Le Conseil National de la Presse (CNP) a fermement condamné ce qu’il qualifie d’« acte criminel odieux » du journal français Charlie Hebdo, l’accusant de s’attaquer directement au Roi Mohammed VI.
Sale temps pour la presse. Le nouveau Code, discuté au gouvernement, n’abolit pas toutes les peines privatives de liberté. Pis, le législateur a revu à la hausse les amendes propres à certains délits. Ce projet divise l’équipe gouvernementale qui s’active pour le présenter au prochain Conseil des ministres. Le projet de réforme du Code de la presse et de l’édition continue de faire jaser le microcosme politico-médiatique. A la lecture de ce texte, présenté la semaine dernière au Conseil de gouvernement, force est de constater que l’Etat ne compte pas baisser la garde vis-à-vis des publications indépendantes.
Si plusieurs peines privatives de la liberté ont été supprimées, d’autres restent toujours de mise. Le législateur a même revu à la hausse le montant des amendes liées à certains délits de presse. En d’autres termes, les journalistes professionnels risquent toujours la prison et passeront à la moulinette lorsque l’appareil judiciaire -soumis aux ordres- considèrera qu’ils sont en porte-à-faux avec la législation.
En témoigne l’article 68 consacré au traitement de l’institution monarchique. Que dit cet article ? « Est puni d’une peine d’un an à cinq ans d’emprisonnement et d’une amende de 100 000 dirhams à un 1 million de dirhams ou de l’une de ces deux peines seulement, quiconque, par l’un des moyens prévus à l’article 65 porte atteinte au respect dû au Roi ou aux membres de la famille royale chérifienne. La même peine est applicable lorsqu’une publication périodique met en cause le régime monarchique, la religion islamique ou l’intégrité territoriale du royaume ». Le contenu de cette disposition soulève des interrogations légitimes et suscite de vives inquiétudes. Quels sont les critères sur lesquels va se baser la justice pour juger qu’un article porte atteinte et remet en cause le régime monarchique, la religion islamique ou l’intégrité territoriale du royaume ? Cette question ne trouve pas de réponse dans ce texte. Compte tenu du flou qui entoure cet article, tous les abus sont possibles et les exemples en la matière font légion pour ne citer que l’affaire récente de l’hebdomadaire arabophone Nichane. Et pourtant, l’article en question ne dérange en rien la Fédération marocaine des éditeurs de journaux présidée par Abdelmounaïm Dilami.
Irrespect ou diffamation, le flou persiste
Le directeur de publication de L’Economiste a même reconnu sur les colonnes de son quotidien que la Fédération avait convenu avec le ministère de la Communication que les peines de prison concernant « les affaires de diffamation à l’égard de Sa Majesté le Roi ou de la famille royale soient maintenues puisqu’elles sont dans le Code pénal ». Mais le code n’aborde pas cet aspect en termes de diffamation. C’est la notion, encore une fois floue, du respect dû au souverain dont il est question.
C’est également le cas en ce qui concerne la mise en cause du régime monarchique et de l’intégrité territoriale, qui ne fait d’ailleurs l’objet d’aucun commentaire de la part du porte-parole de la FMEJ. Une attitude prévisible, d’autant que la charte déontologique adoptée récemment par les membres de la Fédération, consacre clairement ce « sacro-saint principe ». Pour bon nombre de professionnels de la presse, l’article 67 n’est pas le seul à poser problème. C’est le cas aussi de l’article 72 portant sur la « diffamation » envers les organes judiciaires notamment les tribunaux et les administrations publiques. En cas de diffamation, la peine d’emprisonnement prévue peut aller jusqu’à six mois. Quant à l’amende, elle se situe entre 100000 et 300000 dirhams.
Il semble que cette mesure ait été introduite par le département de la Justice qui a pesé de tout son poids dans les tractations avec le ministère de la Communication. Ainsi, la presse se voit privée, au nom de la diffamation, de remettre en question, sur la base d’investigations, les jugements des organes judiciaires et les actions menées par les institutions administratives. Et ce n’est certainement pas avec la création de chambres spécialisées dans les affaires de presse au niveau des tribunaux –une requête du Syndicat de la presse marocaine et de la FMEJ- que les choses peuvent s’améliorer. Sachant que cette disposition a été introduite par le département de Mohamed Bouzoubaâ, certains professionnels doutent de l’indépendance desdites chambres. Là encore, la Fédération adopte la politique de l’autruche. A ce propos, il y a lieu de relever qu’aucune réaction de la part de la FMEJ n’a été enregistrée.
