“Ici, c’est mon refuge. J’y viens pour décompresser”, lance Fethi Jamal, qui a troqué son habituel survêt’ vert et rouge pour un look plus tendance : jeans délavé et pull d’été. Attablé dans le café dont il est le propriétaire, l’homme déguste son espresso en saluant de la main quelques habitués. L’endroit, situé au quartier Bourgogne à Casablanca, a récemment rejoint le “réseau” des cafés de footballeurs, à quelques encablures des établissements appartenant à Salaheddine Bassir ou encore Baddou Zaki. Mais il a déjà un nom : “Le café de Fethi Jamal”, ou “Le café de Jamal” tout court pour les intimes. “Ici, je ne suis pas sélectionneur national. Je suis juste un client comme un autre. D’ailleurs, tout le monde m’appelle par mon prénom”, poursuit le maître de céans, comme pour marquer sa fibre chaâbi.
Trois matchs, trois victoires
Directeur technique à la Fédération de football depuis deux ans, Fethi Jamal est aussi, depuis le limogeage d’Henri Michel, le sélectionneur national par intérim. Bouche-trou, une consécration au goût d’inachevé pour l’enfant de Derb Soltane. “Intérimaire ou sélectionneur A, c’est la même chose : au final, on a une obligation de résultat”, argumente l’homme au crâne rasé. Et sélectionneur à durée déterminée, il l’a déjà été à plusieurs reprises, avec un bilan plus qu’honorable : une victoire contre la Suisse en 2004 et une seconde dans un match d’exhibition contre la sélection “Concacaf”, début 2005. Rebelote il y a quelques jours, quand le onze marocain corrigeait les Diables rouges à domicile. “Il s’agissait à chaque fois de matchs amicaux, mais les chiffres parlent pour lui : il a fait carton plein”, analyse ce journaliste sportif. Mais le fait d’armes le plus saillant de Jamal restera la demi-finale décrochée par les Lionceaux de l’Atlas en 2005, lors des Championnats du monde juniors aux Pays-Bas. Une première.
Avant d’entamer une carrière d’entraîneur, Fethi Jamal a d’abord usé ses semelles sur le bitume. Très tôt, il taquine la balle au sein de la Chabiba de son quartier casablancais, tout en suivant une scolarité sans histoires. Son bac en poche, il réussit le concours d’accès au Centre pédagogique pour enseignants de Aïn Sebaâ. À l’issue de deux ans de formation, il en ressort avec un diplôme de professeur d’éducation physique et sportive. “On m’a affecté à Laâyoune, se souvient-il. J’étais le premier prof de sport qui y posait les pieds”. Parallèlement à son job d’enseignant, il intègre, en 1984, le club local du Chabab Sakia El Hamra, alors en deuxième division. Dans la ville du Sahara, ce n’est pas la traversée du désert. Bien au contraire. Au bout d’un an, le club parvient à se hisser en première division. Ses talents du meneur de jeu sont remarqués par les dirigeants du club marrakchi du KACM, qui le débauchent. Il n’y fera finalement qu’un bref passage, avant de rejoindre, quelques mois plus tard, le Raja de Casablanca. Un jour sur les pelouses, le lendemain avec ses élèves : “Cela me permettait de vivre confortablement, entre mon salaire d’enseignant et les primes de match hebdomadaires”, avoue-t-il.
La même année, il est appelé par Mehdi Faria en sélection nationale, malgré la rude concurrence des Timoumi et autre Bouderbala. Le jeune joueur n’aura pas le temps d’y démontrer ses talents : une fracture l’empêchera d’être de la glorieuse épopée des Lions de l’Atlas à la Coupe du monde de 1986. Il s’en consolera un an plus tard, en remportant avec le Raja le titre de Champion du Maroc, le premier de l’histoire des Verts, avant d’enchaîner avec une première Coupe d’Afrique des clubs champions.
