Les étudiants marocains entre Coran et hip-hop

22 avril 2007 - 00h03 - Maroc - Ecrit par : L.A

Les islamistes tiennent le haut du pavé dans les facultés marocaines, sans pour autant convaincre une grande partie d’une jeunesse estudiantine attirée par la culture occidentale. Sur les pelouses des campus de Casablanca cohabitent, tant bien que mal, les adorateurs du cheikh Yassine et les fans de hip-hop.

Le drapeau irakien flotte dans les allées du campus de la faculté de droit et de sciences économiques et sociales de Casablanca. « Où est la justice ? Où est la liberté ? Où est la dignité ? », scandent les militants d’al Adl Wal Ihsane (Justice et spiritualité), la puissante organisation islamiste marocaine, tolérée à défaut d’être officiellement reconnue par le pouvoir. Une main sur le coeur, l’index tendu vers le ciel, ils psalmodient autour d’une fontaine. Leurs chants et leurs slogans couvrent la musique d’ascenseur diffusée par la sono de l’Union nationale des étudiants du Maroc (Unem), leur syndicat.

Réunie pour une semaine en forum national, la filiale estudiantine du mouvement du cheikh Abdeslam Yassine, 79 ans, affiche des portraits géants du vieillard à la barbe blanche. Le guide est une icône. En mauvaise santé, il n’apparaît plus en public et n’est plus en mesure de tenir un discours cohérent. Mais ses cadres sont plus que jamais sur le pont.

Le mouvement représente une force susceptible de mobiliser des dizaines de milliers de fondamentalistes dans les rues de la capitale économique du Maroc sur ordre du Cercle politique, son instance dirigeante. Bête noire de Mohammed VI, Adl Wal Ihsane refuse d’intégrer le jeu constitutionnel, et s’oppose à la monarchie. Son porte-parole, Nadia Yassine, la fille du cheikh, prône ouvertement l’instauration d’une République en rêvant, sans le dire, qu’elle soit islamique.

Abdelsallam, un étudiant en littérature française, sert d’interprète pour la visite des stands dressés par l’Unem. Issus de milieux populaires ou des classes moyennes, les islamistes sont, dans leur immense majorité, arabophones. « Ce qui marche, ce sont les bouquins religieux », précise d’emblée cet amateur de Balzac devant des piles de Coran de toutes dimensions et des fioles de musc, le « parfum qui vient du paradis ». Plus que Yassine, le Prophète est la vraie star du rassemblement. « Nous fournissons des réponses aux interrogations de la jeunesse sur leur propre existence et leur destin jusque après la mort. Nous voulons aussi plus de justice et un vrai changement. Nous sommes l’unique force d’opposition au Maroc », avance Mohammed Ben Mesaoud, le secrétaire général de l’Unem, pour expliquer le succès de son organisation.

À son apogée depuis l’invasion de l’Irak, l’antiaméricanisme lui sert de levier. Adl Wal Ihsane condamne la violence, mais n’est pas contre le djihad lorsqu’il s’agit de défendre une terre d’islam contre des infidèles. Tarek, un étudiant en études islamiques, ne comprend pas les kamikazes de Casablanca qui « se font exploser sur le goudron ». Ce jeune homme dégingandé, coiffé d’une casquette de base-ball, vit à Tétouan, une ville du nord servant de vivier aux réseaux djihadistes à destination de l’Irak. « Il est normal de combattre les Américains, mais pas de s’en prendre à des musulmans ou à des civils innocents », tranche-t-il. Il y aurait, selon lui, de bons et de mauvais kamikazes. Un point de vue ambigu, mais répandu dans le pays.

Tarek rêve de passer son doctorat de troisième cycle à Grenade ou à Madrid. Il voit son avenir en Europe. « Pour trouver du travail », dit-il, tout en sachant que sa formation ne conduit pas à un métier. Dans les montagnes de son rif natal, ses copains sortis de fac une licence en poche végètent dans l’informel. Ils revendent des babioles chinoises de contrebande en provenance de l’enclave espagnole de Sebta.

Le chômage, et les injustices qui l’accompagnent, est la première préoccupation des futurs diplômés. « Les employeurs nous disent que nous n’avons pas de compétence et, sans un piston, on reste sur le carreau », s’indigne Fatima, la tête recouverte d’un foulard. « Chez nous, il faut payer pour bosser. Si on est riche, on peut verser un bakchich à la secrétaire pour forcer les portes pour un entretien puis acheter le DRH », affirme-t-elle. Un peu plus loin, une jeune femme à la tête nue fume une cigarette sans s’attirer les foudres des défenseurs de l’ordre moral.

Les islamistes, qui ont pris le leadership politique estudiantin voici seize ans en chassant les gauchistes, n’ont plus les moyens, comme dans les années 1990, d’imposer leur ordre moral. Placés sous haute surveillance par les autorités, ils se présentent sous un jour courtois. « Al Adl Wal Ihsane est en perte de vitesse dans le milieu des universités depuis plusieurs années. Il régresse dans son berceau historique, mais tente de se redéployer ailleurs en investissant le tissu associatif », analyse le professeur Mohammed Darif. Le spécialiste de l’islam radical participe ce jour-là, en compagnie d’un ponte fondamentaliste, à une conférence sur les perspectives de changement au Maroc. Le débat, organisé par l’Unem, débute par la lecture de versets du Coran. L’amphithéâtre est plein comme un oeuf.

Les autres étudiants profitent de l’occasion pour réinvestir les pelouses proches de la buvette désertées par les activistes. Les foulards sont minoritaires. Les filles portent, comme à Paris, des pantalons moulants et les garçons, des baggys. Des couleurs remplacent la grisaille militante. Un couple flirte discrètement. Les discussions sont légères, l’air printanier. « Ils nous gonflent avec leurs histoires d’un autre âge. Je me fiche de cheikh Yassine, je préfère le hip-hop », déclare Ijoub.

Sur la réserve lorsque les partisans d’al Adl Wal Ihsane défilaient en rangs serrés, ses camarades se marrent. « On est musulman, mais la religion n’a rien à voir avec les études. Il faudrait leur dire qu’on n’est pas à la mosquée », glisse une jeune femme. Le groupe se lâche. Il ne veut pas d’une « république de barbus ». « Ils ne te harcèlent pas, mais ils te font comprendre qu’il ne peut y avoir deux points de vue sur le campus. Et comme tu as autre chose à faire que te prendre la tête avec eux, tu laisses tomber », note Ijoub. En se demandant, perplexe, « s’il ne faudrait pas faire quelque chose ».

Le Figaro - Thierry Oberlé

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