L’espace associatif regroupant un collectif d’ONG marocaines parmi les plus actives, en partenariat avec le réseau international Social Watch, vient de rendre public, le vendredi 4 janvier, le rapport national sur la protection sociale au Maroc. Un ouvrage bien documenté, massivement chiffré et rigoureusement écrit par un des économistes les plus en vue dans le pays, en l’occurrence le professeur Larbi Jaïdi. Le président de la Fondation Abderrahim Bouabid pour les Sciences et la Culture n’ira pas par quatre chemins pour diagnostiquer le « mal social » qui ronge le pays en dépit de toutes les réformes et de toutes les avancées enregistrées dans la mise en œuvre des politiques publiques et des programmes sociaux dans les différentes régions du territoire.
En effet, l’universitaire n’a pas pris de gants pour souligner que « la pauvreté urbaine se renforce et que le phénomène galopant de la féminisation de la pauvreté est un aspect préoccupant de la vulnérabilité sociale ». Le journaliste chroniqueur constatera aussi que « le bilan est extrêmement faible dans la mise en œuvre des mesures visant à lutter contre le chômage, surtout des diplômés, et la précarité du travail ». Sans oublier l’aspect du déséquilibre patent sanctionnant une dépense publique de plus en plus importante pour l’amélioration des prestations sociales, confrontée à une mauvaise utilisation des ressources dérivant sur le champ du gaspillage. En effet, il est effarant d’entendre dire que « le paysage social marocain, déjà naturellement brouillé, devient encore plus opaque par la multiplication de procédures et une plus grande dispersion des acteurs ».
Tout comme l’universitaire n’a pas manqué d’épingler la faiblesse des engagements institutionnels et la défaillante implication du tissu associatif dans le plaidoyer et le partenariat au service du développement social du pays. A commencer par ce rapport national dont il avait la charge rédactionnelle et autour duquel la participation des acteurs associatifs fut plutôt déplorée.
Les statistiques ne laissent aucun soupçon au doute pour se rendre compte que si la sécurité sociale institutionnalisée, initiée avec le protectorat et qui s’est étoffée depuis après l’indépendance, a fait l’objet d’un renforcement des ressources et des capacités, force est de constater que le Royaume demeure encore largement l’otage de…l’insécurité sociale.
Le gouffre énorme de l’insécurité sociale
Deux indicateurs sociaux défavorables montrent le gouffre énorme qui reste à combler. Primo, 75% de la population active des 10 millions de salariés et travailleurs marocains sont marginalisés des systèmes de retraite et 85% de nos femmes et hommes, toutes populations confondues, restent exclus du champ de la couverture sociale, notamment médicale puisque l’AMO assurera, à terme, des prestations à 30% seulement de nos citoyens. Ce qui revient à dire que le RAMED aura d’importants effectifs à secourir, encore faudra-t-il qu’il sorte des tiroirs des ministères. Ou bien, sommes-nous en droit d’espérer que l’expérience pilote qui devrait être tentée incessamment dans la région de Tadla-Azilal, sera couronnée de réussite pour être rapidement dupliquée dans les autres espaces géographiques déficitaires en matière de couverture aux besoins de santé.
L’inéquité dénoncée par l’orateur prend pour cible, également, une pluralité de régimes de retraites souffrant de niveaux de prestations très inégales et de l’absence d’une loi cadre harmonisant les droits et les obligations des affiliés, des bénéficiaires et des prestataires. En outre, le niveau des pensions, dans leur grande majorité, est très faible pour végéter en-deçà du niveau du SMIG. L’étude révèle que près de 15% des retraités perçoivent une pension de 500 DH, 12,3% ont une pension comprise entre 1500 et 2000 DH. Au total, 73% des retraités perçoivent une pension inférieure au SMIG. Un constat dramatique après un système de sécurité sociale cinquantenaire inapte à affranchir le pays de la menace réelle et extensive de l’insécurité sociale.
Sans oublier que Jaïdi s’est étonné des « mécanismes de redistribution qui fonctionnent à l’envers » en illustrant son propos par l’exemple de la CDG (à travers ses filiales ad hoc comme le RCAR) qui affectent l’excédent de leur caisse de retraite aux projets immobiliers en boudant les engagements de solidarité sociale. Les autres carences énumérées par Jaïdi intéressent le domaine de la santé affectée par la persistance de la mortalité infantilo-juvénile, l’évolution inquiétante de la morbidité et de la perte des années de vie, la prévalence du Sida, l’injustice dans l’offre et l’accès aux soins, ainsi que l’insuffisante maîtrise des mécanismes de financement des soins mobilisant 5% du budget général de l’Etat. Larbi Jaïdi a fortement préconisé que « la viabilité à long terme du système de sécurité sociale doit tenir compte de l’évolution et de la composition de la population protégée, de la nature des risques assurés et du degré de solidarité que le régime se propose d’atteindre ».
Serait-ce suffisant au moment où l’on apprend que même l’INDH est loin de faire l’unanimité, sans échapper aux critiques de notre professeur, même s’il marque la précaution de rappeler qu’il est encore trop tôt pour mesurer l’ampleur de l’impact du chantier de Règne : « La réussite du processus ne se mesure pas qu’à l’égrenage d’une liste de projets.
L’initiative a provoqué une recomposition institutionnelle des acteurs et rend nécessaire une réflexion en continu sur son organisation et son mode de fonctionnement. Le management du processus est en décalage sur sa philosophie. Autrement dit, des dysfonctionnements apparaissent dans la mise en œuvre du programme : lenteurs dans la mise en œuvre des projets identifiés, saupoudrage des projets, logique de la dépense qui prend le pas sur la logique des résultats, perturbations institutionnelles dans la mesure où les Comités de développement humain tendent à se substituer aux Conseils élus dans la décision. Tout cela au détriment des règles de la bonne gouvernance locale ».
Gazette du Maroc - Benhamed Mohammadi