Au Maroc, des ingénieurs et autres consultants en informatique ont trouvé la formule pour échapper au fisc. Ils proposent de manière informelle leurs services aux grandes entreprises qui les paient via des intermédiaires.
La contrebande, surtout quand elle est de luxe, est un monde à part entière. Pour comprendre cette pratique illégale, nous avons suivi le trajectoire d’un revendeur de vêtements et de chaussures haut de gamme...Nous sommes quelque part à l’Océan, un des quartiers en réelle mutation à Rabat.
Ici on rencontre toute sorte d’activités et la société y est représentée dans sa plus grande diversité. Du plus riche au plus pauvre, du mendiant au SDF, de l’intellectuel au rîpou, ici grouille ce conglomérat d’un Maroc qui bouge. Dans un immeuble, Appartement 7, qui ne paie pas de mine, vit HB, un commerçant de luxe. Dans cette résidence à l’aspect banal, se vendent toutes sortes d’articles venus de l’étranger. Il s’agit des plus grandes enseignes connues dans l’habillement, le cosmétique ou encore le cuir. Après une brève présentation, notre guide avance sans gêne : "ce sont des bons clients, sans histoire. Tu vas faire de très bonnes affaires avec ces deux gars (mon compagnon et moi)." Après une courte réflexion, notre commerçant reprend ses esprits et détend l’atmosphère avant de nous exposer ses marchandises. Discret et réactif, HB est très fin dans sa conversation. "Si vous vous montrez comme des gens sérieux, je vous ferais les meilleurs affaires de la place. Mes articles proviennent de France, d’Italie, d’Espagne mais rarement d’Angleterre ou d’Allemagne encore moins de la Chine", nous dit-il.
Le décor étant donc planté, nous n’avions plus que l’embarras du choix dans cet amas de produits d’autant plus que la qualité y est pour des prix modiques par rapport aux magasins que l’on trouve à Agdal ou sur l’Avenue Mohammed V à Rabat. Un complet Vengil ou Hugo Boss sont cédés entre 1 400 et 1 500 dhs alors que les mêmes articles se vendent entre 3 500 à 4 500 dhs. La différence est effarante. "C’est normal qu’il y ait une telle différence entre les prix que nous pratiquons et ceux des contrebandiers. Car ils ne paient ni impôts ni frais de transport. Ils n’ont pas non plus un magasin à entretenir ni un personnel à gérer. Je pense que l’État doit éradiquer ce fléau pour assainir le marché", explique Khalil, gérant d’un des plus grands centres d’affaires. "L’année dernière, notre chiffre d’affaires a beaucoup chuté. Il a fallu de peu pour que nous ne déclarions pas la faillite", martèle un autre commerçant, brandissant sa patente et les paperasses se rapportant aux impôts. Une inquiétude partagée par Jalil, expert en embauche. Selon ce dernier, chaque emploi dans la contrebande cause la perte ou la non-création de 10 emplois légaux, voir plus.
Mais pour HB, ce métier est une question de survie. "Beaucoup de gens parlent de contrebande sans prendre en considération les conditions de vie des autres Marocains qui n’ont ni diplôme, ni emploi et qui sont livrés à eux mêmes. Moi, je préfère de loin faire ce commerce au lieu de voler ou d’agresser les gens. Ce que je gagne dans ce métier me permet de subvenir aux besoins de ma famille" fait remarquer notre interlocuteur. Chose qui se comprend aisément puisqu’il a 7 frères dont 6 sont au chômage sans compter ses trois enfants à lui-même.
Une question de survie
Le hic était maintenant de savoir comment HB opère pour faire rentrer ses marchandises au Maroc. "Non, ne me posez pas ce genre de question car vous n’aurez aucune réponse", dit-il. La qualité des articles montre tout naturellement qu’ils proviennent de l’extérieur et la seule voie idoine est bien entendu les présides de Sebta et de Melillia. Au fil de la journée, et confidence pour confidence, notre interlocuteur finit par nous expliquer le mécanisme. "C’est un métier très dangereux et très risqué. Il y a aussi trop de bakchichs. C’est pour cela que je ne vais plus à la frontière. J’ai des compatriotes installés en France et en Espagne. Ce sont eux qui m’amènent les articles jusqu’à Tanger et moi je m’occupe de leur acheminement à l’intérieur du pays. C’est légal et moins coûteux." Résultat : la plupart des clients de HB sont des diplomates. Quelles recettes peut-il faire par jour ou par mois, HB n’en dira pas plus.