Apprécié en haut lieu
Au milieu des années 90, Jamal raccroche les crampons. Il ne quitte pas le football pour autant, puisqu’il rejoint le staff du Raja. Là, il gravit les échelons : d’abord éducateur à l’école du club, il est promu directeur technique en 1998, puis directeur sportif et responsable du centre de formation du Raja. Il y supervisera notamment les jeunes Amine Erbati, Marouane Zemmama, Hicham Aboucharouane et autre Soufiane Alloudi, autant de joueurs qu’on retrouvera en équipe nationale quelques années plus tard. “Jamal est un découvreur de talents hors pair. Il a un réseau impressionnant qui date de l’époque où il organisait des tournois. Il n’y a pas un seul joueur qu’il ne connaisse pas”, lance cet ancien collaborateur. Confirmation auprès du concerné : “Le week-end, je suis souvent en déplacement pour des repérages. Sinon, je suis devant la télé, à suivre les matchs de championnat. Autant dire que je travaille tout le temps, même chez moi”, poursuit ce père de deux enfants.
En 2000, Fethi Jamal s’envole avec les Rajaouis pour la Coupe du monde des clubs au Brésil. Une fois de plus, il est choisi par défaut, suite au désistement du coach Oscar Fullone. La prestation des Verts aidant, leur entraîneur suppléant tape dans l’œil des militaires, qui le nomment aussitôt au poste de directeur technique du club des FAR. Avec le club rbati, il remporte un titre de champion et une Coupe de la CAF, excusez du peu !
Tout se passe comme si Fethi Jamal savait être au bon endroit, au bon moment. La chance sourit aux audacieux, dit le proverbe, mais l’audace n’est pas forcément sa qualité première. “Jamal est un garçon qui passe bien, certainement parce qu’il sait faire le dos rond et attendre son heure. Il est plus effacé que certains, mais c’est davantage de la prudence qu’un trait de caractère”, dit de lui ce journaliste sportif. En tout cas, l’homme est visiblement apprécié en haut lieu, et prend rapidement du galon. La FRMF lui confie les destinées de la sélection nationale des moins de 20 ans, puis la sélection olympique, avant de le nommer directeur technique national. Il y a quelques mois, on le donnait partant, après l’élimination des Vert et Rouge des J.O. de Pékin. Mais depuis, Fethi Jamal a repris du poil de la bête, au point de devenir un sérieux prétendant au poste de sélectionneur. Mais pour l’heure, à en croire l’intéressé, rien ne presse : “De toute façon, je suis sûr d’être sélectionneur national un jour. Mon objectif est d’aller le plus loin en Coupe du monde et, pourquoi pas, la gagner un jour”. Ambitieux, mais également un peu rêveur, l’ami Jamal…
Nomination : Lemerre en pole position
Voilà plusieurs semaines que la Fédération royale marocaine de football entretient le suspense : qui sera le prochain sélectionneur de l’équipe nationale ? Pourtant, la vox populi, voire quelques sources officielles, donnaient l’ancien sélectionneur Baddou Zaki gagnant… avant que la FRMF ne se ravise et remette en question le choix, pourtant annoncé, d’un sélectionneur marocain. À en croire différentes sources, le Français Roger Lemerre, ancien coach des Bleus et de la sélection tunisienne, serait en tête de liste. Précision du côté de ce responsable de la Fédération : “Nous avons contacté plusieurs entraîneurs, mais pour l’instant, aucune décision n’a été prise. Cela dit, Lemerre a pour lui un CV impressionnant”. Mais depuis le 4-1 infligé par les Lions de l’Atlas à l’équipe nationale belge, voilà que le nom de Fethi Jamal revient dans la course. “Quelle que soit la configuration du staff, Fethi Jamal en fera partie”, nous assure le journaliste sportif Najib Salmi, qui poursuit : “L’équipe nationale n’a aucun match important dans les prochains mois. La Fédération aurait du coup tout à gagner en gardant Fethi Jamal, ce qui lui permettrait par ailleurs de réaliser des économies”. La FRMF s’accommoderait-elle donc, pour le moment, d’un sélectionneur “low cost” ?
Source : TelQuel - Youssef Ziraoui