En témoigne le nombre de clients ayant opté pour ces produits spéciaux. « Ils ne sont qu’une dizaine, tout au plus. Nombre d’entre eux disent être découragés par une offre qu’ils jugent onéreuse », est-il indiqué auprès d’une banque de la place. Ces « clients spéciaux » ne sont guère plus nombreux dans les autres établissements. Le flou autour de la fiscalité de ces produits n’est pas pour arranger les choses, comme en témoigne le coup de sonde réalisé par L’Economiste auprès du secteur. « Fiscalement, les produits alternatifs sont tout bonnement assimilés aux produits bancaires classiques », est-il précisé au sein de l’Association professionnelle des sociétés de financement (APSF).
Serait-ce donc la fiscalité appliquée qui serait à l’origine de ce flop ? Les spécialistes s’accordent à le confirmer. Même Khalid Alioua, président du directoire du CIH, lors de la présentation des résultats de sa banque a souligné « le peu de concrétisation dans ce domaine », causé par « la contrainte d’une réglementation fiscale supérieure, rendant ces nouveaux produits plus chers que ceux de la banque traditionnelle ». Pour lui, « il faudrait les mettre aux normes ».
Pour de nombreux experts, l’application de la TVA serait en grande partie à l’origine de cette situation. En effet, dans l’esprit des consommateurs, il existe une incompatibilité bien claire entre ces produits et ceux proposés d’ordinaire par la banque. Au sens classique du terme islamique, les produits alternatifs ne produisent pas d’intérêts, seule une marge bénéficiaire négociée au départ y est appliquée. Or, cette marge est soumise à la TVA. Ce qui indigne les quelques clients ayant opté pour ces produits spéciaux. « Non seulement, ils n’ont rien d’islamique car ils englobent une marge bénéficiaire (ndlr : contraire à la Charia islamique), mais ils sont plus chers que les produits bancaires classiques », s’exclame un client.
L’administration fiscale assimile ces nouveaux produits à n’importe quel service bancaire classique. A titre d’exemple, « Ijara » qui est le financement d’un bien sur les fonds propres de la société de crédit (pas d’origine bancaire), est assimilé par les Impôts à un produit de leasing (LOA). Il est donc soumis à une TVA de 20%. Néanmoins, il faut préciser que ce produit n’est pas un crédit avec un taux d’intérêt. La différence subsiste à ce niveau.
Pour ce qui est de la « Mourabaha », le problème est plus délicat. Ce mode de financement, contrairement à un crédit classique, permet au bénéficiaire de jouir d’un bien acheté par la société de financement, moyennant la fameuse marge bénéficiaire. Or dans un crédit traditionnel, la société de financement prête de l’argent au client pour qu’il procède lui-même à l’acquisition du bien. Il s’agit là d’un crédit affecté à un bien particulier. Pour le fisc, le produit « Mourabaha » est un crédit comme un autre, il est ainsi soumis à une TVA à 10%. Le problème subsistera une fois le bien cédé à l’emprunteur. La société de financement se retrouvera donc dans une situation de crédit de TVA. En effet, celle-ci ayant acquis le bien assorti d’une TVA à 20% et l’aura vendu sur la base d’un taux de 10%. Elle devra donc se faire rembourser le différentiel, c’est là où le bât blesse. Cela entraînera certainement des difficultés de remboursement des crédits de TVA comme c’était le cas pour la LOA.
En réponse, Nourredine Bensouda, le directeur général de l’Administration fiscale, lors de ses différentes sorties médiatiques de ce début d’année, a mis en avant la jeunesse de ces produits alternatifs au Maroc. « Il faut donc du temps pour pouvoir mettre en place une fiscalité adaptée, à l’instar de nos prédécesseurs dans ce domaine », a-t-il souligné.
Malgré ces problèmes, les banques ayant franchi le pas, ne semblent pas se décourager pour autant. Bien au contraire, elles comptent bien surfer sur la vague des produits « halal », compte tenu de leur fort impact à l’international. De fait, certaines envisagent de lancer des campagnes promotionnelles. Les autres banques suivront certainement.
Si le Maroc en est à ses premiers pas, les organismes islamiques dans le monde sont en pleine maturité. En effet, le marché connaît une progression significative (15% par an). Elles sont plus de 400 institutions financières réparties dans 75 pays. Celles-ci détiennent actuellement plus de 800 milliards de dollars d’actifs. De plus, il faut rappeler que les clients de ces banques islamiques se composent en grande majorité de clients non islamiques, compte tenu de leur compétitivité par rapport aux produits classiques. A titre d’exemple, la branche malaisienne de la Koweït Finance House compte 60% d’emprunteurs qui ne sont pas guidés par la foi musulmane.
Marketing agressif
Aux Etats-Unis, plusieurs institutions ont mis en place des procédés pour vulgariser le recours à ces produits. Le Dow Jones a, par exemple, créé un indice de placement islamique.
De son côté, l’université d’Harvard a lancé en 1995 un Projet de finance islamique (IFP), mené par un groupe qui étudie et analyse la croissance de la finance islamique. Enfin, l’Etat allemand de Saxe a émis un bon à taux flottant de 100 millions d’euros répondant aux règles de la Charia.
Source : L’Economiste - M.A.B.