La fièvre du boursicotage au Maroc

10 novembre 2007 - 01h39 - Economie - Ecrit par : L.A

La fièvre du boursicotage s’empare de tout le monde. Réservée aux débuts des années 90 à quelques initiés, la pratique séduit de plus en plus. Déboires pour les uns, gloire pour les autres.

M2M, Addoha, Maroc Telecom, CGI… Un portefeuille actions bien garni pour… une apprentie boursicoteuse. Lamia H., jeune femme au foyer, il y a quelques années, ne savait même pas ce que le mot Bourse signifiait. Aujourd’hui, elle parle de fluctuation du marché, de trend baissier ou haussier… « C’est mon amie qui m’a initiée à la Bourse. Elle m’a même convaincue d’y placer un pécule qui dormait sur un compte épargne et me rapportait trois fois rien », se souvient-elle. C’est à cette même amie plus avertie qu’elle confie la gestion de son portefeuille d’actions. « Dès la première opération, c’était le jackpot », s’extasie la jeune boursicoteuse. Sa mise de départ, quelque 40.000 DH, lui a permis d’encaisser, au bout de quelques mois, un gain dont elle dit n’avoir jamais rêvé : 15.000 DH.

Comme elle, ce jeune commerçant casablancais, Hassan Labraq, 37 ans, est aux anges. Il donne lui aussi l’impression d’être tombé sur un filon d’or. Entre Maroc Telecom, Addoha et les autres introductions, la Bourse lui a fait gagner quelques milliers de dirhams. Même si, déplore-t-il, un léger recul affecte, depuis peu, les plus-values engrangées. « Cela fait presque 6 mois que je n’ai plus rien encaissé ». Il n’empêche, le souvenir des premières opérations le conforte dans son nouveau mode d’investissement. « La première opération m’a permis de réaliser au bout de 8 mois une plus-value de 20.000 DH. Ce qu’aucun compte épargne ne m’aurait permis de réaliser », argue-t-il. D’ailleurs, Hassan Labraq a réussi à convaincre son père et son frère de casser aussi leurs tirelires et de rejoindre leur équipe de boursicoteurs. Une équipe qui se fait conseiller par la même personne, un cousin, N. C. Jeune cadre supérieur,
N. C. joue aux apprentis traders. Boursicoteur de longue date, il dit avoir fait lui-même son propre apprentissage. Certes, à ses débuts, il a fait appel à des experts en la matière, mais depuis quelque temps, il vole de ses propres ailes. Mieux, on vient même désormais le consulter pour des opérations de Bourse ponctuelles.

C’est le cas de Hassan Labraq qui lui doit son initiation à la Bourse. « C’est grâce à mon cousin N. C. que j’ai découvert le boursicotage, ce moyen d’investissement facile et sûr. C’est lui mon initiateur et mon conseiller, c’est aussi lui qui gère mon portefeuille », confie Labraq. Un portefeuille dont il n’est pas peu fier avec des titres comme Fenie Brossette, CIH, Mattel, Itissalat et CGI.

Conseillé par son cousin, Labraq se fixe un objectif de gains et une limite de pertes avant d’investir dans une action. Et en règle quasi générale, comme beaucoup de boursicoteurs, il achète pour revendre quelques cotations plus tard. Même si des petits porteurs ont appris à modérer leur ardeur. Ils ne sont plus les premiers à se retirer. Certains se positionnent désormais en tant qu’acheteurs, misant sur une progression beaucoup plus importante de la valeur, explique un trader. Mais cette tendance n’en est encore qu’à l’état de frémissement. La plupart des boursicoteurs s’inscrivent plutôt dans le court terme. C’est la tendance dominante. Selon des traders, dans leur démarche, l’attitude des boursicoteurs s’apparente, en effet, encore plus à de la spéculation. Ce sont des court-termistes. Selon Fahd El Kadioui, trader senior à Safabourse, les spéculateurs sont très actifs sur le marché de l’action. En revanche, les long-termistes se font encore rares.

Les boursicoteurs misent essentiellement sur les introductions en Bourse. Une approche qui s’est avérée fructueuse, reconnaissent des boursicoteurs. Le risque est minime : « nous misons sur des sociétés connues avec un fort potentiel de développement et l’on vend rapidement », explique N. C. Pour lui, « c’est quasi mécanique : pour toute introduction, le cours augmente remarquablement dès les premières séances », explique-t-il. La Bourse comme tout marché est régi par la loi de l’offre et la demande.

Pour des valeurs sûres, la demande est toujours forte. Dès les premières surenchères, les petits porteurs succombant à la tentation de matérialiser leurs bénéfices vendent rapidement. Sauf que le gain n’est pas toujours au rendez-vous. De petits porteurs en ont fait l’apprentissage à leurs dépens. « Nous n’avons pas souvent une bonne visibilité sur les tendances du marché et les meilleures opportunités », déplore A. F., autre petit porteur et avocat de son état. Beaucoup de boursicoteurs, ajoute-t-il, sont obligés de se prendre en main et de faire leur propre apprentissage à leur risque et péril.

