La semaine dernière, Fatima, 24 ans, la plus âgée des deux, a fini par craquer, mettant fin à près de deux ans de silence et de souffrances. Lorsque les policiers sont venus la délivrer dans un appartement du quartier de la Muette, elle venait d’être frappée et attachée dans la baignoire. Punie parce qu’elle avait essayé de s’enfuir quelques minutes auparavant. Dans le modeste F 4 du couple, les policiers ont également trouvé Magda, 16 ans, une autre jeune fille « engagée » l’été dernier au Maroc par Jamal, le père de famille, lui-même de nationalité marocaine et ancien chauffeur livreur au chômage. Après deux jours de garde à vue, Jamal a été mis en examen pour « séquestration, violences volontaires et soumission à des conditions de travail et d’hébergement contraires à la dignité humaine », puis remis en liberté sous contrôle judiciaire. Fatima et Magda ont été placées en foyer en région parisienne.
Sans aucun papier Le calvaire de Fatima débute au mois d’août 2001 au Maroc. Cousine de Rkia, la femme de Jamal, elle rêve de quitter son pays natal. Jamal lui propose alors un mariage avec son frère en France. Clandestinement, elle quitte le Maroc par bateau, entre en Espagne sous l’identité d’une des filles de Jamal qui l’accompagne et pénètre en France. Dès son arrivée à Garges, elle se rend compte que le mari promis a déjà une femme. Le piège vient de se refermer. Sans aucun papier et sous la pression psychologique constante du couple qui l’a amenée en France, Fatima devient alors une véritable esclave vouée aux tâches ménagères. Elle est même « prêtée » à une famille parisienne qui l’emploie comme femme de ménage. L’été dernier, Jamal et sa famille retournent au Maroc. Cette fois, c’est Magda, une jeune fille d’à peine 16 ans qu’ils arrivent à convaincre de quitter son village contre la promesse d’un titre de séjour et d’un travail en France. « On lui a même promis qu’elle pourrait envoyer de l’argent à sa famille restée au Maroc, rapporte une source proche du dossier, mais ils n’ont jamais reçu un centime. » Magda suivra la même route que celle de Fatima jusqu’à l’appartement de Garges. Jusqu’à la tentative de fuite désespérée de Fatima la semaine dernière, qui a profité d’un bref moment d’inattention de ses geôliers avant d’être rattrapée à un arrêt de bus, les deux jeunes filles dormaient sur un matelas dans le salon, soumises au même quotidien fait d’humiliation et de soumission. « N’ayant aucun papier, Fatima avait très peur de la police, lâche un enquêteur. Et surtout, elle ne voulait pas retourner au Maroc. »
Damien Delseny
Le Parisien , mercredi 23 avril 2003