L’Office national marocain de tourisme (ONMT) nourrit de nouvelles ambitions pour le Maroc. Il compte profiter de l’intérêt du monde entier pour la destination – grâce aux exploits réalisés par les Lions de l’Atlas à la coupe du monde Qatar 2022...
Près de 5.000 étrangers résident à Marrakech, parmi un million d’autochtones. Entre fascination et rejet mutuel, au-delà des clichés de cartes postales, comment est perçue cette communauté étrangère ?
Marrrakech l’envoûtante, la mystérieuse, la magique. Son climat ensoleillé, ses superbes sommets enneigés, sa gigantesque palmeraie, son folklore typique, son artisanat coloré et ses sites historiques captivants attirent vers l’ancienne capitale de l’empire chérifien, à quelques heures d’avion seulement des grandes capitales européennes, un flux croissant d’étrangers en quête d’exotisme oriental. En 2006, un million et demi de touristes non-nationaux ont visité Marrakech, en faisant la première destination touristique du Royaume -avec un taux d’occupation de 68%- et la locomotive incontestée du secteur. Parmi ces touristes, certains, tombés sous le charme, décident chaque année d’y élire domicile, laissant loin derrière eux les froides rues d’Europe ou le gigantisme des métropoles américaines pour les chaudes ruelles des souks et la douce langeur des riads marrakchis.
Aujourd’hui, les étrangers ayant élu domicile à Marrakech sont estimés à près de 5.000 âmes. D’autres sources, non vérifiées, font état de 12.000 personnes étrangères résidentes et de 20.000 non-Marocains possédant un bien foncier ou immobilier dans la ville. Quoi qu’il en soit, les étrangers constituent une précieuse source de devises et de rayonnement à l’international pour le Maroc officiel. Ce dernier multiplie d’ailleurs les clins d’œil implicites en direction de cette communauté. Et plus celle-ci est argentée, mieux c’est. Le désormais célèbre Festival international du Film de Marrakech, organisé chaque année et présidé par SAR Moulay Rachid, est l’illustration parfaite de cette “opération séduction” du Royaume envers la jet-set internationale.
Aujourd’hui, “la belle du sud”, que certains médias qualifient de Deauville de l’Europe du 21ème siècle, peut s’enorgueillir de bercer les nuits de célébrités internationales du show-biz ou du monde politique. Même si tout le monde s’accorde à dire que les people ultra-nantis se retranchent dans leurs suites à la mythique Mamounia ou dans le confinement luxueux des riads secrets de la médina et que la probabilité de les croiser au Comptoir Darna, au Jad Mahal, au Pacha ou au Theatro (les lieux réputés les plus branchés de Marrakech) sont bien faibles. En comparaison avec d’autres rencontres, moins « glamour ».
Comme le dit l’adage, tout ce qui brille n’est pas or. Prix de la forte médiatisation, Marrakech la cosmopolite n’appâte pas en effet que le ghotta international. Et pour cause. En plus des atouts purement touristiques cités plus haut (géographie, climat, artisanat, histoire, etc), Marrakech demeure attractive pour les Occidentaux du fait de la valeur basse du dirham. Elle se caractérise aussi et surtout par une singulière permissivité. Le passeport « rouge » (européen) comme le surnomment les autochtones, en particulier, ouvre bien des portes dans cette ville qui a de plus en plus de mal à se défaire de son étiquette de “cité de tous les excès”.
On croise en fait dans la ville toutes sortes d’étrangers-résidents. De la mère au foyer française fraîchement reconvertie dans la décoration d’intérieur « rehaussée d’une touche authentiquement marocaine » au vieux couple d’artistes-peintres américains profondément amoureux du Maroc, en passant par le disc-jockey italien débutant, le tenancier ambitieux de maison d’hôtes espagnol ou le pépère retraité allemand, heureux de l’abattement fiscal de 80% offert aux étrangers sur les pensions rapatriées. Mais aussi pervers sexuels, vieux pédophiles, alcooliques ratés, vendeur de haschich à la sauvette ou de drogues dures à l’occasion. Un beau monde qui attire à lui prostitués enfants, gigolos adultes bas de gamme, péripatéticiennes de luxe et autres vendeurs de charme de tous bords. Toute une industrie de plaisirs interdits. Les faits divers abondent dans ce sens. Fin 2005, Hervé Le Gloannec, un pédophile notoire résidant à l’Hivernage, et son maquereau marocain, Mustapha Balsami, sont arrêtés. Hervé Le Gloannec a été surpris en flagrant délit en compagnie d’un garçonnet, dans son domicile, en train de visionner des films pornographiques. La police saisira par ailleurs plus de 100.000 documents à caractère pédophile, impliquant une cinquantaine d’enfants de la ville, dans le domicile de Balsami. Plus récemment, fin février 2007, un jeune Marocain dans la vingtaine a avoué le meurtre à coups de couteau de son amant homosexuel français de 80 ans qui l’entretenait depuis neuf années.
Quelques semaines plus tard, c’est au tour d’une trentenaire marocaine mariée à un étranger âgé d’être déférée devant la justice pour débauche et adultère, après que son conjoint, propriétaire d’une maison d’hôtes, ait découvert des enregistrements de ses ébats sexuels avec son jeune amant marocain. Les cassettes en question étaient destinées, selon toute vraisemblance, à la commercialisation sur le marché pornographique informel.
