Mais l’homme est aussi producteur, et sa société Ali n’ Productions mise gros sur la formation et la professionnalisation du 7e art marocain. Après des ateliers axés sur le court-métrage, l’art vidéo et le tandem scénariste/producteur, Film Industry voit grand : booster l’industrie cinématographique marocaine, avec l’aide de la télévision publique du royaume (SNRT).
En deux ans, trente films mis en boite par douze jeunes réalisateurs
Le concept : réaliser, en deux ans, trente films de genre en numérique haute définition, avec quinze jours maximum de tournage pour chacun, et des budgets limités (100 000 euros en moyenne par film sur un budget total de 3,3 millions d’euros). A la caméra, douze jeunes cinéastes de 27 à 42 ans, dont neuf signent là leur premier long métrage. Et au casting, des dizaines de comédiens quasi anonymes.
Une folie ? Un défi, répond la jeune garde de réalisateurs et acteurs, qui se souviennent des journées de vingt heures, chèche sur la tête dans la fournaise d’Agadir. Ils sont unanimes pour saluer l’émulation suscitée par ces conditions industrielles de tournage, vécues comme un baptême du feu. Sur les plateaux arides du Souss se cultive le sens de la débrouille.
"On voulait prouver des choses", lance l’acteur Mourad Zaoui, premier rôle dans "El Guerrab", une histoire de sabres et de vengeance signée Yassine Fennane. Notamment, se plier aux règles du cinéma de genre -comédie, drame, horreur, fantastique, action, policier, comédie musicale, historique-, pour "créer nos propres référents en matière d’audiovisuel", souhaite Nabil Ayouch, et ne plus se contenter des films indiens, américains ou égyptiens.
"Un bon exercice", selon Nabil Ayouch, "par lequel même Scorsese et Coppola sont passés." Et de quoi, selon le cinéaste Ali El Majboud, 28 ans, assouvir une réelle "rage de tourner" tout en sortant des sentiers battus. Le réalisateur de La Vague blanche, un "délire post-adolescent" narrant un trafic de coke sur les plages marocaines, s’amuse des clichés de la production actuelle :
"Au Maroc, où les films sont faits avec l’argent de l’Etat, on ne voit que des drames sociaux trop sérieux, trop lisses. Malheureusement, l’Europe aussi semble attendre ça de nous"
"Malgré les contraintes, on a joui d’une réelle liberté", assure Hicham Lasri, 31 ans, directeur artistique et réalisateur de "L’Os de fer", l’odyssée de trois jeunes qui braquent un receveur de bus pour payer les études d’un pote, mais aussi de "TiphinaR", une histoire de schizophrénie et de fantômes sans un village paumé. Une intrigue qui révèle une envie de "faire des films violents", pour mieux dépoussiérer un septième art marocain trop conventionnel, dans un pays où l’on fait si peu confiance aux jeunes.
Révéler des gens vierges et plus vrais
Film Industry se veut aussi un réservoir de talents, qu’ils soient cadreurs, cascadeurs, costumiers, éclairagistes, décorateurs, scénaristes ou breakdanseurs, et bien sûr, comédiens, la plupart issus du théâtre amateur ou universitaire. "Nous on est fans de gueules à la Charles Bronson, de western spaghetti", s’exclame Ali El Majboud, blasé de toujours retrouver, dans les films marocains, "les mêmes visages, les mêmes voix, les mêmes manière de jouer".
Plutôt que des têtes d’affiche, Film Industry entend révéler des gens vierges, plus vrais. Ainsi Mohamed Quatib, 36 ans et qui, pas rasé, se fonderait parfaitement dans un Sergio Leone. "Ce mec, il a tout fait dans le cinéma, sauf jouer", s’étonne Hicham Lasri, qui le met en scène dans L’Os de fer. Ou encore Hicham El Joudoudi, 29 ans, chanteur de chaâbi au physique comme "tout droit sorti du Bronx", comme le décrit Yassine Fennane, qui en a fait le héros de sa comédie "Squelette".
"Des images et des visages auxquelles ont peut s’identifier", telle est la valeur ajoutée Film Industry selon Hicham Lasri. Des films vrais, populaires, accessibles, personnels, que l’équipe envisage de projeter en milieu rural, carcéral et associatif, comme, récemment, pour des prostituées, avec l’aide de l’Association de lutte contre le sida.
Des sélections dans les festivals, mais pas de salles au Maroc
Dans un paysage audiovisuel marocain gangrené par le piratage, la Film Industry, c’est aussi la première tentative de marché formel de distribution vidéo. Chacun des trente longs-métrages est voué, un an avant leur diffusion sur la première chaîne Al Aoula, à sortir en DVD, vendus 39 dirhams (3,50 euros) dans des bureaux de tabac. Un projet qui a permis de jeter les bases d’une industrie du doublage, pour que les films soient visibles aussi bien en darija (arabe marocain), qu’en dialectes amazighs (tachelhit, tarifit, tamazight), et bientôt en hassani.
Au Maroc, où l’on se méfie tant de la nouveauté, Film Industry soulève critiques et polémiques : ces longs-métrages se réduiraient à des téléfilms pas chers, bouclés sur le dos d’un staff mal payé et qui ne mériteraient pas de passer au cinéma.
Au Centre cinématographique marocain (CCM), on évoque même le risque de "nigérianisation de l’industrie marocaine du cinéma". Au Nigéria en effet, la production de films bon marché, distribués uniquement en DVD, a pris le pas sur l’industrie du cinéma traditionnelle
Et les deux premières demandes de dérogation pour décrocher un visa d’exploitation et sortir en salles (une fois convertis en 35 mm), viennent d’être refusées par le CCM aux "Arêtes du coeur", de Hicham Ayouch, et à "La Vague blanche". Deux films qui, avec "L’Os de fer" et "Squelette", se sont pourtant offerts plusieurs sélections dans des festivals entre Le Caire et Montréal, Los Angeles et Istanbul, Ouagadougou et Calcutta.
Dans l’équipe, on balaie la critique d’un ton agacé. Le projet pourrait bien s’exporter à Damas, et une Film Industry II est déjà en phase d’écriture à Casablanca. D’autant qu’une réelle attente des spectateurs de se retrouver sur grand écran est là : en 2006, dans le royaume, trois films tournés dans le royaume -"Marock", de Laila Marrakchi, "La Symphonie marocaine", de Kamal Kamal, et "Les Ailes brisées", de Majid Rchich- ont ravi la tête du box-office aux blockbusters américains.
Rue89 - Cerise Maréchaud