L’article 114 fait également l’objet de critiques virulentes dans la profession. La Fédération des éditeurs a pris les devants en demandant de le supprimer du code. Taxé comme étant un article dangereux, celui-ci prévoit l’interdiction d’exercer pour les journalistes qui sont condamnés deux fois par an pour diffamation. Ce que suggère la FMEJ, c’est de laisser le soin au Conseil national de la presse, dont la création est prévue dans le code, de prendre en charge cette question. Comment ? La Fédération ne livre pas de détails à ce propos.
Et l’accès à l’information ?
D’autres articles sont sujets à diverses interprétations, comme celui lié aux « garanties » de l’accès à l’information. Le texte oblige les organismes publics, notamment les collectivités locales, à nommer des responsables pour répondre aux sollicitations de la presse et autorise l’accès aux documents des administrations. Tout refus doit être motivé par écrit sous peine de constituer un excès de pouvoir, lit-on dans le code.
Connaissant bien la manière avec laquelle certaines institutions traitent la presse, il n’est pas sûr qu’une telle mesure soit applicable. Preuve en est que des organismes déjà dotés de services de communication ne disposent pas d’une large marge de manœuvre pour satisfaire les différentes sollicitations. Souvent, les journalistes ont droit à des réponses du type : « C’est confidentiel, laissez- moi votre portable… je vous rappelle dans les plus brefs délais ou encore Mon supérieur hiérarchique ne souhaite pas s’exprimer sur les colonnes de votre publication ». Et la liste des réponses toutes prêtes est longue. L’« Off » constitue donc le seul moyen pour avoir accès à des informations de première main. Et quand les administrations prennent l’initiative de communiquer sur des dossiers chauds, les risques de manipulation ne sont pas exclus. On se demande alors quel recours donne cette future loi aux journalistes pour prouver l’excès de pouvoir de la part des organismes publics ? Là encore, c’est le flou total. La Fédération des éditeurs opte pour la politique de fuite en avant. Son président estime que la problématique de l’accès à l’information n’est pas uniquement d’ordre juridique. Et d’ajouter que cette question nécessite un long débat.
La FMEJ et le SNPM sur la même longueur d’onde
Une telle attitude, et bien d’autres, concernant le bien-fondé de certains articles du Code font réfléchir sur les véritables motivations ayant poussé la FMEJ, partie prenante dans ce dossier, à la conclusion suivante : le projet dans sa formule actuelle est loin de répondre aux attentes et aux ambitions de la profession et de la société marocaine. Idem pour le Syndicat national de la presse marocaine (SNPM) qui préfère adopter un profil bas en attendant que le texte soit finalisé et que le gouvernement dise son dernier mot. Son secrétaire général, Younès Moujahid, admet toutefois que le Code souffre d’incohérences. Si d’un côté il y a une réelle volonté d’élargir le champ de la liberté de la presse, de l’autre, il existe un véritable problème en ce qui concerne les affaires touchant notamment l’intégrité territoriale. A ce niveau, la gêne de l’Etat est réelle, relève-t-on dans ses propos. Younès Moujahid estime que sur certains aspects, le projet de code de la presse gagnerait à être moins flou. Et d’insister sur le fait que le temps est venu de limiter au maximum les peines privatives de liberté. Que fait alors le syndicat pour limiter la casse ?
Le secrétaire général du SNPM avance que des efforts de lobbying sont menés au niveau des partis politiques et que Mohamed Elyazghi, premier secrétaire de l’USFP, aurait appuyé les doléances du syndicat auprès du gouvernement. Il saisit aussi l’occasion pour jeter des fleurs à Nabil Benabdallah, ministre de la Communication qui, selon Younès Moujahid, serait prêt à accepter toutes les propositions visant l’amélioration du texte. Encore faut-il que ce dernier dispose du poids nécessaire pour honorer cet engagement. En attendant, ce projet divise l’équipe de Jettou. Une commission intergouvernementale (Intérieur, Justice et Communication) a été créée pour le réétudier. La première réunion de cette commission s’est tenue mardi dernier sans aboutir à des résultats concrets. Le gouvernement cherche à rallier les positions pour le faire passer au prochain Conseil des ministres. Vu comment les choses se présentent, il ne faut pas s’attendre à une révision positive des articles les plus critiqués du Code de la presse.
Le Journal Hebdo - Mohamed Douyeb
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