Il est vrai que, côté paradis terrestres, il y en a pour tous les goûts et toutes les bourses à Marrakech. Faut-il pour autant tomber dans un puritanisme ou un chauvinisme aveugle et hautain de “Marocain de souche” ? La tentation n’est-elle pas trop facile de trouver un bouc émissaire, toujours “l’autre”, à tous nos travers sociaux et crises identitaires ? Pour certains, l’amalgame entre nasrani (littéralement chrétien, terme usité pour désigner les Occidentaux), débauche voire croisade religieuse est vite fait.
Houda, une jeune voilée de 26 ans et sa famille, qui louaient un petit appartement dans un quartier populaire à proximité de Guéliz, ont quitté le centre-ville voilà 4 ans pour s’installer dans un quartier périphérique : « On ne reconnaissait plus notre derb natal. Ce n’était plus possible d’y vivre dans l’intimité et la discrétion. Ma mère, qui porte le neguab, ne supportait plus de croiser à chaque coin de rue une nénette en short ou en mini-jupe. Il ne faut pas s’étonner si un jour les églises et les synagogues remplacent les minarets de Marrakech ».
« Moi, ce qui m’énerve le plus, c’est l’arrogance et la suffisance de ces pseudo jet-setteurs occidentaux. Ils sont là, à se pavaner dans les clubs branchés et à toiser les “indigènes” de haut. Grâce à l’euro, n’importe quel érémiste français ou chômeur italien voire repris de justice peut venir travailler ici et se faire grassement rémunérer ou monter son affaire dans l’hôtellerie, la restauration ou l’évenementiel. Et ils réussissent bien généralement. Pas seulement par leurs compétences ! Et les filles tombent à leurs pieds ! Nous autres Marocains sommes apparemment fascinés par les Occidentaux. Partout, on pense qu’ils sont plus éduqués, plus civilisés, plus compétents, plus fiables que nous. A mes yeux, cet auto-dénigrement national, ce n’est rien d’autre qu’un complexe de colonisé », s’enflamme Mehdi, 23 ans, lauréat d’une école de commerce privée, en quête d’emploi.
Néo-colonialisme, retour fastueux de la “dhimitude” ou simple susceptibilité de co-voisinage ? A Marrakech, on parle même d’un petit bourg fleuri, rebaptisé La Nouvelle France dans lequel les Marocains, comme au temps des quartiers européens sous le Protectorat, n’auraient droit de cité qu’en tant que domestiques. Moqueurs, certains surnomment la ville “République de Marrakech”. Au cœur de la vieille médina, début du mois de mars 2007, les habitants d’un quartier se sont élevés contre l’interdiction qui leur a été faite par des gardes menaçants d’accéder à une ruelle, entièrement occupée par des étrangers après la vente à perte de leurs demeures traditionnelles par des familles marocaines parties s’installer en périphérie de la ville. Autre reproche adressé aux étrangers par les Marrakchis d’origine, « la hausse vertigineuse du coût de la vie à Marrakech ».
Exagération ? Si on se limite au seul secteur immobilier, les chiffres attestent effectivement d’une inquiétante inflation, en particulier dans les quartiers dits centraux, comme la médina, Guéliz, l’Hivernage ou dans la Palmeraie. Le prix d’un riad rénové varie de 2 jusqu’à 12 millions de dirhams. La location d’une villa peut aisément avoisiner les 60.000 dirhams par mois et un simple appartement revenir à 30.000 dirhams le mètre carré. Des tarifs inimaginables voilà une décennie à peine, même en comparaison à une métropole comme Casablanca.
Aujourd’hui, Marrakech compte parmi les villes les plus chères du Maroc et même du monde arabe. « Cela devient infernal. Les prix des légumes, de la viande, des vêtements, tout a flambé en quelques années. Les petits taxis préfèrent clairement transporter des étrangers ou refusent de faire fonctionner leur compteur. Il est impossible de se restaurer dans une table correcte pour moins de 200 dirhams par personne. Et le comble, c’est que la qualité ne suit pas toujours », témoigne Hamid, 55 ans, enseignant à la retraite et père de 4 enfants. Ba Hmed, 70 ans, tenancier d’un petit bazar à la mythique place de Jamaâ El Fna, balaie toutes les critiques d’un coup : « Tous ces gens qui maugréent sont des envieux, des mauvaises langues. Qu’on le veuille ou non, grâce aux étrangers, Marrakech revit. Nos commerces se portent mieux , les jeunes trouvent plus d’emploi et les autorités font tout pour rendre la ville plus sûre et plus propre. Je connais beaucoup d’étrangers installés ici, ils sont très respectueux et discrets. Ce n’est pas entièrement de leur faute toute cette débauche et cette arnaque. Et puis, je ne pense pas que sans eux, Marrakech irait mieux. Vous n’avez qu’à comparer avec des villes 100% marocaines, comme Safi, Oujda ou Khémisset. Alors ? ».
Dernièrement, fin décembre 2006, le Conseil communal de la ville a offert une réception grandiose en l’honneur des étrangers résidents à Marrakech. C’est dire si l’histoire d’amour entre la ville impériale et ses étrangers n’est pas près de s’achever.
Il faut dire que le Maroc de 2010 mise énormément sur Marrakech comme destination touristique phare. Le Maroc d’aujourd’hui, et de demain certainement, continuera à son tour à ériger Marrakech en emblème d’un Maroc ouvert, tolérant et pluriel. A l’aube d’un 3ème millénaire mondialisé, et à moins de fermer définitivement les remparts de la ville aux ressortissants étrangers, il faudra composer avec. Pour le meilleur comme pour le pire…
Maroc Hebdo - Mouna Izddine
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