Après avoir changé sa position sur la question du Sahara, la France a adopté la carte complète du Maroc et de ses provinces du Sud. C’est du moins ce que semble montrer la télévision française.
Le président français, M. Jacques Chirac, qui entreprend à partir de jeudi une visite d’Etat de trois jours au Maroc, a accordé à l’Agence Maghreb Arabe Presse (MAP) une interview exclusive, dont voici le texte intégral :
Monsieur le Président, c’est votre première visite d’Etat au Maroc depuis l’avènement de SM le Roi Mohammed VI, quels sont les objectifs de votre visite dans le cadre des relations d’exception qui lient nos deux pays ?
La relation entre le Maroc et la France est en effet exceptionnelle, par sa qualité et par sa densité. C’est une relation ancienne, qui plonge ses racines dans notre passé commun, qui s’est renforcée au fil des ans grâce aux liens de toute nature tissés entre nos deux pays et nos deux sociétés, jusqu’à se transformer en véritable partenariat. C’est une relation fondée sur le respect mutuel, l’amitié et la solidarité. C’est dire que tout ce qui concerne le Maroc nous concerne aussi.
Votre pays a toujours su préserver cet équilibre fragile, mais nécessaire, entre respect de ses traditions, de ses valeurs, et ouverture au monde. Il représente de ce point de vue, dans le monde actuel, un exemple précieux. Confronté à des défis pressants, à des menaces aussi, comme viennent de le rappeler cruellement les terribles attentats de Casablanca, il se donne les moyens d’y répondre en mettant en oeuvre, avec courage et détermination, sous la conduite de Sa Majesté Mohammed VI, un processus de modernisation économique et d’approfondissement de la vie démocratique.
Il est donc naturel que la France soit à ses côtés, le soutienne et l’encourage à poursuivre dans la voie qu’il a choisie. Ma visite sera l’occasion d’exprimer la confiance que la France place dans le Maroc, de lui témoigner sa solidarité active et fraternelle et sa volonté de renforcer le partenariat stratégique qui l’unit à lui.
Quel regard portez-vous, Monsieur le Président, sur le processus de démocratisation engagé au Maroc sous l’impulsion de Sa Majesté le Roi Mohammed VI ?
Le Maroc a fait le choix audacieux de la modernité et de la démocratisation. L’expérience marocaine constitue, dans le monde actuel, l’exemple rare d’un pays qui a fait le choix de l’ouverture au monde dans le respect de son identité profonde. La voie choisie par Sa Majesté Le Roi Mohammed VI est celle de la sagesse. C’est celle qui permettra de promouvoir le développement économique et le progrès social auquel aspirent les Marocains.
Après les élections législatives de septembre 2002, les élections communales du 12 septembre dernier ont illustré l’enracinement du processus démocratique. La France se réjouit de voir le Royaume emprunter la voie de la liberté, de la responsabilité et de la consolidation de l’Etat de droit.
Mais nous savons aussi que pour consolider la démocratie, il faut en même temps mener le combat contre la pauvreté et l’analphabétisme. C’est un travail de longue haleine, auquel le gouvernement marocain s’est attelé résolument et que la France soutient bien entendu pleinement, en apportant au Maroc une aide concrète dans les domaines économique et social. La Vème rencontre franco-marocaine des Chefs de gouvernement, en juillet dernier, a adopté un programme de travail à cet effet, et la France a décidé à cette occasion de doubler les engagements de l’Agence Française pour le Développement en faveur du Maroc, qui sont passés de 150 à 300 millions d’euros pour la période 2004-2006.
Après les attentats terroristes du 16 mai dernier à Casablanca, quel type de coopération peut apporter la France au Maroc dans le domaine de la lutte contre le terrorisme ?
Je voudrais d’abord rappeler l’émotion et le sentiment de solidarité que ces terribles événements ont suscité en France. Tous les Français en ont été choqués et meurtris et ont partagé la douleur des victimes et de leurs familles, quelle que soit leur nationalité. La France a immédiatement réagi en condamnant ces attentats odieux et en dépêchant sur place des experts de police scientifique et technique afin d’aider les autorités marocaines dans leur enquête.
Au-delà, nous entendons bien entendu poursuivre le renforcement de notre coopération bilatérale en matière de lutte contre le terrorisme. Le combat contre le terrorisme est l’affaire de tous et son succès suppose une ample mobilisation internationale, à laquelle le Maroc et la France contribuent activement.
A propos du Sahara, quelle est votre vision du règlement de la question ? Que pensez-vous du plan Baker ?
La France souhaite ardemment une solution à ce conflit, qui constitue un frein à la construction d’un Maghreb uni. Nous plaidons en faveur d’une solution politique, réaliste et durable, agréée entre les parties, solution qui prenne pleinement en compte les intérêts du Maroc et la stabilité régionale. Il est important que les discussions se poursuivent dans la perspective fixée par la résolution 1495 du Conseil de sécurité. Mais il va de soi que le Conseil de sécurité ne peut imposer de solution dans ce conflit : c’est aux parties de trouver la voie d’un règlement, et il revient à la communauté internationale de les encourager en ce sens.
