hommes des corporations, chez qui c’est une chose liée à l’initiation au travail, au savoir-faire. Un adage bien de chez nous dit “mâ t’allam hetta tdouz min taht kerch al-m’allam” [tu n’apprendras que lorsque tu seras passé sous le ventre de celui qui t’enseigne]. Par ailleurs, nous trouvons, dans la littérature concernant certaines régions de notre pays, des histoires de maîtres de maisons avec leur giton, c’était même un signe ostentatoire de raffinement que d’avoir son éphèbe. »

Lacan a été le premier à rompre avec la persécution visant les homosexuels sévissant même dans le milieu psychanalytique

L’homosexualité est-elle un phénomène génétique (inné) ou acquis ? La réponse des spécialistes est claire. Longtemps considérée comme une pathologie, il a fallu attendre le milieu des années cinquante (travaux des historiens et des grands mouvements favorables à la liberté sexuelle), pour que l’homosexualité, analyse Hakima Lebbar, psychanalyste, « ne soit plus regardée comme une pathologie mais comme une pratique sexuelle à part entière. En France, dans les années 1960, Lacan a été le premier psychanalyste à rompre radicalement avec la persécution qui visait les homosexuels même dans le milieu psychanalytique. En 1974, l’American Psychiatric Association décida de rayer l’homosexualité de la liste des maladies mentales. ».

La vie éco - Jaouad Mdidech

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