La réforme des retraites donne du fil à retordre à l’Exécutif marocain. De leur côté, les syndicats s’inquiètent de sa mise œuvre dans un contexte économique marqué par l’inflation, exprimant des craintes quant à l’avenir des retraités.
Un retour en arrière par rapport à la mouture discutée avec les professionnels. Moins de peines de prison, mais des restrictions jugées inquiétantes par la profession. Des sanctions financières trop sévères en cas de diffamation.
Le nouveau Code de la presse sera-t-il voté avant les prochaines législatives ? Mardi 20 mars, une commission gouvernementale regroupant les ministres de la communication, de l’intérieur et de la justice, ainsi que les membres du gouvernement représentant les cinq partis de la majorité, Abbas El Fassi (Istiqlal), Mohamed El Yazghi (USFP), Mohand Laenser (MP), Mustapha Mansouri (RNI) et Nabil Benabdallah (PPS), se réunissait pour discuter du projet de loi.
La même semaine, après les professionnels et le CCDH, c’était au tour de la société civile - OMDH, AMDH, Amnesty international Maroc, etc. - d’exprimer son point de vue sur le texte, en présence des représentants du ministère de la communication.
Il faut dire que le futur code devrait entraîner des changements profonds dans la vie de la presse écrite. Parmi eux, la mise en place, par le ministère de la justice, de Chambres spécialisées à travers le territoire national, une amélioration du statut des journalistes professionnels, la reconnaissance du droit à l’accès à l’information et l’obligation pour toute administration, établissement public ou collectivité locale de désigner un interlocuteur pour la presse, une mesure incorporée dans le code, parallèlement à une plus grande protection de la vie privée.
Toutefois, l’un des changements les plus importants se situe au niveau des peines privatives de liberté : « Si l’on compare le projet de loi au texte actuel, l’on se rend compte que de 24 peines privatives de liberté, nous sommes descendus à 6 », explique Karim Taj, conseiller au ministère de la communication. Le système mis en place propose une série de sanctions financières en alternative aux peines de prison. « Dans le cas de l’affaire Nichane, par exemple [NDLR : dont deux journalistes ont été condamnés suite à la publication de blagues portant sur le sexe, la religion et la monarchie], le juge n’avait pas le choix. Il s’était fondé sur l’article 41 qui précise que la peine est la prison pendant trois à cinq ans », ajoute M. Taj. La nouvelle formule devrait également permettre au juge de « prendre en considération les circonstances atténuantes, chose qui n’est pas possible dans la législation actuelle », explique-t-il.
Par ailleurs, la mise en place du Conseil national de la presse prévue par le code devrait réduire le nombre de recours à la justice dans les affaires de presse voire permettre leur résolution à l’amiable. En effet, l’institution devrait se charger en partie du travail de sanction jusque-là assuré par la justice, via un arsenal de mesures comprenant le retrait total ou temporaire de la carte de presse. Composé de 15 personnes, dont 5 éditeurs et 5 journalistes issus des syndicats les plus représentatifs - en l’occurrence la FMEJ (Fédération marocaine des éditeurs de journaux) et le SNPM (Syndicat national de la presse marocaine), ainsi que de 5 représentants de la société civile, le conseil devrait voir ses membres nommés « sur proposition de l’autorité gouvernementale compétente et des organisations professionnelles, soit la FMEJ et le syndicat, qui, avec le ministère, vont se mettre d’accord sur une liste de 10 noms. Quant aux 5 représentants de la société civile, ils seront nommés par Sa Majesté », ajoute M. Taj. « Le président du conseil, lui, sera élu parmi les 15 ». La nouvelle instance devrait également se charger de missions assez diverses, allant de l’élaboration d’une charte éthique à l’attribution des cartes professionnelles en passant par leur retrait provisoire (jusqu’à cinq ans), voire définitif.
Révolutionnaire le projet ? le doute est permis
Révolutionnaire, le nouveau code ? Le texte, qui répond à des besoins exprimés maintes fois depuis la promulgation du dernier code de la presse en 2003, devait faire partie de la dernière salve de lois votées par le Parlement avant les législatives. Toutefois, rien ne garantit que la fin du parcours se fera sans turbulences ni même que le code sera adopté avant les élections. Dans un document de la FMEJ, daté du 13 mars dernier, deux jours avant le conseil du gouvernement, les éditeurs de journaux ont exprimé leurs craintes face à un texte considéré comme plus sévère que prévu et, surtout, en retrait par rapport aux propositions initialement faites par le ministre de la communication. Jeudi 15 mars, d’ailleurs, le gouvernement avait décidé de poursuivre les concertations avant de soumettre le projet au circuit d’approbation.
Une série de peines privatives de liberté ajoutée
Du côté du SNPM, le son de cloche est similaire à celui des éditeurs : Younès Moujahid confie qu’une « série de peines privatives de liberté a été ajoutée par rapport à la mouture initiale et la décision de saisie du journal est restée entre les mains du ministère de l’intérieur, autant de choses que nous avons toujours refusées. Le texte sur lequel nous nous étions mis d’accord est passé à la trappe ». « Le ministère de la communication n’est pas seul, il représente tout un gouvernement, dont certaines composantes - la justice, l’intérieur, etc. - ont des exigences de sécurité », explique de son côté Abdelmounaïm Dilami, président de la FMEJ.
