La communauté chrétienne au Maroc a réitéré, à l’occasion de la célébration de la fête de Noël, sa demande d’abrogation de l’article 220 du Code pénal et de la dépénalisation du prosélytisme.
Il fait partie de ces tabous auquel on ne s’attaque encore que de manière homéopathique. Bien que l’affaire remonte à 1993, qui, dans le milieu médical, a oublié la condamnation d’un gynécologue à quinze ans de prison pour avoir pratiqué l’avortement ? Cet acte sur lequel un double interdit, légal et religieux, pèse lourdement. Depuis peu cependant, des voix commencent à s’élever pour une ouverture du débat sur le sujet.
A l’occasion de la journée internationale de la femme, l’Association des gynécologues privés (AGP) a franchi à son tour le pas - sa présidence par une femme, le Dr Touria Skalli ne doit pas y être étranger - en lui consacrant une conférence. Malgré les précautions de langage prises pour l’aborder, la thématique a été posée de manière claire. Plus parlants que de grands discours, des photos et des chiffres ont rappelé l’inhumanité d’une loi qui ne prend pas en compte la détresse des femmes et de celle de ces enfants appelés à venir au monde dans des circonstances et des conditions souvent dramatiques.
Les chiffres d’abord. Comme cela fut rappelé très justement, aucune femme n’avorte sans raison majeure. Celle qui y est acculée le fera en dépit des risques encourus. Or, les conséquences peuvent être tragiques. On évalue à 43 millions le nombre de décès consécutifs à des avortements clandestins, soit, en moyenne, une femme tous les deux jours. La mortalité en matière d’avortement clandestin est de 330/100.000 alors qu’elle avoisine les 0% quand la pratique est légalisée.
Au Maroc, le chiffre de plus de 600 cas d’avortements par jour est avancé. Outre le décès, l’avortement clandestin peut occasionner des infirmités irréversibles. Mais la femme n’est pas la seule à pâtir de l’intransigeance juridique en la matière. Des photos insoutenables de bébés atteints de malformations gravissimes ont été projetées au cours de la conférence.
Avant de se prononcer sur un sujet aussi sensible, et qui engage la vie de plusieurs êtres, le législateur devrait avoir de telles images sous les yeux. Au Maroc, la loi, qui date de 1962, n’autorise l’avortement que si la vie de la mère est en danger. Elle ne reconnaît aucune autre exception, ni en ce qui concerne la mère, ni pour ce qui est de l’enfant.
Des situations aussi dramatiques que le viol ou l’inceste, avec leurs répercussions sur la santé mentale des intéressés, ne sont pas prises en considération, pas plus que les malformations de l’enfant, aussi lourdes soient-elles. Chaque année, des médecins sont emprisonnés pour avoir accepté de soulager la détresse de ces femmes, une détresse qui, faut-il aussi le dire, fait aussi l’objet d’une exploitation éhontée par des personnes sans scrupules. L’article 449 du code pénal condamne de 1 à 5 ans de prison - 10 à 20 ans en cas de décès de la mère- plus une amende, quiconque pratique un avortement. La femme (art.454) encourt pour sa part entre six mois et deux ans de prison. Par ailleurs, quiconque, par quelque manière qui soit, est considéré comme encourageant cette pratique, peut écoper de deux mois à deux ans de prison (art. 455). D’où l’extrême prudence avec laquelle ce sujet continue à être abordé.
Ceci étant, on ne peut continuer plus encore à accepter qu’un tel dispositif législatif condamne des milliers de femmes et d’enfants à des destins de souffrance. La loi est censée protéger le citoyen, non à l’acculer à une vie de misère. Parmi ces enfants livrés à la rue, parmi ces jeunes filles réduites à la délinquance et à la prostitution, combien sont-ils ceux qui pâtissent des conséquences d’une grossesse non désirée ?
Au cours des derniers jours, une affaire d’avortement survenue au Brésil a secoué ce pays et bien au-delà : celle de cette fillette de neuf ans, violée, enceinte et avortée. Cette enfant subissait les assauts de son beau-père depuis l’âge de six ans. Sa grossesse découverte par hasard à quatre mois, la fillette a été avortée. Comme au Maroc, l’avortement n’est pas légalisé au Brésil mais, en cas de viol, la loi l’autorise. Sauf que, pour l’archevêque de Recife(*), Dom José Cardoso Sobrinho, même en la circonstance, il ne pouvait être pratiqué. A ses yeux, « la loi de Dieu étant supérieure à la loi des hommes ».
N’étant pas parvenu à l’empêcher, il déclara aussitôt l’excommunication de tout le corps médical responsable de l’avortement ainsi que celle de la mère de la victime. Par contre, il s’abstint de l’étendre au violeur, estimant que « le viol est moins grave que l’avortement ». Malgré le poids prépondérant de l’Eglise dans ce pays profondément catholique, sa décision a rajouté le scandale à l’émotion suscitée au sein de la population par le drame de cette fillette.
Maintenant, quid du Maroc face à un tel cas ? Le viol n’étant pas reconnu par la loi sur l’avortement, aurait-il fallu laisser cette enfant devenir mère à neuf ans ? Les drames de ce genre se déroulent généralement à huis clos. Les projecteurs ne sont que très rarement là pour attirer l’attention de l’opinion publique et la faire réagir.
De très jeunes filles violées et enceintes, il doit en exister plus qu’il n’en faut chez nous aussi. Il est temps que la loi s’ouvre à leur détresse comme à celles de toutes les femmes dans l’incapacité d’assumer leur grossesse.
Source : La vie éco - Hinde Taarji
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