Le même jour s’est ouvert devant le tribunal correctionnel de Casablanca le procès d’Abderrahim Ariri, 43 ans, directeur d’Al-Watan al-An, et de Mustapha Hormatallah, 37 ans, le journaliste qui a utilisé ces notes secrètes de l’armée pour écrire ses articles.
C’est le 14 juillet que son dossier, intitulé "Les rapports secrets derrière l’état d’alerte au Maroc", a été publié par Al-Watan al-An (20 000 exemplaires). Ce journal est connu pour ses enquêtes sur l’institution militaire. Il est à l’origine de nombreux scoops "jamais démentis", affirme son directeur. Jusque-là pas d’ennuis, ni de poursuites judiciaires. Tout juste quelques convocations de police, de temps à autre.
Mais cette fois-ci, le vent a tourné. Le dossier est sorti une semaine après que le Maroc eut placé ses forces de sécurité en état d’alerte maximale pour contrer "une menace terroriste avérée", émanant, selon les experts, de la branche maghrébine d’Al-Qaida. Les articles d’Al Watan al-An détaillant cette menace en se fondant sur ces notes confidentielles de l’armée, le ministère de l’intérieur a estimé que les journalistes s’étaient montrés irresponsables "en prenant à la légère la sécurité de l’Etat". Ariri et Hormatallah sont ainsi poursuivis pour avoir "subtilisé" des documents secrets et pour "recel de choses obtenues à l’aide d’un crime".
Si le directeur d’Al-Watan al-An a pu se présenter devant la justice, jeudi, libre de ses mouvements - après avoir passé huit jours en détention provisoire -, Mustapha Hormatallah, lui, est toujours sous les verrous. Toutes les demandes de remise en liberté provisoire formulées par ses avocats depuis son incarcération, le 17 juillet, ont été rejetées.
Pour l’un de ses défenseurs, Me Khaldid Soufiani, les absurdités de ce procès sont nombreuses, à commencer par le fait que les fameux "documents secrets" ne figurent pas au dossier, au motif qu’ils ont été transmis au tribunal militaire de Rabat. "Le corps du délit n’existe pas. On essaie surtout d’intimider une fois encore la presse", souligne cet avocat.
Khalid Jamaï, éditorialiste au Journal hebdomadaire, estime, quant à lui, que le procès fait aux deux journalistes "est l’arbre qui cache la forêt". Pour lui, cette affaire est le signe qu’il y a "des problèmes" à l’intérieur de l’armée. "La Grande Muette commence à parler, souligne-t-il, et surtout, elle prouve qu’elle n’est plus monolithique."
Le Monde - Florence Beaugé