Et d’ajouter : « Nous étions en train de négocier un code extrêmement libéral avec la création d’une autorité spécifique pour la profession, qui est le Conseil supérieur de la presse, et avec, notamment, la volonté de supprimer complètement les peines privatives de liberté. Le projet qui a abouti en fin de cursus est un projet de loi dont les peines privatives de liberté sont très nettement diminuées, mais n’ont pas disparu complètement. Donc, c’est évident, en tant que profession, nous ne pouvions que demander qu’elles disparaissent. Maintenant, tout dépend si on considère que le verre est à moitié vide ou à moitié plein. Avant, c’était pire ».
De son côté, Nourredine Miftah, secrétaire général de la FMEJ, reconnaît qu’il existe bien des points positifs dans le nouveau code, mais n’hésite pas à pointer les problèmes du doigt. « Nous refusons ce choix entre l’amende et la prison : sommes-nous des assassins ? des voleurs ? », proteste-t-il et de souligner qu’en matière de diffamation l’article 68 du projet de code est aussi flou que son équivalent actuel, l’article 41. « Cet article 41 nous a posé beaucoup de problèmes : toutes les fois qu’un journal a été poursuivi en vertu de ce dernier, l’affaire est devenue politique : il n’est ni dans l’intérêt du Maroc ni dans celui de l’Etat ni dans celui du métier, alors autant ajouter des précisions en parlant par exemple de “diffamation” envers la personne de SM le Roi, en termes plus clairs que “l’atteinte au respect dû au Roi” », insiste-t-il.
Autre problème : l’article 108, qui prévoit la saisie d’un journal sur décision du ministre de l’intérieur dans des cas particulièrement graves. Certes, selon le nouveau code, la décision peut être contestée auprès du tribunal administratif dans les 24 heures, explique-t-on au ministère de la communication où l’on précise qu’en cas d’annulation par le tribunal, l’intéressé peut même réclamer une indemnisation. Toutefois, cette fenêtre ne semble pas rassurer les professionnels. C’est que les raisons sont ailleurs : « Nous sommes contre l’idée que l’administration arrête un journal. Si ce dernier dérape et porte atteinte à l’ordre public, la décision devrait relever d’un juge et non pas de l’administration », explique M. Miftah. « Un ministre de l’intérieur, précise-t-il, peut être un technocrate aujourd’hui, et demain partisan. Dans ce cas, si mon journal s’attaque à lui, il peut le saisir sous le prétexte qu’il porte atteinte à l’ordre public. »
Autre souci : les sanctions à l’encontre des journaux en cas de diffamation, considérées comme trop sévères. L’on retrouvera, parmi ces dernières, le retrait de la carte professionnelle par le conseil national de la presse, ce que refusent les professionnels. « Nous ne voulons pas d’interdiction. L’interdiction d’exercer provient du code pénal, mais elle n’a jamais été appliquée aux journalistes. On peut interdire à quelqu’un d’exercer parce qu’il a empoisonné des gens, mais pour la presse, nous sommes contre cela », explique M. Miftah.
Au-delà de ces sanctions, la diffamation peut également avoir un impact financier important pour les journaux. « Selon l’article 104 du projet de code, si vous êtes jugé à deux reprises pour diffamation, la même année, la sanction double, qu’il s’agisse de l’amende ou de la prison, et le juge a le droit de vous interdire définitivement l’exercice de la profession », explique M. Dilami. Une situation jugée inacceptable par M. Miftah. Enfin, autre souci financier, encore plus important. « Parmi les attributs du Conseil national, on retrouve l’interdiction de publier des publicités », s’inquiète M. Miftah.
On le voit, entre le bénéfice politique d’une loi votée avant les élections et la recherche d’un code qui permette au journaliste d’exercer son métier dans des conditions acceptables, sans être au-dessus de la loi, le débat devrait encore se poursuivre.
Administration : Applicable, le droit à l’info ?
Le nouveau Code de la presse facilitera-t-il aux journalistes l’accès à l’information ? Dans l’argumentaire du projet de loi, il est précisé que ce dernier leur garantit « le droit d’accès à des documents et des informations des administrations et institutions publiques », tout refus devant être motivé par écrit sous peine de constituer un excès de pouvoir.
Par ailleurs, il est également question d’obliger toute administration, établissement public ou collectivité locale, à désigner un interlocuteur pour la presse. La loi aura-t-elle les moyens d’être appliquée ? Quelles seront les sanctions encourues par les organismes qui refuseront d’y obéir ? Les administrations concernées ont déjà opéré les classifications nécessaires pour départager les informations communicables au public de celles qui ne le sont pas. Tout cela demandera visiblement du temps...
La vie éco - Houda Filali-Ansary
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