Le Parti de la justice et du développement (PJD) a demandé le retrait des manuels scolaires dont les couvertures sont aux couleurs du drapeau LGBT.
Depuis le lâche assassinat du réalisateur hollandais Théo Van Gogh par un fanatique d’origine, malheureusement, marocaine, les créateurs maroco-hollandais ont paradoxalement gagné en visibilité sur la scène de leur pays d’accueil.
Ils sont romanciers, hommes de théâtre, chanteurs, artistes peintres et autres animateurs culturels, ils font partie désormais des créateurs qui comptent dans ce pays au même titre que les « Blancs » pour utiliser le terme consacré sur place pour désigner les néerlandais de souche, ceux d’origine étrangère étant affublé du label « noir » quelle que soit la couleur de leur peau.
Au même titre que les « Blancs » ? La question mérite d’être examinée effectivement. Il fallait tout juste quelqu’un pour s’atteler à la tâche. C’est fait. Dominique Caubet s’en est effectivement chargé. Non sans bonheur. Le résultat, un livre édité chez Tarik-Edition sous un titre qui n’évoque rien pour le lecteur marocain peut-être, mais beaucoup pour le Néerlandais, blanc ou noir. « Chouf chouf Hollanda ! » ,en effet, renvoie à « Chouf chouf Habibi », un film initié par Mimoun Oaïssa, qui y joue en même temps le rôle d’acteur principal, et réalisé par un metteur en scène hollandais, qui, paraît-il, fait « fureur » en Hollande.
Pour cause. La montée du danger islamiste qui s’est soldée par le meurtre et la violence, a eu pour effet entre autres, de susciter la curiosité des Hollandais -les « Blancs » donc- pour la communauté d’origine marocaine qui vivait parmi eux depuis des lustres, qu’ils croisent dans la rue, avec laquelle ils travaillent, partagent la même langue, le même territoire, les mêmes quartiers sans jamais connaître vraiment. « Chouf chouf Habibi » était tombé à point nommé justement.
Il donnait à voir cette communauté, dans son univers, dans ses contradictions, souvent avec humour, avec ironie parfois. Ce qui ne manqua pas de provoquer une polémique, comme toujours en pareil cas où une catégorie sociale déterminée dans un pays, jusque-là recouverte sous un lourd manteau d’anonymat, se retrouve subitement sous les lumières de la rampe.
C’est cette ambiance-là que Dominique Caubet a voulu nous faire partager à travers son livre. Elle est tout indiquée pour ce faire. Directrice du Centre de recherches et d’études sur l’arabe maghrébin et professeur de la même langue, elle a déjà à son crédit de nombreux ouvrages à ce sujet en rapport avec les populations d’origines maghrébines et vivant en France. Des ouvrages de grammaire, une première, mais également des essais tels « Comment les langues se mélangent », « Codification des langues de France » et « Les Mots du bled », paru chez l’Harmattan en 2004. C’est le plus connu au Maroc.
Quel intérêt présente « Chouf chouf Hollanda » pour le lecteur marocain pour qui la Hollande est un pays complètement étranger ? D’abord à compléter sa connaissance sur l’immigration marocaine à l’étranger que nous confondons à tort, à celle installée en France. Or, elle existe partout en Europe et en Hollande notamment, où, semble-t-il, elle représente la plus forte communauté musulmane (1,9% de la population totale) après les Turcs (2,2%). Un peu moins nombreux que les Turcs mais, d’après Caubet, plus visible sur la scène culturelle.
Ce qui est une raison supplémentaire, la plus importante en tout cas pour susciter l’intérêt de Dominique Caubet, et le nôtre aussi.
Le livre est conçu sous forme d’une série d’entretiens que l’auteur a eue avec des créateurs d’origine marocaine au cours de plusieurs séjours qu’elle a effectués en Hollande entre 2003 et 2004, et dont elle retrace le cheminement depuis leur installation, tout jeunes, avec leurs familles, dans ce pays, leur parcours scolaire, leur rapport au reste de la population, hollandaise en l’occurrence, mais surtout leur imaginaire en tant que créateurs et leur ascension rapide dans les domaines littéraire et artistique différents.
Dix créateurs en tout, dont le point commun, en plus de l’origine marocaine, c’est d’être tous nés, sauf un, entre 70 et 81, être issus de familles rifaines dont les chefs avaient immigré en Hollande dans les années 60 avant que le reste des familles ne les rejoignent plus tard.
Comment ces jeunes ont-ils pu connaître le succès qui est le leur au point de s’imposer sur la scène culturelle hollandaise et au-delà, sur la scène européenne ? Comment perçoivent-ils leurs créations et comment sont-ils perçus par les « Blancs » ? De quelles sources leur imaginaire se nourri-t-il ? Comment définissent-ils leur identité ? Ce sont ces questions et bien d’autres qui intéressent l’auteur en tant que linguiste et spécialiste du mélange des langues et des cultures.
Au-delà de ces questions d’ordre socio-psychologique, très révélatrices, par ailleurs, de la complexité des rapports de ces populations avec la dualité de leur appartenance -tous trouvent des difficultés à se définir comme Marocain ou comme Hollandais- le grand mérite de ce livre est de susciter notre curiosité à nous ici au Maroc, pour un art et une littérature de qualité, dont les auteurs sont en partie des compatriotes, mais surtout qui nous interpelle par la force de son écriture, sa créativité mais aussi par l’image du pays d’origine qui s’en dégage.
On ne manquera pas non plus, à la lecture de ce livre, en suivant pas à pas le parcours de chacun des 10 créateurs qui en forment les protagonistes, d’être interpellé par une question lancinante : pourquoi ces jeunes gens ont-ils pu réussir, grâce à la formation qu’ils ont reçue sur place, dans un pays où ils sont arrivés par hasard, où tout leur était complètement étranger, à commencer par la langue, alors que d’autres de mêmes conditions sociales n’ont pas pu le faire dans leur propre pays, le Maroc, malgré la formation dont ils ont bénéficié ?
Abdelaziz Mouride - Le Matin
Les images d’illustration proviennent du filmShouf Shouf habibi
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