C’est aussi l’avis de ce boursicoteur de longue date, M. N., qui a laissé des plumes sur le chemin de l’apprentissage. Un héritage reçu en 1992 lui a permis de se procurer un paquet de 200 actions Wafabank à l’époque et de faire par la même occasion son baptême de la cote. « Au début, les sociétés de Bourse sont aux petits soins, ils vous font miroiter la lune. Mais après, il faut courir pour avoir la moindre information », fustige le vieux boursicoteur qui dit avoir changé à quatre reprises de société de Bourse à la recherche d’un conseil meilleur.

Pourtant, ce directeur d’un établissement public, bardé de diplômés, se targue d’une bonne formation financière et n’est pas complètement étranger au monde des chiffres. « Ce qui nous manque, nous autres boursicoteurs, c’est cette information fine qui vous permet de prendre la bonne décision au bon moment », déplore M. N. Dans la Bourse, ajoute-t-il, « l’information est périssable, ce qui est vrai maintenant, ne l’est plus l’instant d’après. C’est justement là où l’importance du conseil se fait ressentir ». Pour lui, et après 15 ans de boursicotage, la Bourse s’apparente toujours à une partie de poker où la part du risque l’emporte sur la certitude. « Après 15 ans de boursicotage, j’ai toujours du mal à m’y retrouver. Résultat : plus de 500.000 DH partis en fumée en l’espace de 5 ans, entre 1998 et 2003, faute de conseil avisé. « Je regrette de ne les pas avoir placé dans l’immobilier. Cela m’aurait rapporté 3 à 4 fois plus », déplore-t-il.

Boursicoteur, qui es-tu ?

Les tendances évoluent rapidement pour un boursicoteur, mal conseillé, il ne peut pas suivre. En effet, « le marché boursier reste l’apanage de quelques initiés familiarisés un peu des mécanismes de la Bourse et qui maîtrisent les connaissances de base », avance Fahd El Kadioui, trade senior à Safabourse. Au début des années 90, les boursicoteurs particuliers se limitaient à une élite socioculturelle très réduite, les CSP « A » et « A+ » notamment, précise pour sa part Haddi Gharib, président de l’association des analystes.

Aujourd’hui, l’on trouve de tout, du cadre à Monsieur tout le monde en passant par les femmes au foyer, au médecin et autres promoteurs. Selon des traders, les promoteurs immobiliers sont les plus actifs sur le marché. « Les promoteurs immobiliers ont accumulé un certain patrimoine. Ils cherchent à le valoriser sur le marché boursier », explique-t-on auprès d’une société boursière. Les professions libérales (médecins, architectes, pharmaciens…) leur emboîtent le pas. Vient ensuite « Monsieur tout le monde », une catégorie qui commence à s’étoffer. Mais, attention, préviennent des traders, « la Bourse n’est pas un casino ! » Les millions ne se gagnent pas en un clin d’œil. Ne peut donc s’improviser boursicoteur qui veut. Le conseil d’un expert est toujours nécessaire. Des boursicoteurs l’ont appris à leurs dépens.

Quoi qu’il en soit, les porteurs particuliers commencent à peser sur le marché boursier. La clientèle à petit capital évolue rapidement, assure-t-on auprès de sociétés de Bourse. « Certes, les faiseurs de marché sont inéluctablement les institutionnels. Mais, le poids des particuliers n’est pas non plus négligeable, assure El Kadioui. C’est une composante avec laquelle il faut désormais compter.

Bourse oui, mais halal SVP

Les valeurs halal. C’est la grande mode en ce moment, fait-on remarquer auprès de sociétés de Bourse. « Pas de banquières, pas de brasseries, pas de sociétés opérant dans le tabac… », insistent des clients auprès de leurs conseillers. Beaucoup de boursicoteurs, explique Fahd El Kadioui, trader senior à Safabourse, insistent pour n’avoir dans leur portefeuille que des valeurs halal.

Retour sur les débuts d’un engouement

Avec la reprise de la Bourse, la tour de verre a commencé à attirer les porteurs physiques. De l’avis des spécialistes du marché, c’est l’arrivée de la BCP sur la Bourse en juillet 2004 qui a déclenché la fièvre du boursicotage. Mais, le véritable engouement serait plutôt consécutif à l’introduction de Maroc Telecom en décembre 2004. La mise sur le marché de 14,9% du capital de l’opérateur historique déclenchera un rush auprès des particuliers. Pour une grande partie des boursicoteurs, le baptême de la cote a coïncidé avec cette opération historique. « L’on a tout fait pour « populariser » la Bourse. Le prix de l’action y était d’ailleurs pour quelque chose ». Son potentiel de croissance aussi. L’histoire donnera raison à ceux qui auront parié sur le titre. L’autre événement majeur est, incontestablement, l’introduction d’Addoha. Pour beaucoup de traders, ce sont là les deux principales phases qui ont interpellé les gens sur le marché. Elles constituent les prémices de la création d’une culture de l’action.

L’Economiste - Khadija El Hassani

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