Il est en fait très difficile, voire impossible, de mesurer combien d’agents immobiliers opèrent actuellement à travers le pays. Sur le net, pas moins de 2200 entités sont répertoriées, mais ce n’est que la partie visible de l’iceberg. Agences structurées, semsara, intermédiaires ponctuels : les intervenants sont innombrables. « Et cela sans compter tous ceux qui s’improvisent agents immobiliers d’un jour. Même les gardiens d’immeubles et de voitures s’improvisent agents immobiliers dans les quartiers », ajoute Abdellah Lazrak, du cabinet Lazrak Immo.
Selon M. Benmakhlouf, deux éléments expliqueraient cette situation. Tout d’abord, la culture marocaine. « C’est dans nos gènes ! », ironise-t-il. « Si quelqu’un vient vers nous et demande s’il y a un appartement à vendre dans le coin, nous ne répondons jamais par la négative.
On connaît toujours quelqu’un qui connaît quelqu’un... et le bal commence ! », raconte-t-il. Mais, au-delà de ce supposé « don naturel », il y a aussi le fait qu’aucune législation n’encadre aujourd’hui l’exercice du métier d’agent immobilier. Un projet de loi est pourtant au Secrétariat général du gouvernement depuis 1997, et le département de l’Habitat avait bien essayé de remettre la question sur le tapis en proposant une nouvelle mouture en 2005. Depuis, plus rien...
Une association dormante
Pour la petite histoire, c’est l’Association nationale des agents immobiliers (ANAIM), qui, il y a onze ans, avait présenté le texte au ministère de l’habitat. Cette association avait été créée dans les années 1930, sous le Protectorat français, et, au meilleur de sa forme, elle a rassemblé une centaine de membres. Désormais inactive, elle ne possède plus de conseil d’administration. Abdellah Lazrak, qui est actuellement en semi-retraite, en est malgré tout demeuré le « président ». « Aujourd’hui, plus que jamais, il faut encadrer le métier. On ne peut pas laisser des voyous gérer des biens immobiliers qui, bien souvent, représentent toute une vie d’économies pour leur propriétaire ! », s’indigne-t-il. Même son de cloche chez Century 21. « Les agences structurées commencent à être suffisamment nombreuses pour représenter une force de négociation. Il faudrait vraiment songer à faire plus de lobbying », admet son patron.
Car, si certains clients sont déjà convaincus et ne traitent qu’avec des professionnels de l’immobilier, la grande majorité des Marocains préfèrent encore faire les choses à la bonne franquette. Les avantages que propose un courtier ayant pignon sur rue, pour l’acquéreur comme pour le propriétaire vendeur, sont pourtant nombreux : obtention d’un droit de visite, photocopie de toutes les pièces d’identité de chacune des parties, offre d’achat en bonne et due forme, assurances, imputabilité, possibilité de recours, etc...
« Evidemment, les Marocains préfèrent qu’un agent immobilier fasse visiter leur maison, plutôt que n’importe quel quidam, qui viendrait en fait pour repérer les objets de valeur et cambrioler le domicile ensuite. Mais ils sursautent quand arrive le moment de remettre la commission à l’agence », explique un professionnel.
« On a beau ne prendre que 2,5% ou 3%, sur une maison de 2 millions de DH, ça fait quand même 50.000 DH ! ». Un énorme montant qui peut être considérablement réduit si l’on fait affaire avec un semsar. « La plupart du temps, le semsar ne reçoit pas le montant qui était convenu au départ. On lui verse quelques milliers de dirhams, et il repart sans broncher car il n’a pas d’autre choix ! », poursuit l’agent.
Les divers intervenants du secteur gagneraient à mettre l’information dont ils disposent en commun
Tout de même, l’apparition de structures transparentes et de franchises étrangères, comme Laforêt Immobilier, Century 21, Carré Immobilier, Casa Connexion Ramses Consulting, Repimmo Investment et d’autres a tiré le secteur vers le haut depuis quelques années. « Les franchises travaillent avec des process qui ont fait leurs preuves, elles sont informatisées, elles travaillent avec Internet, etc. », souligne William Simoncelli, de Carré Immobilier. « Mais ce n’est pas assez ! », nuance-t-il.
En fait, tout le monde s’accorde à dire que le moment est venu de mettre de l’ordre dans la profession. « Il ne s’agit pas d’empêcher tous les semsara ou agents à temps perdu de travailler », précise M. Simoncelli, en rappelant que ces opérateurs possèdent souvent un savoir-faire pertinent et de nombreuses années d’expérience. « Mais il faut trouver un moyen de mettre ces autodidactes à niveau, et engager un processus d’accréditation obligatoire », suggère-t-il.
Dans l’ensemble, les patrons de grandes agences ont grosso modo les mêmes revendications : des agents au niveau de scolarité minimum, le respect d’un code de déontologie, des assurances obligatoires pour tous et une responsabilisation pour chacune des structures. La création d’un groupement économique, ou à tout le moins d’un observatoire, a été évoquée par de nombreux intervenants. « En plus d’encadrer la profession, il nous faut connaître mieux le secteur.
A ce jour, il n’existe aucun organisme qui puisse centraliser l’information qui nous intéresse », poursuit M. Simoncelli. Selon lui, la conservation foncière, les adouls, notaires, avocats et tous autres intervenants du milieu gagneraient à partager l’information dont ils disposent chacun de son côté.
Les conditions semblent propices pour que les agents immobiliers reprennent leur profession en mains. Reste à savoir quand et de quelle manière ils choisiront de se regrouper et de faire valoir leurs intérêts auprès de l’administration.
Source : La vie éco - Marie-Hélène Giguère