Cependant, “ses grosses ventes sont au mois de décembre. Des gains qui peuvent atteindre les 50 ou 60 000 dhs”, explique cet Ambassadeur, un de ses fidèles clients. À l’opposé, à Agdal, une dame s’est tissée une toile d’araignée (relations) afin d’assurer un commerce pérenne à domicile. KD ne vend pas dans la rue et ne fait pas le porte-à-porte contrairement à HB qui s’est d’ailleurs acheté une voiture pour ses déplacements de Chancellerie en Chancellerie. Chez KD, ce sont les clientes qui commandent. Souvent, dit-elle, mon approvisionnement se fait en fonction de la taille de mon agenda. Elle ajoute, en outre, qu’elle ne peut importer que si le paiement est fait d’avance ou sur la base des chèques certifiés par la banque. Il semble même que des clientes fassent des blocus sur un article déterminé. C’est-à-dire des exclusivités. En la matière, les clientes ne manquent pas. "Je vais chez KD parce qu’il y a de la qualité mais aussi de la confiance. J’achète tout ce que je veux sans être inquiétée du remboursement", confie cette Ambassadrice dans l’anonymat. "C’est elle qui m’habille. Elle connaît mes préférences", renchérit une autre cliente, Directrice d’une entreprise de gestion.
Cependant, pour beaucoup d’analystes, ce genre de commerce peut servir à un réseau de prostitution de luxe où les grandes dames viennent se faire "décontracter" que de choisir des habits. Un fait qui reste à vérifier. Enfin, on ne peut terminer cette enquête sans souligner que les réseaux de contrebande sont bien structurés à travers tout le Maroc. Selon une étude, publiée dernièrement, ces réseaux ont réussi à tisser une toile complexe en ciblant les plus grandes agglomérations.
Casablanca, avec ses 6 millions d’habitants environ, est une cible du premier choix et la contrebande y a pris des proportions alarmantes, même s’il s’agit des marchandises venant d’Asie. Des quartiers entiers comme Derb Soltan et Derb Chamel s’approvisionnent directement à Sebta via Fnidaq. Les consommateurs ont l’embarras du choix dans les rues ou dans les souks ou ils peuvent acquérir des yaourts espagnols de marque PMI, le flan, les jus, la mortadelle ou des pommades de rhumatisme fabriquées à Barcelone… et pour l’électronique et l’électroménager il y a l’éternel et l’incontournable Derb Ghallaf…Comme quoi, le commerce de luxe gagne du terrain au détriment du budget de l’État quand on sait que près de 80 000 et 120 000 contrebandiers (dernier chiffre publié par la Direction des fraudes de la Wilaya du Nord), se rendent quotidiennement à Sebta et à Mlilya pour approvisionner le marché marocain.
Une perte en recettes et en emplois
Le commerce de luxe n’est plus le seul apanage des grandes marques ou des opérateurs économiques au portefeuille dense et multiple. Il s’agit désormais d’une activité lucrative qui est envahie par des contrebandiers avertis et versés dans le goût du luxe au grand bonheur des petites Bourses. Et l’affaire est tellement ficelée qu’aucun contrôle inopiné n’est possible. Résultat, la contrebande est estimé quelque 15 milliards de Dh de chiffres d’affaires par an et 450 000 emplois perdus, sinon plus, pour le pays, fait-on remarquer à la Direction de l’Administration des Douanes et des Impôts Indirects. "La contrebande est un phénomène qui s’est développée au Maroc pour contourner les droits de douanes et permettre l’accès aux produits non légalement importés. Elle se concentre surtout au Nord du pays via Sebta et Melilla. Bien que la contrebande soit un problème universel, elle est aggravée au Maroc par les disparités économiques entre le nord et le sud, le chômage et les distances relativement courtes entre les points d’entrée et le reste du pays", fait remarquer ce sociologue.
Qu’en est-il des cigarettes ?
Selon cette enquête, il y a quelques années, près de 8 % des 10 millions de fumeurs marocains adultes s’approvisionnent sur le marché parallèle. Le coût de cette contrebande massive a été évalué à 70 millions d’euros pour la Régie des tabacs (encore non privatisée), dont 57 millions d’euros pour le Trésor public marocain. À l’époque, l’incinération publique de quelque 113.000 paquets de contrebande avait provoqué la manique chez trafiquants de tout poil. Ainsi, les services douaniers, assistés de la police et de la gendarmerie, ont même saisi près de 700.000 paquets importés illégalement par bateaux ou par des caravanes de contrebandiers qui traversent le Sahara à dos de chameaux avant de pénétrer sur le territoire marocain avec de puissants 4X4. Dans certaines villes portuaires comme Tanger, Casablanca, ou Laâyoune (1.250 km au sud de Rabat, en face des îles espagnoles des Canaries), les vendeurs à la sauvette proposent des cigarettes de contrebande sur la voie publique à des tarifs 30% moins élevés que ceux des 20.000 points de vente officiels. Alors qu’un paquet de cigarettes américaines était vendu à 28 dirhams (2,8 euros), l’ancienne Régie des Tabacs, avait réalisé un chiffre d’affaires de 888 millions d’euros. Si la question semble ancienne, elle reste, cependant d’actualité car les réseaux se sont beaucoup perfectionnés en vue de contourner tous les contrôles douaniers.
La Nouvelle Tribune - M.S.
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