Avec une récession de 2,2% en 2008, l’Espagne figure parmi les pays les plus touchés par la crise financière internationale. L’effondrement de trois secteurs clefs de l’économie à savoir le bâtiment, le tourisme et l’automobile a plongé l’un des pays les plus dynamiques de l’Union Européenne durant ces trente dernières années dans un profond marasme. Une conjoncture extrêmement délicate qui affecte directement la communauté marocaine établie dans ce pays.
La communauté musulmane en Espagne, majoritairement constituée de Marocains, est touchée à 31% par le chômage, un chiffre pour le moins préoccupant, qui bouleverse bien des habitudes de notre communauté. Si la “prime de retour” instituée par le gouvernement espagnol pour encourager les étrangers à rebrousser chemin a produit un impact assez limité, difficile de ne pas envisager une tendance à la hausse alors que les prévisions tablent sur un bilan 2009 des plus médiocres.
Étranglée par la crise, l’Espagne avait décidé il y a quelques mois de stimuler le retour des ressortissants étrangers par le biais d’une contrepartie financière allant de 5000 à 7000 euros (55.000 à 77.000 dirhams environ). En contrepartie, elle avait promis à ceux qui accepteraient cette offre d’avoir un traitement de faveur une fois que la situation amorcera un retour à la normale. Mais il a été clairement indiqué aussi qu’il faudrait attendre au bas mot trois ans avant d’en reparler.
L’appât de la prime du retour nous rappelle une mesure similaire prise par le gouvernement français au milieu des années 1970. A l’époque, on avait exhorté le surplus d’immigrants dont la France ne voulait plus à accepter 10.000 francs et à quitter l’Hexagone sans tarder. Ce qui avait donné lieu à la formule qu’on impute à l’ancien leader de SOS Racisme, Harlem Désir : « Prends 10.000 balles et casse-toi ». Le bilan de cette opération a été finalement raté sur toute la ligne faute d’alternatives dignes de ce nom pour les rapatriés.
Impasse
La communauté marocaine en Espagne se trouve donc prise entre le marteau et l’enclume. Rester en Espagne même sans emploi, mais en profitant du généreux système de protection sociale local en matière de soins de santé, d’éducation et d’allocations de chômage. Ou rentrer au pays avec cette petite somme d’argent à peine suffisante en temps normal pour s’offrir une traversée du Détroit à bord d’une patéra, avec de vagues promesses de travail dans les champs d’Andalousie.
Il faut dire que la perspective de rentrer définitivement au pays séduit de plus en plus de Marocains, y inclus ceux qui se trouvent en situation légale.
Mohammed, originaire de Ksar el Kébir et établi à Marbella, résume la situation : « Je réside en Espagne depuis quinze ans et si on m’avait dit un jour que mon pays d’accueil allait être secoué par une telle crise, je ne l’aurais pas cru. Je me suis rendu à Tanger pour régler des documents administratifs. Pour un tel déplacement, je prenais la voiture sans tenir compte des dépenses et je réglais mes courses à l’aise tout en m’offrant quelques caprices à chaque fois que je rentrais au pays. Or, comme je travaille dans l’hôtellerie de luxe, notre groupe nous a fait savoir que nous ne sommes pas à l’abri d’un vaste plan de compression du personnel. Nous sommes tous en train d’assurer nos arrières au cas où, car vous devez savoir que la saison estivale 2009 s’annonce catastrophique puisqu’en février, les réservations ont presque chuté de moitié ».
Pour notre communauté établie légalement en Espagne, l’heure n’est franchement pas à la joie. Tout particulièrement pour ceux qui ne possèdent pas la nationalité du pays voisin.
Saïd, marchand ambulant, laisse éclater sa rage : « Hormis les soins de santé et les quelques miettes du chômage, je n’ai pas l’impression de vivre dans un pays de l’Union Européenne. Je compte huit ans de séjour dans ce pays et je n’ai toujours pas la nationalité. Si je l’avais, je crois que je serais rentré. Le chiffre d’affaires a terriblement baissé et dans ces conditions, mieux vaut tenter sa chance au Maroc dans un quelconque commerce ».
C’est l’état d’esprit général qui règne parmi la communauté marocaine établie en Espagne, plus particulièrement parmi ceux qui travaillent dans le bâtiment et le tourisme, considérés presque comme des secteurs sinistrés. Et comme les indicateurs sont au rouge au titre de l’année 2009 et même pour l’année prochaine, l’idée du retour fait son chemin et se trouve à peine freinée par le risque que suppose refaire sa vie au Maroc après avoir perdu tout contact avec le monde professionnel. Cela n’empêche toutefois pas bon nombre de MRE d’Espagne de passer leurs journées à envoyer des CV à droite et à gauche, priant fortement pour que dame chance leur sourit au pays de leurs ancêtres.
Source : Maroc Hebdo - Ismaïl Harakat