Le gouvernement marocain s’apprête à modifier le Code de la famille ou Moudawana pour promouvoir une égalité entre l’homme et la femme et davantage garantir les droits des femmes et des enfants.
Le nouveau Code de la famille n’est pas venu à bout d’un phénomène, la polygamie, que l’on dit en baisse et que les chercheurs taxent de “curiosité sociologique”. Enquête. “Je les aime toutes les deux, mais je dois avouer que la deuxième est ma préférée. Elle est jeune, belle et prévenante”. Marié à deux femmes, Abou Hamza, un Casablancais de 45 ans, avoue ne pas pouvoir “taire ce que lui dicte son cœur”. Et il se défend de toute discrimination conjugale entre ses deux moitiés. Sa première épouse, 41 ans, rencontrée sur les bancs de l’université, est la mère de ses quatre enfants. La deuxième, qui affiche seulement 20 ans au compteur, a l’âge de l’une de ses filles.
“Je ne suis qu’un être humain, j’ai mes faiblesses. Quand j’ai rencontré ma deuxième femme, je l’ai tout de suite aimée. En l’épousant, je n’ai rien fait de contraire aux règles et aux usages liées à la Charia”. Abou Hamza fait partie de ces polygames qui résistent encore à l’évolution des mentalités, mais aussi aux différents obstacles dressés par le nouveau Code de la Famille. Une espèce en voie de disparition, capable d’entretenir et de subvenir aux besoins de deux, trois ou quatre ménages à la fois. Les histoires de ces hommes “rares” sont différentes, leur seul point commun repose sur une conception bien personnelle de l’amour conjugal, où l’exclusivité n’est pas une constante, du côté masculin bien sûr.
Un cœur pour deux femmes
À en croire les chercheurs, “la polygamie relève désormais de la curiosité sociologique”, comme l’affirme Mohamed Aboumalik, spécialiste de la sociologie de la famille et auteur d’une grande étude sur le mariage. Une curiosité ? Selon les derniers chiffres publiés par le ministère de la Justice, en 2006, plus de 4000 demandes de mariage polygamique sont parvenues devant les juges des tribunaux de la famille. Toutes n’ont pas été traitées, mais sur les 3339 dossiers “tranchés”, 1450 ont été acceptés, un peu moins que les 1889 refusés. Certes, en l’absence de statistiques sur plusieurs années, il est malaisé de se faire une idée précise sur l’évolution de la polygamie.
Mais d’après les responsables du ministère, la tendance au niveau des autorisations accordées par les juges est assurément à la baisse. “Les juges sont devenus plus sévères en matière de mariage polygamique. Ils ne l’autorisent plus qu’en certains cas, comme la stérilité avérée de la première épouse”, commente un cadre du ministère de la Justice. On en est toujours là. Si les polygames existent dans toutes les catégories sociales, beaucoup sont plutôt aisés, et souvent de fervents religieux. Après un premier mariage, dans lequel ils ne trouvent plus leur compte, ils convolent en secondes noces, sans pour autant se séparer de la première épouse. Celle-ci est souvent “gardée” parce qu’elle est “la mère des enfants”. Et quand les moyens du mari polygame le permettent, les deux ménages vivent dans des foyers distincts. Sinon, les deux “couples” sont contraints de cohabiter sous le même toit.
Les polygames, comme on nous l’a expliqué, n’hésitent pas à brandir la carte de “l’équité” (dans le traitement des épouses). Faut-il pour autant y croire ? “Non, l’équité n’est pas possible, pour la simple raison que l’homme polygame est en quête du meilleur, et aura tendance à le traiter en conséquence”, assène, catégorique, le sociologue Abdelkader Ziraoui.
En fait, quelles sont les raisons de la polygamie ? Pas de réponse type possible : problèmes d’ordre sexuel, incompatibilités, simple attrait de la “nouveauté”, stérilité féminine, etc. Mais comme on peut s’y attendre, les polygames sont unanimes sur un seul point : les problèmes de couple proviennent exclusivement de la femme, et la tentation polygame est moins une lubie ou un luxe que le résultat d’un “manque ressenti au sein de la vie conjugale”. Des arguments que Mohamed Aboumalik nuance. Selon lui, la polygamie est de moins en moins un choix délibéré, comme ce fut le cas par le passé, et davantage un acte presque forcé. “Nombre de polygames ont été piégés dans une relation extraconjugale, qui s’est prolongée dans le temps et a fini par être formalisée par un acte de mariage”, interprète-t-il. Le constat, bien ancré dans la nouvelle réalité marocaine, ne retrace cependant pas toute la complexité de la polygamie.
Le juge tout puissant
Contrairement à ce que beaucoup pensent, l’aval de la première épouse n’est pas obligatoire pour contracter un second mariage. “Le dernier mot revient toujours au juge. Seul lui peut autoriser ou refuser un mariage polygamique”, nous explique Mohamed Karrout, avocat à Casablanca. Selon la loi, la première femme a juste le droit d’être officiellement informée, sans plus. Et son refus n’empêche pas son époux de se remarier. En revanche, elle peut toujours demander le divorce si elle le souhaite.
“Les femmes se trouvent devant un dilemme : se soumettre au choix de leur mari, ou entamer une procédure du chiqaq (séparation) pour sauver leur honneur”, explique Fatiha Remmah, coordinatrice du centre Nejma, spécialisé dans l’écoute des femmes victimes de violence. En 2006, le centre a traité 11 cas de polygamie, contre une trentaine en 2004, année qui correspond à l’entrée en vigueur du Code la famille. “Ce qui pose réellement problème dans la procédure de polygamie, c’est le pouvoir discrétionnaire du juge”, relève Remmah. Souvent, leur background culturel n’est pas en adéquation avec la volonté progressiste voulue par la loi. Le centre Nejma relate par exemple le cas d’un homme marié à deux femmes et père de quatre enfants. Âgé et affaibli par la maladie, il projetait pourtant de prendre une troisième épouse. Son argument ? Il désirait avoir un nouvel enfant, le cinquième, mais ses deux femmes avaient dépassé l’âge de procréation. Comment cette histoire s’est-elle terminée ? Le mari a déposé une demande (de nouveau mariage polygamique) au tribunal… qui a rendu un jugement en sa faveur.
Code de la Famille : Les limites de la réforme
Malgré les nouveautés apportées par le nouveau Code de la famille, la polygamie reste entourée d’un flou juridique certain. Au point où l’on se demande : la polygamie est-elle (il)légale ? Nombreux sont en effet les cas de maris présentant de faux documents, pour pouvoir convoler en secondes noces dans le dos de leurs premières femmes. Fausses adresses, changement de domicile, certificats de divorce ou de décès d’une ancienne épouse… Tous les moyens sont bons pour obtenir la nécessaire autorisation du juge. “Le comble, c’est que même quand la fraude est établie, le tribunal pénal rechigne à poursuivre le mari, de peur de détruire des familles”, se désole Fatiha Remmah, du centre Nejma. Finalement, le critère le plus efficace pour dissuader, pour le moment, les aspirants polygames, reste l’examen de leur situation financière.
En effet, le juge peut refuser un second mariage s’il estime que le futur époux est dans l’incapacité de subvenir aux besoins d’un second (trois-ième ou quatrième) ménage. Mais si le prétendant arrive, malgré tout, à justifier d’un compte bancaire ou de garanties conséquentes, rien ne l’empêche de se remarier. De quoi remettre en question l’image “révolutionnaire” du nouveau Code de la Famille. Hélas !
TelQuel - Nadia Lamlili
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