Par ailleurs, la France poursuit ses efforts pour obtenir la libération totale des prisonniers de guerre marocains encore détenus par le Front Polisario, libération qui constitue une obligation du point de vue du droit international humanitaire.
Vous avez toujours plaidé pour un grand Maghreb uni et pour la relance de l’intégration maghrébine. Comment à votre avis y parvenir ?
Il faut renforcer le dialogue entre pays maghrébins et créer un nouveau climat de confiance. La France, qui a le privilège d’entretenir d’excellentes relations tant avec le Maroc qu’avec l’Algérie et la Tunisie, encourage ses amis à bâtir un avenir commun à travers la construction maghrébine. Le dialogue 5+5, enceinte informelle de dialogue entre le nord et le sud de la Méditerranée occidentale, peut y contribuer. Je souhaite que le Sommet des Chefs d’Etat et de gouvernement du dialogue 5+5, prévu à Tunis en décembre, et auquel je participerai, permette de progresser dans cette voie.
Que peuvent faire la France et le Maroc pour renforcer le partenariat Euromed ? Comment la France entend-elle soutenir la demande marocaine de statut avancé avec l’Union européenne ?
Le Maroc et la France doivent être, à mes yeux, les moteurs de la construction de l’espace euro-méditerranéen. L’amitié profonde et sincère entre nos deux pays est précieuse, car elle apporte un démenti quotidien à l’idée d’un quelconque "choc des civilisations". La France est particulièrement active dans le processus Euromed, où elle milite en faveur de coopérations plus étroites entre l’Union européenne et le Maghreb et soutient la demande du Maroc d’obtenir un "statut avancé" qui confirmera sa relation privilégiée avec l’Europe. Ce "statut avancé" devra s’inscrire dans la voie tracée par la Commission européenne dans sa communication récente sur les "nouveaux voisins".
A propos de la crise iraqienne, comment voyez-vous l’avenir de l’Iraq ? A la lumière des discussions qui ont eu lieu à l’Assemblée générale des Nations-Unies, comment concevez-vous aujourd’hui le transfert de la souveraineté à un gouvernement iraqien et l’implication de la communauté internationale ?
Comme je l’ai dit à l’occasion de la 58ème session de l’Assemblée Générale des Nations-Unies, nous pensons qu’il est difficile pour le peuple iraqien d’accepter une situation qui reste une situation d’occupation.
Toute notre réflexion vise, de façon constructive, à tenter de trouver la meilleure voie pour parvenir à un Iraq stable et démocratique. Cela passe, selon nous, par un transfert très rapide de souveraineté aux Iraqiens eux-mêmes, qui doivent être et se sentir responsables de leur destin. Bien évidemment, il faut aussi tenir compte des réalités. Cela veut dire qu’une fois le principe énoncé -transfert de souveraineté-, les responsabilités effectives pourraient être transférées progressivement, en prenant le temps nécessaire. Mais, l’essentiel est qu’un mouvement soit engagé qui définisse une perspective politique claire, seule capable, à nos yeux, de permettre de sortir de la crise actuelle.
Les Nations-Unies doivent jouer un rôle moteur dans ce processus de transition politique et accompagner les Iraqiens dans la rédaction d’une constitution et la préparation d’élections.
Dans ce contexte, est-ce que la France et les Etats-Unis ont rapproché leurs points de vue ?
La France et les Etats-Unis poursuivent un même objectif : la paix et la stabilité dans un Iraq souverain, démocratique et engagé sur la voie du progrès. La France entend jouer un rôle constructif dans les discussions en cours sur le projet de résolution américain sur l’Iraq aux Nations-Unies. Mais, pour réussir, assurer la stabilité de l’Iraq et créer les conditions de sa reconstruction, il faut d’abord prendre en compte ce fait : les Iraqiens veulent et doivent être maîtres de leur destin.
S.M. le Roi est Président du Comité Al Qods, comment voyez-vous la contribution du Maroc pour favoriser une reprise du processus de paix entre Palestiniens et Israéliens et mettre fin à l’escalade de la violence au Proche-Orient ?
Les derniers développements sont particulièrement préoccupants et montrent à quel point il est urgent d’agir.
Les parties doivent impérativement faire preuve de retenue et d’esprit de responsabilité, pour ne pas ajouter à l’instabilité et à la tension. La lutte contre le terrorisme doit être implacable, mais elle doit s’exercer dans le respect du droit international, en particulier le respect de la souveraineté des pays.
Au delà, seule une communauté internationale collectivement mobilisée peut permettre de sortir de la spirale de la violence et aider les parties à sortir de l’impasse. La solution, nous la connaissons tous : deux Etats vivant côte à côte dans la paix et la sécurité et la fin de l’occupation commencée en 1967. Il faut maintenant la mettre en oeuvre. La feuille de route du Quartet doit être appliquée sans délai, par les deux parties, de bonne foi et dans toutes ses modalités.
Le Maroc, en raison de son histoire et de ses valeurs, a un rôle important à jouer au Proche-Orient. Il peut utilement aider les parties à se rapprocher.
Hasna Daoudi
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