Les émeutes de Sefrou montrent le désarroi du "Maroc inutile"

14 novembre 2007 - 00h10 - Maroc - Ecrit par : L.A

Sefrou, petite ville du Moyen Atlas (200 km à l’est de Rabat) a soudainement été bousculée, le 23 septembre, par des affrontements sans précédent entre quelque 2 500 habitants et les forces de l’ordre, faisant au total plus de 300 blessés, et une quarantaine de prisonniers. Les images prises ce jour-là montrent des voitures incendiées, des bâtiments publics saccagés, des cris de colère couverts par les hurlements de sirènes.

Tout avait pourtant commencé par un sit-in pacifique contre la cherté de la vie. Face à la colère populaire de Sefrou, le gouvernement marocain s’est d’ailleurs réuni en urgence pour annuler la hausse (de 30%) du prix du pain qui venait d’être décidée, au lendemain des élections législatives du 7 septembre et à la veille du mois de Ramadan.

La protestation enfle dans un pays qui revendique sa modernisation

En 1981 à Casablanca, puis à Marrakech et dans le Rif trois ans plus tard, c’est aussi le prix du pain qui avait fait descendre dans la rue des milliers de manifestants, parmi lesquels une sévère répression avait fait des centaines de morts.

On en est loin. Mais depuis près de trois ans, les cas de protestation populaire et de désobéissance civile se multiplient et se radicalisent dans le royaume. Des mouvements que le pouvoir au mieux ignore, au pire réprime violemment. Voilà qui fait tache sur l’image de bonne gouvernance, de modernité et de progrès social que le royaume s’efforce de mettre en avant.

Depuis peu, des habitants de Ben Smim, un village du Moyen Atlas, sont poursuivis pour avoir protesté contre la privatisation de la source d’eau locale. Auparavant, à Tamassint (près de Al Hoceima, dans le nord), une marche de protestation contre les conditions de vie après le tremblement de terre de février 2004 s’était heurtée à la matraque policière. Idem à Tata, où des étudiants se sont soulevés au nom de l’accès à la santé, ou encore à Mfassis, près de Khouribga, où quelques habitants qui dénonçaient l’expropriation des terres agricoles par le tout puissant Office chérifien des phosphates (OCP) ont été accusés d’"outrage aux forces publiques".

Des conflits nouveaux, bien loin des luttes syndicales traditionnelles

Ben Smim, Tata, Mfassis, Tamassint, Bouaârfa... Des bleds perdus dans le "Maroc inutile", sans tradition de lutte, "où un petit ‘cheikh’ ou un ‘moqqadem’ (représentants de l’autorité locale) peuvent calmer toute une ville ", témoigne Hicham Houdaïfa, auteur de nombreux reportages sur ces nouvelles luttes sociales pour Le Journal hebdomadaire.

"On y voit surgir des mouvements d’un genre nouveau, peu ou pas organisés, explique Khadija Ryadi, présidente de l’Association marocaine des droits de l’homme (AMDH), en première ligne pour relayer ces dissidences malmenées. Malgré nos 73 sections locales, on n’arrive pas à tout suivre".

Différents des confits syndicaux traditionnels -dont les plus importants sont aussi durement "cassés"-, ces nouveaux soulèvements populaires semblent revêtir une dimension davantage existentielle. Il y a bien sûr l’"aggravation de la misère, la mauvaise répartition des richesses, le fossé qui s’agrandit entre Maroc ’utile’ et Maroc ’inutile’. Il n’y a pas de vraies réformes, les gens ne sont pas dupes des effets d’annonce", estime Khadija Ryadi :

"Certaines régions ont connu plusieurs années successives de sécheresse et la caisse étatique de compensation ne marche presque plus, complète Hicham Houdaïfa. Dans le Rif et l’Oriental, des tribus rebelles ont aussi subi les punitions collectives de l’ancien régime."

"Ces soulèvements sont ceux de populations livrées à elles-mêmes face au Makhzen (le pouvoir marocain), témoigne Souad Guennoun, photographe et militante de Attac-Maroc. A Sefrou, ça a commencé à dégénérer quand une femme a été giflée par un flic".

Ce qui unit ces soulèvements isolés : "la ’hogra’, ce mélange d’injustice et de mépris qui pousse des gens à sortir leur carte d’identité et la piétiner", témoigne Hicham Houdaïfa. A Bouaârfa, dans l’Oriental, voilà deux ans que les habitants menacent les autorités d’exode collectif vers l’Algérie, provocation sensible s’il en est.

Des révoltes, mais pas de révolution : le roi reste intouchable

"On se mobilise plus dans certains coins reculés que dans les grandes villes, où "les gens sont pieds et poings liés par le coût de la vie, croulent sous les crédits, ont perdu la notion de bien commun, craignent en tout gardien d’immeuble un flic potentiel et ne peuvent payer les transports pour aller manifester", avance Souad Guennoun. Peut-on pour autant parler d’une prise de conscience politique des masses ? "Disons d’une petite marge de parole, et de l’importance de la lutte commune", estime Khadija Ryadi.

Mais ces révoltes contre le système ne s’accompagnent pas de revendications politiques d’envergure, encore moins de velléités révolutionnaires. Surtout, le roi est invariablement considéré comme intouchable, loin au-dessus de la mêlée discréditée des partis, ministres, autorités locales et forces de l’ordre.

"Il est très respecté, perçu comme le seul détenteur du pouvoir mais surtout le protecteur. C’est ‘Sidna’ (Notre Majesté, avec une connotation paternaliste), témoigne Hicham Houdaïfa. Dans chaque manifestation, les gens brandissent des portraits du roi".

Un gage sincère de loyauté, mais aussi un "talisman" contre la répression, "un bouclier qui les préserverait contre les gourdins", souligne le chroniqueur Khalid Jamaï dans Le Journal hebdomadaire (16 au 22 juin 2007).

Pourtant, les accusations de "lèse-majesté" servent souvent de prétexte à de lourdes peines : depuis la dispersion violente de manifestations de diplômés chômeurs le 1er mai, de nombreux "détenus d’opinion" purgent des peines allant jusqu’à quatre ans ferme pour "atteinte aux valeurs sacrées du Royaume".

Rue89 - Cerise Maréchaud

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